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Les Jeux paralympiques : comment tout commença, il y a 70 ans

La cérémonie de clôture des Jeux internationaux de Stoke Mandeville, en 1962. Mandeville legacy

Le Mouvement paralympique s’apprête à célébrer le 70e anniversaire de la tenue des 1ers Jeux de Stoke Mandeville, une épreuve sportive aujourd’hui considérée comme un épisode fondateur de son histoire. Cette compétition de tir à l’arc se déroula le 29 juillet 1948 au sein de l’hôpital de Stoke Mandeville (Aylesbury, Angleterre) et rassembla 16 archers en chaise roulante, 14 hommes et 2 femmes.

En s’intéressant de plus près à l’émergence des Jeux de Stoke Mandeville, il est possible d’éclairer le contexte social dans lequel ils ont pris place ainsi que les mécanismes et stratégies qui ont permis de donner naissance aux Jeux paralympiques quelques années plus tard.

Le Dr Ludwig Guttmann

Le Dr Ludwig Guttmann (1899 – 1980) est reconnu comme l’un des pères fondateurs du Mouvement paralympique. Guttmann était un neurochirurgien juif qui, fuyant le régime nazi avec sa famille, s’installa en 1939 près de la ville d’Oxford en Angleterre. Il y poursuivit certaines de ses recherches scientifiques, notamment en lien avec la stimulation et la régénération du système nerveux. En septembre 1943, le gouvernement anglais le nomma directeur du National Spinal Unit Centre au sein du Ministry of Pensions Hospital à Stoke Mandeville (Aylesbury, Angleterre).

Guttmann vit dans cette position l’opportunité de développer de nouvelles méthodes de réadaptation des blessures médullaires mais également la possibilité de changer le regard de la société et les attitudes très largement défaitistes envers les personnes paraplégiques. La durée de vie des personnes avec une lésion de la moëlle épinière était en effet de 6 semaines durant la Première Guerre mondiale et de quelques mois durant l’entre-deux-guerres. Ces personnes étaient donc considérées comme incurables et le personnel médical n’avait que très peu d’espoir quant à leur réinsertion socio-professionnelle.

Guttmann était convaincu des bienfaits physiques, psychologiques et sociaux associés aux pratiques de réadaptation active et aux mouvements « ciblés » dans le traitement des blessures médullaires. Cette approche était quelque peu révolutionnaire puisqu’à l’époque, les techniques de réadaptation se composaient principalement de massages, de mouvements passifs et de repos. C’est donc sans surprise que des activités physiques et sportives adaptées ont été initiées dès la prise de fonction du Dr Guttmann et prescrites, de manière obligatoire, aux patients de l’hôpital de Stoke Mandeville.

Margaret Maughan, médaille d’or au tir à l’arc, Jamaïque, 1966. Margaret Maughan

Le tir à l’arc

De nombreux sports y furent pratiqués tels que le badminton, le tennis de table, le netball puis le basketball, l’athlétisme ou encore le billard et les fléchettes. Ces activités faisaient partie intégrante du processus de réadaptation et étaient pratiquées sous un contrôle médical très sévère. Un sport en particulier, le tir à l’arc, jouait un rôle important dans ce processus. Il permet aussi de mieux comprendre le sens attribué par Guttmann et ses collaborateurs à ces pratiques sportives.

Selon les mots de Guttmann, le tir à l’arc était d’une immense valeur thérapeutique et permettait « de muscler, de manière naturelle, les membres supérieurs, les épaules et le tronc dont dépend la position stable et verticale de la personne paraplégique ». De plus, le tir à l’arc était l’un des rares sports dans lequel une personne en chaise roulante pouvait affronter, de manière équitable, une personne debout. Il était donc fréquent de voir des patients de Stoke Mandeville prendre part à des compétitions de tir à l’arc en dehors de l’hôpital ou, à l’inverse, de voir des clubs sportifs locaux participer à un tournoi au sein de l’hôpital. Ce sport a donc favorisé les échanges entre les patients de Stoke Mandeville et le monde extérieur et s’inscrivait dans la volonté de réintégration sociale promue par Guttmann.

Le tir à l’arc, une discipline plébiscitée par le Dr Guttmann. Blog

Les Jeux de Stoke Mandeville

Ces différentes rencontres sportives ont favorisé l’organisation récurrente de compétitions sportives pour les personnes blessées à la moëlle épinière. Les premiers Jeux de Stoke Mandeville, sous le nom sobre de « Journée sportive », furent organisés le 29 juillet 1948 pour promouvoir le don à l’hôpital d’un bus de transport adapté. Ces Jeux ont été par la suite organisés chaque année, notamment grâce au soutien de la Fédération mondiale des vétérans de guerre et sont devenus internationaux en 1952 quand une équipe néerlandaise du Doorn Military Rehabilitation Centre prit part à la compétition. Ces Jeux prirent rapidement de l’ampleur, que ce soit en termes d’équipes participantes ou en termes de sports pratiqués. A titre d’exemple, 350 athlètes venant de 20 pays différents s’affrontèrent dans 10 disciplines sportives lors des Jeux de Stoke Mandeville de 1958. Rappelons que ces compétitions, à l’époque, ne concernaient que les personnes ayant une lésion médullaire.

