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Le port de Narbonne, plaque tournante du commerce antique

Évocation des activités portuaires au niveau de l’embouchure de l’Aude. P. Cervellin, Fourni par l'auteur

À l’époque romaine, Narbonne était un port de commerce accueillant les marchandises de toute la Méditerranée mais aussi de la côte atlantique. En effet, la ville se situait au croisement des voies maritimes, terrestres et fluviales. L’axe Aude-Garonne permettait un trafic entre la Méditerranée et l’océan, à la fois pour le commerce du vin mais aussi des métaux et de nombreux autres produits. Le port est à son apogée entre le premier siècle avant et le IIe siècle de notre ère : comme Arles sur l’axe rhodanien, Narbonne contrôle l’axe Aude/Garonne.

Le musée NarboVia expose une série de stèles antiques représentant de grands voiliers, rappelant ce passé où tout ce qui naviguait abordait au port de Narbonne comme l’écrivait le poète Ausone.

Navire romain en cours de chargement. Bas-relief du musée de Narbonne. L. Damelet/CNRS-CCJ/Aix, Fourni par l'auteur

Grâce aux fouilles archéologiques qui révèlent des milliers d’amphores, principaux conteneurs de l’Antiquité, se dessinent les grandes routes commerciales qui convergeaient vers Narbonne. Le vin a été très apprécié durant toute l’Antiquité et, dès le IIe siècle avant notre ère, de grandes quantités d’amphores produites en Italie arrivent à Narbonne pour être redistribuées. Certains vins pouvaient être de grands crus.

L’origine du vin va fluctuer selon les périodes : se succèdent les vins d’Italie, d’Espagne, de Gaule et d’Afrique durant cinq siècles. Narbonne pouvait fournir en blé la capitale de l’Empire et participait à la redistribution de l’huile de Bétique (province romaine qui correspondait à l’actuelle Andalousie, région productrice d’huile qui desservait notamment Rome) comme l’atteste les mentions de familles narbonnaises sur les amphores retrouvées au Monte Testaccio, une colline romaine composée par des amphores brisées à proximité du port fluvial.

Narbonne, une ville connue jusqu’à Rome

À Ostie, près de Rome, une mosaïque mentionne les Narbonnais sur la place des corporations où sont rassemblés les bureaux des principaux commerçants de Méditerranée. Les amphores ne sont pas recyclables contrairement aux métaux qui de fait sont moins représentés alors qu’ils ont constitué une part majeure du commerce. En effet, Narbonne était aussi un port de redistribution de l’étain de Grande-Bretagne, du cuivre du sud de l’Espagne mais aussi du fer de l’arrière-pays. Le verre, produit alors en Égypte et au Proche-Orient, arrive sous forme brute pour être travaillé dans des ateliers locaux. Des matériaux plus lourds sont également transportés jusqu’à Narbonne pour la construction de monuments ou pour l’ornementation des riches demeures romaines.

Le marbre de Carrare en Italie est particulièrement prisé pour les édifices publics. Les épaves avec leur chargement confirment l’importance du trafic entre Narbonne, la péninsule hispanique, l’Italie et l’Afrique du Nord.

Mais cette documentation laisse de nombreuses questions en suspens : les grands bateaux représentés sur les monuments narbonnais arrivaient-ils jusqu’au cœur de ville, où se trouvaient les lieux de déchargements ? Comment s’organisait ce port ? La ville est distante de 12 km de la mer. Il ne s’agit pas d’un changement récent, les auteurs antiques précisant cette distance dans leur description.

L’agglomération, installée sur une petite éminence dominant une plaine marécageuse était traversée durant l’Antiquité par le fleuve Aude qui rejoignait un espace lagunaire, le Rubresus (aujourd’hui les étangs au sud de Narbonne) qui lui-même communiquait avec la mer grâce à des passages (les graus) dans le cordon littoral. Narbonne est resté un port actif jusqu’au Moyen Âge mais en 1316 une crue dévastatrice dévie le cours de l’Aude qui ne passe plus par la ville. Malgré les moyens pour ramener le fleuve dans son parcours initial, la cité perd son rôle commerçant.

Un port à l’organisation complexe

Dès la fin du XIXe siècle, ces questions sont débattues et la configuration géographique a permis de proposer un fonctionnement basé sur la théorie des avant-ports : plusieurs sites autour de la lagune jouaient un rôle dans le transfert des marchandises depuis les bateaux de haute mer vers des embarcations à fond plat qui pouvaient rejoindre la ville où se concentraient des entrepôts.

Notre programme de recherche sur les ports antiques de Narbonne s’est attaché à restituer l’évolution de ce système mais aussi son rôle dans les échanges.

