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Les enjeux des élections en Auvergne-Rhône-Alpes

Laurent Wauquiez, tête de liste des Républicains, au coude à coude avec la gauche. Jeff Pachoud / AFP

La région Rhône-Alpes était déjà l’une des plus peuplées de France. La réforme territoriale, qui lui ajoute l’Auvergne, aboutit à une collectivité de près de 8 millions d’habitants. Elle est plus peuplée que la Suisse, et pas beaucoup moins que l’Ile-de-France (11 millions). Le nouvel ensemble représente aussi 15 % des emplois industriels français. Il pèse très lourd en Europe, étant le 7e ou 8e PIB des régions de l’UE.

Mais cet ensemble est très diversifié. Composée de 12 départements, auxquels il faut ajouter la métropole de Lyon – celle-ci est séparée du département du Rhône depuis le 1er janvier 2015 –, la région est sans réelle identité. Elle rassemble entre autres les Auvergnats, les Savoyards, les Dauphinois ou les Lyonnais… De plus, on a ajouté une région plutôt pauvre à une région très riche. Ainsi peut-on repérer des zones de très fort développement autour des industries de pointe, des zones où l’agriculture est riche et d’autres où elle est très stagnante. Le chômage est, cependant, en moyenne plus faible que dans le reste de la France : autour de 8 %.

Impulser et coordonner le développement régional

L’enjeu fondamental pour les décennies à venir, peu évoqué dans cette campagne atone, est bien évidemment la construction de synergies territoriales, aussi bien au niveau des transports que de l’économie et des grands équipements structurants pour l’éducation, la santé, la culture, le sport, les loisirs. Penser et mettre en œuvre un développement régional supposera également un rééquilibrage et des efforts pour favoriser les zones les plus fragiles. Beaucoup d’élus auvergnats craignent que la fusion des deux régions ne se fasse à leur détriment puisqu’ils sont minoritaires et moins favorisés dans de nombreux domaines.

In fine, la réussite de ce regroupement ne dépendra pas que des choix régionaux, mais aussi nationaux, les compétences données aux régions et leurs moyens financiers étant pour le moment faibles. Les régions françaises n’ont pas la maîtrise complète de leurs budgets puisqu’une part importante des financements leur parvient par le biais d’une dotation de fonctionnement allouée par l’État central. En moyenne, il convient de le souligner, le budget des régions françaises est huit fois moins important que celui des länder allemands.

Une offre électorale très fragmentée

Pour ces premières élections régionales de la grande région réunissant l’Auvergne et Rhône-Alpes, neuf listes sollicitent les suffrages des électeurs, ce qui est proche de la situation de 2010 et aussi très semblable à la compétition dans les autres régions françaises.

Comme presque partout, la gauche, qui exerçait le pouvoir en coalition dans les deux régions, n’a pas réussi à s’entendre pour proposer des listes uniques au premier tour. Celle des sortants est conduite par Jean-Jacques Queyranne, président de Rhône-Alpes depuis 2004, au nom des socialistes, des radicaux de gauche, de certains écologistes et centristes. Mais la gauche radicale tente sa chance de façon séparée via trois listes : la première unit essentiellement les Verts et le Parti de gauche, à l’image du rassemblement qui a conquis la mairie de Grenoble en 2014 ; la deuxième avec le Parti communiste et le MRC, et la troisième autour de Lutte ouvrière.

À droite, l’unité n’est pas meilleure, contrairement à ce que disent beaucoup d’observateurs. Malgré son profil très droitier, Laurent Wauquiez, préféré à Michel Barnier pour conduire la liste des Républicains (LR), a certes réussi à convaincre les centristes de l’UDI et l’essentiel du MODEM de s’allier avec lui. Mais une liste, baptisée « 100 % citoyen », d’origine centriste, semble pouvoir grappiller des voix MODEM en déshérence.

Debout la France présente aussi ses listes avec un programme anti-gaspillage, opposé au « système PS-UMP ». Mais il aura probablement beaucoup de difficultés à convaincre un large segment d’électorat, pris en tenaille entre les listes LR-UDI-MODEM et celles du Front national. D’autant que se présente encore la liste UPR (Union populaire républicaine), présente dans toutes les régions, pour développer des idées souverainistes, nationalistes et anti-européennes.