Les Jeux de Stoke Mandeville dans les années 1960. S. Haynes

Mécanismes et stratégies d’expansion

Mais comment, en seulement quelques années, ces Jeux ont-ils pu devenir la pierre angulaire du mouvement sportif international pour les personnes avec une blessure médullaire ? Il est possible d’identifier quelques mécanismes bien distincts qui sont à l’origine de ce développement.

Tout d’abord, les anciens patients de l’hôpital de Stoke Mandeville ont joué un rôle prépondérant, en favorisant l’émergence de ces pratiques sportives adaptées une fois transférés dans un nouvel hôpital ou de retour à la vie civile. De manière similaire, de nombreux médecins étrangers ont voyagé jusqu’à Stoke Mandeville et se sont inspirés de ce qu’ils y ont vu. Ensuite, le journal The Cord créé par 6 ex-patients de Stoke Mandeville pour promouvoir les intérêts des patients et pour « propager, dans la vie civile, cet esprit de camaraderie qui a germé dans les centres de réadaptation et à l’hôpital ». Ce journal facilita l’exportation à l’international des nouvelles méthodes développées par Guttmann et diffusa les principaux résultats sportifs. Aujourd’hui, seule une poignée d’éditions complètes du journal The Cord existe encore.

Le Dr Guttmann lui-même était un travailleur infatigable et un ardent défenseur du sport comme outil de réadaptation. De par son caractère obstiné, son leadership et sa détermination, Guttmann a profondément et durablement façonné le développement du Mouvement paralympique. Il participa à de très nombreuses conférences scientifiques, voyagea sans interruption et écrivit de manière prolifique pour défendre ses méthodes. Il faisait aussi preuve d’habileté pour obtenir le soutien du monde politique, associatif ou médiatique. Des représentants de l’élite politique anglaise, de la famille royale britannique ou encore des stars du cinéma étaient systématiquement invités à prendre part aux cérémonies d’ouverture ou de clôture, ainsi qu’aux remises des médailles, lors des Jeux de Stoke Mandeville.

A la demande des athlètes, un système de classification – connu sous le nom de système de classification médical – fut également développé pour préserver l’équité durant les rencontres sportives. Sur la base d’un diagnostic médical uniquement établi par des médecins, les athlètes étaient classés en fonction de la sévérité de leurs atteintes médullaires. Ainsi dès 1953, trois classes étaient élaborées en tennis de table en fonction de la hauteur de la lésion médullaire, une lésion haute entraînant une plus grande perte motrice : lésions cervicales, thoraciques haute ou basse. Ce système de classification, qui a considérablement évolué depuis lors mais qui reste toujours contesté, a permis la codification de ces rencontres sportives et donc leur pérennisation.

Enfin, l’une des stratégies les plus efficaces pour promouvoir les Jeux de Stoke Mandeville fut de systématiquement les associer et les comparer au Mouvement olympique et aux Jeux olympiques. Même si l’on ne connaît pas exactement le degré d’intentionnalité dans les plans de Guttmann, les Premiers Jeux de Stoke Mandeville se déroulèrent le même jour que la cérémonie d’ouverture des 14e Jeux olympiques célébrés à une trentaine de kilomètres de là, dans le stade de Wembley à Londres.

Les Jeux de Stoke Mandeville étaient également décris comme « Les Jeux olympiques des Paraplégiques » ou simplement les « Jeux Olympiques ». Dès 1949, Guttmann déclara lors d’un discours qu’un jour « les Jeux de Stoke Mandeville deviendraient l’équivalent des Jeux olympiques ». Guttmann poussa cette stratégie plus loin en organisant les Jeux internationaux de Stoke Mandeville de 1960 dans la ville de Rome, la même ou s’étaient tenus à peine quelques semaines auparavant les Jeux olympiques. Selon un proche collaborateur de Guttmann, le Dr Tricot, cette initiative visait à marquer ces Jeux « du sceau olympique, consacrant par-là, le rôle thérapeutique du sport dans la rééducation des paraplégiques ». Les Jeux de Stoke Mandeville de 1960 sont aujourd’hui considérés comme les premiers Jeux paralympiques.

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