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L’émotion de la découverte : une étape de la recherche incitant à la créativité scientifique

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 1er au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


La découverte du virus SARS-CoV-2 et de ses mutants a provoqué des effervescences émotionnelles multiformes. Elles ont amené des comportements résultant d’imaginaires dans l’affolement et la peur mais elles ont, aussi, motivé des chercheurs à l’échelle internationale. Leur rapide découverte de vaccins anti-Covid influence les décideurs politiques et change la vie sociétale.

Cette actualité amène à se demander dans quelle mesure « L’émotion de la découverte » est motrice des avancées de la connaissance et des effets sociétaux induits par les découvertes.

La découverte consiste en la saisie d’une solution ou d’un possible, ou dans la confrontation avec un réel insoupçonné qui n’est dans le cerveau ni en images ni en mots. La découverte concerne l’inconnu, l’inédit, l’inexpliqué, l’altérité, les autres.

Découverte et émotions

Archimède de Syracuse, « portrait d’un érudit ». Domenico Fetti/Wikimedia, CC BY-NC-ND

Le parangon du découvreur est sans doute Archimède, ce savant du IIIe siècle av. J.-C. à qui Hiéron II de Syracuse aurait confié la mission de s’assurer qu’un orfèvre ne l’avait pas volé en remplaçant par un autre métal, une partie de l’or donné pour fabriquer une couronne. Aux bains publics, Archimède entrant dans sa baignoire entrevit la solution au problème.

« Il s’élance immédiatement hors du bain, et, dans sa joie, se précipite vers sa maison, sans songer à s’habiller. Dans sa course rapide, il criait de toutes ses forces qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait, disant en grec : Εὕρηκα, Εὕρηκα » (Vitruve, De l’architecture, tra Ch.-L. Maufras, C. L. F. Panckoucke, 1847, IX, 10.).

Cet épisode raconté par Vitruve montre que le savant avait découvert non seulement comment montrer le vol de l’orfèvre mais aussi comment établir le Principe fondamental de l’hydrostatique (idem IX, 9-12.).

Les conquistadores, acteurs des « Grandes Découvertes » qui datent le début de la période moderne, en abordant des terres nouvelles découvrirent, étonnés, leurs étranges habitants, nus et peints, aux croyances et modes de vie insoupçonnés. La découverte des exactions des conquérants à l’encontre de ces autochtones offusqua les théologiens de l’école de Salamanque qui dépassèrent les conceptions de la scolastique d’alors pour réfléchir sur l’unité du genre humain et les droits naturels des indiens.

Un moment de mise en tension existentielle

Ces deux évènements, clichés de la découverte dans les imaginaires européens, montrent que découvrir fonde un moment de mise en tension existentielle et de remise en cause, générateur d’un comportement émotionnel. Celui-ci se produit à un niveau de conscience implicite, niveau d’infraconscience (awareness) où l’émotion est ressentie par un engagement corporel immédiat sans être saisie par la conscience : l’expérience émotionnelle est vécue sans prise de décision pensée à travers des gestes, des postures, des sensations, des cris, des sons, des ajustements homéostatiques c’est-à-dire des régulations biochimiques qui maintiennent l’équilibre du milieu intérieur de la personne.

Les émotions dues à des découvertes sont plurielles et complexes, allant de la joie euphorique et la fierté de la réussite à la crainte agressive et la surprise honteuse.

Avant de porter un regard anthropologique sur les danses en Corse, pionnière sur ce terrain d’études délaissé, j’éprouvai l’enthousiasme du découvreur et la satisfaction d’avoir des informations ainsi que l’agacement des rendez-vous manqués et la contrariété de ne récolter aucune donnée.

Entretien avec Davia Benedetti.

Je découvris, soucieuse, la contradiction entre ma première analyse et le terrain. Le soir d’un 31 juillet, à Sartène vers Cauria, je fus saisie par l’interaction entre le lieu encaissé et sauvage, la pénombre crépusculaire et les propos de mon informatrice parlant au présent sur une sorcellerie pratiquée à proximité.

Déconcertée et mal à l’aise, je dus pratiquer un bref exercice respiratoire de détachement pour continuer à mener à bien l’entretien d’enquête. Ces émotions sont sous-tendues par des changements physiologiques : des perturbations chimiques et neuronales provoquent une dynamique comportementale d’adaptation au milieu, tant au niveau individuel que collectif.

Les émotions émanant de découvertes font réagir ceux qui les ressentent. Elles projettent les chercheurs scientifiques vers une appréhension cognitive du phénomène découvert. Leur analyse devient consciente et raisonnée. On peut dire, alors, que « L’émotion de la découverte » fait partie du processus de la découverte scientifique.

