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Vous regardez en direction du centre de la Voie Lactée, dans le proche infrarouge. En suivant les mouvements des étoiles les plus centrales pendant plus de 16 ans, les astronomes ont pu déterminer la masse d’un objet compact supermassif caché au centre de notre galaxie, Sagitarrius A*. ESO/S. Gillessen et al., CC BY

Le prix Nobel de physique 2020 va aux explorateurs des « secrets les plus sombres de l’Univers »

Le prix Nobel de physique 2020 récompense des explorateurs de la face invisible du Mont Univers. Pendant longtemps resté inaccessible aux plus téméraires aventuriers, le sommet de la gravité n’a pas résisté aux assauts de Roger Penrose, qui l’a atteint par la voie escarpée de la théorie, et de Reinhard Genzel et Andrea Ghez qui l’on séparément rejoint par deux voies expérimentales de haute voltige.

Roger Penrose, Andrea Ghez et Reinhard Genzel, lauréats du prix Nobel de physique 2020. Biswarup Ganguly//Christopher Dibble and UCLA//ESO

La base du campement date de 1687, quand Isaac Newton offrit à l’humanité sa première loi universelle, celle de la gravitation. Mais il restait encore du chemin pour s’élever plus haut dans l’abstraction des lois qui régissent l’univers : l’attraction à distance de Newton avait quelque chose de magique, comment la Lune ou une pomme qui tombe d’un arbre savent-elles que la Terre les attire à distance, sans rien entre elles et la Terre ? Einstein résolut l’énigme en offrant à l’espace et au temps une substance : là où se trouve la pomme quand elle se détache de sa branche, l’espace et le temps sont de nature différente que près du sol terrestre ! La Terre n’attire pas la pomme à distance, elle déforme l’espace-temps et la pomme n’a plus qu’à se laisser glisser sur cette déformation comme un enfant qui glisse sur un toboggan. Mais existe-t-il une limite à la déformation que l’on peut imposer à l’espace-temps ? Peut-on étirer le temps à l’infini et comprimer l’espace à l’infini ?

Penser les trous noirs

Les infinis en mathématiques et en physique portent le nom de singularités, comme lorsque l’on cherche à diviser un nombre par zéro : combien de fois puis-je mettre « rien du tout » dans une boîte de dix centimètres de côté ? La question semble insoluble, mais cela n’empêcha pas le maître des paradoxes Roger Penrose de lui trouver une solution mathématique en habillant une singularité spatio-temporelle du vêtement d’un trou noir tout à fait respectable.

Karl Schwarzschild trouva la première solution exacte aux équations de la relativité générale, pour un cas limité – une sphère unique qui ne tourne pas.

Dans son article de 1915 décrivant la gravitation par la théorie de la relativité générale, Albert Einstein présenta une solution approximative à ses équations. C’est le physicien Karl Schwarzschild qui leur apporta une solution exacte deux mois plus tard, alors qu’il se trouvait sur le front russe en tant qu’expert en balistique. Se plaçant dans le cas idéal d’une étoile, il formula la solution qui allait donner naissance à un monstre : le trou noir. S’il accepta la solution mathématique de Schwarzschild, Einstein refusa d’en déduire que sa créature puisse exister dans le monde réel. Il faudra attendre 1965 pour que Roger Penrose utilise une autre branche des mathématiques pour démontrer que le trou noir pouvait exister dans le cadre de la théorie d’Einstein. La topologie différentielle lui a permis de décrire les déformations de l’espace-temps à l’approche du centre d’un trou noir sous la forme d’une surface fermée où la lumière se retrouve piégée. Les trous noirs pouvaient exister de manière stable dans l’univers et devenaient même le destin naturel de l’effondrement des étoiles massives.

Voir des trous noirs – indirectement pour commencer

Entre la théorie et la validation par l’expérience, le chemin est long et il fallut attendre plus de trente ans pour que l’expérience la plus convaincante se profile au point de remporter l’adhésion de la communauté scientifique. Sans se concerter, l’un dans l’hémisphère Sud au Chili avec les observatoires de l’ESO, l’autre dans l’hémisphère Nord avec le télescope du Keck, Reinhard Genzel et Andrea Ghez utilisèrent et conçurent les instruments les mieux adaptés à la détection du monstre invisible logé au cœur de la galaxie, un trou noir supermassif. La quantité de poussière accumulée sur la ligne de visée entre la Terre et le centre de la Voie lactée, Sagittarius A*, absorbe la lumière avec une telle efficacité que sur mille milliards de photons visibles émis nous n’en recevons qu’un seul !

Plutôt que d’attendre les pauvres particules de lumière visible après leur long périple semé d’embûches, Ghez et Genzel optèrent pour l’utilisation de photons infrarouges, qui enjambent les grains de poussière grâce à leurs grandes longueurs d’onde. Puis il fallut attendre vingt années en suivant les mouvements des étoiles situées près de Sagittarius A* pour les voir tourner autour d’un point invisible et déduire sa masse : quatre millions de masses solaires ! Aucune concentration de matière connue ne peut contenir une masse aussi grande dans une région si petite sans rayonner de lumière en dehors d’un trou noir.