Restitutions en cours du site de Port-la-Nautique à Narbonne. Au fond à gauche, le vivier à poissons ; au premier plan le quai et les entrepôts ; sur le plateau la villa et à droite la promenade. P. Cervellin, Fourni par l'auteur

Au sud de Narbonne, plusieurs sites qui contribuent au fonctionnement de l’activité portuaire ont été explorés. À l’entrée de la lagune, proche d’un ancien grau, un établissement littoral au sud de l’île Saint-Martin à Gruissan a révélé la présence d’une tour, sans doute un phare. Il est également possible que des activités administratives se déroulaient sur les lieux et que les occupants soient chargés d’accueillir et d’accompagner les navires qui rentraient dans le système portuaire et se dirigeaient vers l’embouchure située plus au nord.

Les recherches récentes ont permis de préciser le tracé de cet aménagement enfoui sous les sédiments. Grâce aux photographies aériennes puis aux prospections géophysiques, une première cartographie a été établie. Ces prospections ont été suivies par des fouilles archéologiques qui ont confirmé la présence d’un canal composé de deux digues imposantes pour contraindre le fleuve large d’une cinquantaine de mètres. Leur configuration permet de « pincer » le fleuve, augmentant le courant pour chasser le sable. Ainsi, les ingénieurs romains ont anticipé ce problème d’ensablement du Ier au Ve s.

La surface des digues est aménagée afin de constituer des quais mais aussi pour être utilisée comme voie de halage. En effet, les grands voiliers ne peuvent naviguer sur le fleuve. Il faut donc transférer les marchandises sur des bateaux fluviaux à fond plat qui sont tirés depuis la berge par des hommes. Une de ces embarcations a d’ailleurs été découverte dans un contexte un peu particulier car elle a servi à reconstruire la digue endommagée. Ce bateau est évalué à une douzaine de mètres de long et fait le lien entre l’embouchure et les entrepôts situés à 6 km, en ville.

L’épave découverte lors des fouilles de l’embouchure de l’Aude (B. Favennec, C. Sanchez, CNRS).

Une partie de son chargement n’a pas été récupérée : se côtoient des amphores de Bétique (Andalousie), d’Afrique du Nord et de Lusitanie (Portugal). À la fin de l’Antiquité, au Ve siècle, les constructions sont vieillissantes et soumises à des événements météorologiques qui contribuent à les déstabiliser. Les anciens monuments narbonnais en cours de démantèlement sont alors recyclés pour réparer et surélever les digues. Des amas de blocs monumentaux, parfois en marbre, sont amoncelés. Cette volonté publique de maintenir les infrastructures portuaires témoigne de l’importance de l’activité commerciale à cette période et de la transformation de la parure urbaine. Les basiliques chrétiennes remplacent alors les anciens édifices.

Au nord-ouest de l’embouchure antique, le site de Port-la-Nautique a aussi retenu l’attention des chercheurs : connu de longue date comme un débarcadère grâce à un grand nombre d’amphores découvertes dans la vase mais aussi des pièces d’accastillage (éléments appartenant au bateau), il n’est occupé que sur une courte durée, entre 30 av. et 70 de n. è. Les recherches géomorphologiques ont permis d’expliquer cette fréquentation épisodique : bien qu’idéalement située en fond de lagune et distante des apports sableux de l’Aude, la construction des quais romains a provoqué une hypersédimentation. Malgré l’abandon de l’espace portuaire, la villa qui domine le port continue à être occupée jusqu’au IIe siècle de notre ère. Un important verger mais aussi des arbres ornementaux comme les cyprès, introduits à l’époque romaine, sont liés à cette occupation et ont modifié le paysage dont nous sommes les héritiers.

Ainsi, les études paléoenvironnementales ont apporté des précisions sur la configuration des paysages antiques et sur l’évolution de ce système portuaire. Le site de Port-la-Nautique a été abandonné suite à son envasement au profit d’un aménagement massif de l’embouchure qui après plusieurs siècles de fonctionnement sera également colmaté. L’histoire de l’environnement est alors aussi celle de l’adaptation humaine aux changements. Faut-il reconstruire, se déplacer, envisager un nouveau système ? Les Romains ont été confrontés à ces questions. L’archéologie permet de restituer sur le long terme les choix, leur devenir mais aussi leur impact et leur durabilité.

Ville cosmopolite, lieu d’échanges, Narbonne a été une plaque tournante du commerce antique. Son importance se mesure au nombre des activités qui s’y déroulaient mais aussi par son réseau au sein de l’Empire romain. Un port n’est pas qu’un lieu économique, il constitue un lieu de brassage culturel, de contacts, d’introduction de nouveautés que les approches pluridisciplinaires restituent.


Le projet ARCHIMEDE (ARCH) est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

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