La découverte de la société des îles Mailu et Trobriand par l’anthropologue Bronislaw Malinowski étaye la présentation ci-dessous de cette prise de position.

L’expérience de Malinowski

Au début du XXe siècle, époque des empires coloniaux, les anthropologues se rendaient certes sur place étudier les peuples autochtones mais en vivant selon le mode de vie colonial. Ils analysaient des questionnaires qu’ils remplissaient en convoquant des informateurs sans aller chez eux dans leurs espaces de vie.

L’anthropologue Malinowski se rendait en Australie pour une expédition scientifique britannique quand la guerre de 1914 éclata. Polonais, né à Cracovie, il fut assigné à résidence comme ressortissant autrichien de l’empire austro-hongrois et ne put retourner en Europe avant la fin de la guerre. Il fut cependant autorisé à mener ses recherches dans l’île Mailu et les iles Trobriand où il était parfaitement libre de vivre et se déplacer à sa guise.

Il mit en mots son ressenti sur cette situation de contrainte à vivre longtemps en Malaisie, dans son Journal d’ethnographe écrit en polonais alors qu’il rédigeait en anglais ses analyses scientifiques. Il transcrivit son irritation voire son animosité à l’encontre des indigènes lors de sa confrontation à leur altérité. Pris dans le bouillonnement émotionnel de son imaginaire, il se replia dans la lecture de romans se coupant ainsi de son environnement immédiat et resta en contact avec des Européens. Puis par un retour sur soi, par des remises en cause auxquelles sa socialisation, son éthique et sa déontologie n’étaient pas étrangères, il décida de dépasser ce comportement émotionnel pour, en conscience, s’immerger dans la vie quotidienne des mélanésiens « pour comprendre leur vision de leur monde ».

Malinowski aux Trobriand en 1917-1918.Photographie attribuée à Billy Hancock. Attribué à Billy Hancock ; pêcheur de perles/Wikimedia

Il vécut dans leur village, apprit leur langue vernaculaire pour recevoir directement des informations, partagea leurs travaux, leurs promenades, leurs jeux, leurs conversations, leurs coutumes et observa directement leurs rituels. Son objet d’étude était la vie et le fonctionnement de leur société. Malinowski enquêtait sans intermédiaire et pratiquait l’anthropologie de terrain qui exige du chercheur de rejeter tout préjugé lié à sa propre culture et de se focaliser sur l’observation du vécu. Il formalisa cette méthode d’observation participante dans son livre Les Argonautes du Pacifique Occidental, paru en 1922 alors qu’en anthropologie, il n’existait pas de méthodologie d’enquête de terrain et d’interprétation des données.

Naissance d’une discipline

En donnant un accès à l’inconnu et aux autres, l’observation participante crée les conditions d’émergence d’une nouvelle connaissance. Sa découverte provoqua parmi les anthropologues des querelles de chapelles relevant souvent de comportements émotionnels de vexation et de crainte. L’observation participante fut, cependant, rapidement adoptée par l’École de Chicago et elle devint la méthode d’enquête centrale dans le champ de l’anthropologie. Pour favoriser l’innovation scientifique, elle fut ensuite repensée et étendue à une méthode d’enracinement de l’analyse dans les données de terrain : la Grounded Theory.

À partir de son expérience, Malinowski jugea que son rôle était d’être le porte-parole des indigènes auprès de l’administration coloniale et que ses recherches anthropologiques devaient avoir une utilité sociale et guider les dirigeants. Avec l’objectif de seconder les administrateurs coloniaux, il prôna l’étude des phénomènes sociaux contemporains. Il fonda ainsi l’anthropologie sociale britannique. Il contribua à des controverses passionnées et participa à induire une réflexion collective sur le colonialisme.

Une étape de la recherche et de sa mise en œuvre

À travers cet exemple, nous voyons que « L’émotion de la découverte » est plus qu’un moment : c’est une étape du processus de recherche due, selon Damasio, à des « marqueurs somatiques [qui] accroissent probablement la précision et l’efficacité du processus de prise de décision ».

Si en art ce processus peut se poursuivre dans une créativité artistique imprégnée de subjectivité et d’émotion esthétique, en sciences il nécessite une prise de conscience des émotions et leur régulation pour mettre en œuvre une méthode et un protocole scientifique d’appréhension et d’étude raisonnées de l’objet de la découverte.

« L’émotion de la découverte » est ainsi une étape de la recherche incitant à la créativité scientifique. Puis, lorsqu’une découverte est scientifiquement établie et publiquement révélée, le processus se poursuit de façon similaire au niveau collectif : ce sont des comportements émotionnels puis leur dépassement qui fondent la dynamique d’adaptation des sociétés aux découvertes.

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