Une campagne électorale tardive et atone

La campagne électorale, qui avait toute chance d’être peu importante tant les élections régionales ont du mal à mobiliser les électeurs, a été complètement éclipsée jusqu’à ces derniers jours par les attentats de Paris. Du coup, les débats et les messages de campagne sont davantage axés sur la sécurité. Jean-Jacques Queyranne insiste sur son bilan en la matière, notamment le financement (partiel) des agents de sécurité dans les TER et de la vidéosurveillance dans les gares et les rames. Alors que ses principaux adversaires à droite l’accusent de laxisme, à l’image de la politique gouvernementale, et que la gauche radicale critique un état d’urgence qui limite les libertés.

L’enjeu le plus disputé concerne les TER à l’intérieur de la région parce que c’est l’élément le plus concret des politiques régionales affectant le quotidien de beaucoup d’habitants. Alors que l’exécutif sortant insiste sur son bilan – 19 000 places créées dans le TER en Rhône-Alpes, un nombre de voyageurs passé de 90 000 à 150 000 chaque jour –, presque toutes les autres listes critiquent les fréquents retards et l’annulation de certains trains, sans toujours bien distinguer les responsabilités de la région de celles de la SNCF !

Outre son bilan, Jean- Jacques Queyranne joue sur la légitimité du sortant, la force de ceux qui ont l’expérience pour conduire la politique régionale. C’est ce qu’exprime le titre donné à sa liste : « Nous, c’est la région ». Plus généralement, les discours de campagne visent souvent plus à critiquer l’adversaire qu’à proposer des projets innovants. Et les messages sont souvent plus nationaux que régionaux.

Laurent Wauquiez mène une campagne très personnalisée où il insiste dans sa propagande sur sa jeunesse, son dynamisme, ses orientations sociales, aussi bien autrefois en Égypte avec sœur Emmanuelle qu’aujourd’hui au Puy-en-Velay, ville dont il est maire. Il se présente en sportif, soucieux du handisport, assure qu’il donnera « un nouveau souffle pour notre région », alors que « le Parti socialiste a fait trop de dégâts ». Christophe Boudot, candidat du Front national, peu connu bien qu’il soit président du groupe FN au conseil régional Rhône-Alpes et élu municipal de Lyon, développe surtout le programme national du FN et invite à voter pour le FN afin d’anticiper « l’arrivée de Marine Le Pen à l’Elysée en 2017 ».

Les prévisions : forte abstention, résultats serrés

En 2010, l’abstention avait avoisiné 50 % au premier tour dans les deux régions. On peut s’attendre à un niveau au moins identique, sinon plus important du fait de la faible perception des enjeux régionaux couplée à une campagne très limitée. L’appel à un vote citoyen, pour marquer l’attachement des Français à leur système démocratique et leur refus de la barbarie totalitaire, a peu de chances d’être entendu.

D’après les sondages, le résultat en Auvergne-Rhône-Alpes devrait être très serré. Pour le premier tour, ceux-ci placent en tête Laurent Wauquiez autour de 30 %, suivi par le PS et le FN entre 28 et 25 %. Il convient d’être très prudent concernant ces résultats, construits sur des échantillons de petite taille (souvent environ 800 personnes) – ce qui implique des marges d’erreur théoriques de plus ou moins 3 %. En outre, le niveau du FN est très difficile à situer réellement, d’assez nombreux électeurs hésitant entre vote FN et abstention, ou entre vote FN et vote à droite.

Autrement dit, les sondages indiquent essentiellement que ces trois listes – Wauquiez, Queyranne, Boudot – devraient enregistrer des scores très voisins, mais ils ne permettent pas de connaître leur ordre exact d’arrivée. Il semble assez clair aussi que les autres listes seront largement distanciées. Le Rassemblement des Écologistes et du Parti de gauche serait entre 6 et 8 %, il n’atteindrait pas le seuil de 10 % permettant de se maintenir, alors que ces deux forces politiques avaient obtenu de très bons scores en 2010 (19.3 % en Rhône-Alpes et 12.2 % en Auvergne pour les Verts, respectivement 7.7 % et 13.8 % pour le Front de gauche). On s’achemine donc vers une triangulaire au second tour, pour laquelle les sondages actuels prédisent surtout une quasi-égalité entre les listes Wauquiez et Queyranne autour de 37 %, le FN se maintenant à peu près à son niveau du premier tour.

Ces élections ont, bien sûr, des enjeux extrêmement importants : la victoire de la gauche ou de la droite n’aboutit pas aux mêmes politiques, le prochain exécutif devra prendre des décisions très importantes pour commencer à construire le futur de ce grand ensemble régional, et la direction d’une région donne aussi des opportunités pour mieux s’implanter sur le territoire. Mais ces enjeux ne sont pas très bien perçus par les électeurs, leurs connaissances sur les politiques régionales demeurant très faibles.

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