La preuve reste indirecte, mais elle suffit à convaincre l’ensemble de la communauté. D’où l’expression savamment choisie par le comité Nobel pour récompenser Genzel et Ghez :

« L’Académie royale des sciences de Suède a décidé d’attribuer le prix Nobel de physique 2020 à Reinhard Genzel et Andrea Ghez pour la découverte d’un objet compact supermassif au centre de notre galaxie. »

En associant le prix à Roger Penrose pour « la découverte que la formation de trous noirs est une prédiction robuste de la théorie générale de la relativité », les deux messages se combinent pour récompenser les trois physiciens pour la découverte d’un trou noir sans pour autant l’affirmer de manière péremptoire. Une formulation qui a dû faire réfléchir les membres du comité pendant de longues heures.

L’observation des trous noirs bat son plein aujourd’hui

Pour obtenir des images d’une telle précision à 26 000 années-lumière de la Terre, les astronomes doivent corriger les images en temps réel des déformations produites par la turbulence de l’atmosphère. Les instruments utilisés par l’équipe de Genzel utilisèrent pour cela la technique de l’optique adaptative développée par des équipes françaises, en partenariat avec l’ONERA, et dont l’initiateur fut l’astrophysicien Pierre Léna.

En collaboration avec l’équipe de l’Observatoire de Paris dirigée par Guy Perrin, l’équipe de Genzel a construit un nouvel instrument, GRAVITY, capable de combiner la puissance des quatre Very Large Telescopes de l’ESO au Chili et ainsi d’obtenir une résolution équivalente à un télescope de 100 mètres de diamètre ! Ce nouveau bijou a permis à l’équipe de publier tout récemment en 2020 dans la revue Astronomy & Astrophysics une validation de la théorie d’Einstein : l’étoile la plus proche du trou noir, au nom poétique de S2, est passée au plus près du trou noir en suivant un mouvement qui ne peut s’expliquer que par la déformation spatio-temporelle d’un trou noir !

La plupart des étoiles et des planètes décrivent des orbites non circulaires, s’approchant puis s’éloignant périodiquement de l’objet autour duquel elles gravitent. L’orbite de l’étoile S2 précesse, en orbite autour du trou noir supermassif situé au cœur de la Voie lactée, ce qui signifie que le point de l’orbite le plus proche du trou noir change au fil des rotations, générant l’aspect d’une rosette. Cet effet n’avait encore jamais été mesuré pour une étoile orbitant autour d’un trou noir supermassif.

La découverte de ces trois éminents scientifiques marque l’entrée dans une ère nouvelle, car on sait aujourd’hui, en large partie grâce au télescope spatial Hubble qui fête cette année ses 30 ans, que les trous noirs supermassifs sont omniprésents au cœur des galaxies. Il ne s’agit plus de monstres exceptionnels et mystérieux, mais bien d’acteurs centraux dans l’histoire des galaxies et de l’univers en général.

La combinaison de huit observatoires disséminés sur la surface de la Terre a permis de réaliser une image à une longueur d’onde encore plus grande dans le domaine millimétrique de ce que l’on peut appeler l’ombre du trou noir de six milliards de masses solaires logé au cœur de la galaxie Messier 87. L’image de l’Event Horizon Telescope, l’EHT, passée par le tamis de l’intelligence artificielle, montre comment la lumière entoure un trou noir sans jamais pouvoir en ressortir.

Le disque d’accrétion du trou noir M87* imagé par l’Event Horizon Telescope. Event Horizon Telescope, CC BY-SA

L’autre prédiction de la théorie d’Einstein, celle des ondes gravitationnelles, est venue elle aussi renforcer la crédibilité de l’existence des trous noirs en donnant à voir les fluctuations de l’espace-temps engendrées par la fusion de deux trous noirs nés de l’effondrement d’une étoile sur elle-même, comme l’avait prédit Penrose. Cette observation a été faite en 2016 par les collaborations Ligo et Virgo : après avoir fusionné en un seul trou noir, celui-ci continue de vibrer avant de se relaxer en émettant un gazouillis, le fameux chirp, qui représente aussi la signature attendue d’un trou noir, mesurée avec une précision qui s’améliore avec chaque nouvelle détection.

Les promesses des futures observations

Le prix Nobel 2020 inscrit les trous noirs dans notre histoire, celle de l’univers, et le passage à une ère où leur existence ne suscitera désormais plus de débats, mais leur véritable rôle dans l’histoire des étoiles et des galaxies continue d’interroger. On les accuse de provoquer la mort des galaxies en les vidant de leurs réservoirs de matière diffuse, mais cela reste à prouver, ce que Reinhard Genzel étudie aussi grâce à l’étude de la formation d’étoiles dans les galaxies. Cette histoire-là reste encore à écrire et pourrait connaître de nouveaux rebondissements avec l’arrivée l’an prochain du successeur du télescope Hubble, le James Webb Space Telescope et de nouvelles observations de l’EHT.

La révolution attendue dans le domaine viendra du satellite LISA, de l’agence spatiale européenne, l’ESA, qui emportera trois satellites situés à 2,5 millions de kilomètres de distance les uns des autres pour détecter les ondes gravitationnelles engendrées quand deux trous noirs galactiques fusionnent ensemble. Mais pour cela, il faudra attendre le lancement de LISA prévu pour 2034…

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