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Libye : comment sortir de l’impasse

Réouverture de l'ambassade d'Italie à Tripoli, le 10 janvier 2017. Mahmud Turkia/AFP

L’Accord politique de 2015 conçu pour faciliter la période de transition et conduire à l’élaboration d’une Constitution et à l’élection d’un nouveau Parlement pose aujourd’hui des problèmes d’application. Pis, il n’a rien résolu. Depuis son adoption, la Libye a progressivement sombré dans un état de quasi-anarchie. Le pouvoir que les puissances occidentales ont aidé à s’installer à Tripoli n’a toujours pas été légitimité.

Le premier ministre Faïez Sarraj est contesté et n’exerce aucune autorité réelle sur le pays. Le Conseil présidentiel, pléthorique, qu’il dirige est traversé par des conflits qui l’entravent. Les institutions publiques comme la Banque centrale libyenne ou encore l’Entreprise nationale du pétrole (ENA) sont paralysées et souffrent d’un manque de leadership national légitime.

Ayant contribué à l’élaboration de cet Accord politique, l'ONU se trouve décrédibilisée et l’actuel chef de mission des Nations unies en Libye, Martin Kobler, lui non plus, n’a plus guère d’autorité. Il exerce peu d’influence et son image est ternie en raison de la dégradation des conditions économiques et sociales en Libye qu’il n’a pas su endiguer. Sa responsabilité se trouve ainsi engagée et la question de son remplacement est d’ailleurs régulièrement posée par les autorités à l’est du pays qui refusent de le recevoir.

Les trois raisons de l’échec

L’analyse des transitions démocratiques montre que, dans plusieurs cas étudiés, l’Accord politique constitue un moyen de gérer la période transitionnelle en impliquant les « modérés » et les « durs » dans un processus de négociation leur permettant de transcender leurs oppositions et de dépasser leurs conflits. Cela suppose une identification des vrais détenteurs du pouvoir et la capacité de repérer les acteurs influents en les faisant travailler ensemble.

Dans le cas libyen, l’Accord politique de Skhirat (Maroc) a été élaboré selon des critères très différents de ceux énoncés. Les parties libyennes au dialogue, comme des membres de partis politiques ou de représentants des ONG libyennes censés d’incarner la société civile, n’étaient en réalité pas représentatives. Il s’agissait en fait de personnes qui, pour la plupart, n’avaient aucune légitimité ni de réels pouvoirs dans la société. La grande majorité d’entre elles avait sans doute des compétences mais peu de poids social, et ne disposait d’aucun réseau social significatif ni de structure d’influence. Les signataires de l’Accord dans leur majorité n’ont engagé qu’eux-mêmes et en aucune manière les groupes influents en Libye. C’est la première raison de l’inefficience de l’Accord.

La seconde raison, c’est la confusion et l’incohérence des pouvoirs qu’il instaure. En effet, le pouvoir exécutif est constitué d’un Conseil présidentiel de neuf membres avec un président et trois vice-présidents, ainsi qu’un gouvernement d’accord national (GAN). La source de légitimité du pouvoir exécutif n’est donc pas très claire. Ainsi nous ne savons pas d’où procède le pouvoir exécutif.

L’Accord de 2015 stipule que le « Conseil des ministres exerce l’autorité exécutive et assure le fonctionnement normal des institutions publiques de l’État. Il établit et exécute le programme du gouvernement, propose des projets et élabore le budget ». Mais, dans le même temps, le président du Conseil présidentiel dirige le Conseil des ministres et il est donc premier ministre, poste qu’il cumule avec celui de la Présidence du Conseil présidentiel, fonction équivalente à celle d’un chef d’État. Dans la hiérarchie des pouvoirs, le Conseil présidentiel et son président ainsi que le GAN sont placés au-dessus du Parlement de Tobrouk (est de la Libye).

Martin Kobler (à gauche) en discussion avec le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Tahar Siala à Tripoli, le 8 janvier dernier. Mahmud Turkia/AFP

La troisième raison, la création d’un Haut Conseil d’État (HCE), une deuxième Chambre à côté du Parlement reconnu, instaure un bicaméralisme « quasi-parfait » ou « équilibré » – ce qui est inapproprié dans le cas d’un pays profondément divisé. Il suppose des démocraties consensuelles, pacifiées et stables. Dans le cas libyen, la société est loin d’être pacifiée, le consensus est inexistant entre les élites politiques de l’Est et de l’Ouest et le pays n’est pas stabilisé.

Dans une telle perspective, la création du HCE, que l’ONU a encouragée, complique davantage le processus de transition démocratique plutôt qu’elle ne le facilite. L’Accord politique prévoit, par exemple, que le Parlement de Tobrouk doit se concerter avec le HCE pour toutes les décisions importantes. C’est en particulier le cas pour la nomination du gouverneur de la Banque Centrale, du chef du Bureau des audits, du chef du Contrôle administratif, du chef de l’autorité anticorruption, du chef de la Haute Cour, du Procureur général.

Le Parlement doit également se concerter avec le HCE pour l’acceptation du gouvernement et la nomination d’un premier ministre ou son renvoi. Dans une société désorganisée, où les groupes et les milices sont en guerre, les mécanismes de navette entre les deux Chambres instaurés par l’Accord politique le rendent inapplicable, voire générateur de conflits additionnels.

Comment sortir de l’impasse actuelle ?

Depuis plus d’une année, l’Accord politique de décembre 2015 a donc montré ses limites. Il n’a toujours pas été approuvé par le Parlement à Tobrouk et n’a donc aucune légitimité. Au lieu de faciliter la transition, il l’a compliqué davantage et a aggravé la crise. Pour en sortir, la communauté internationale doit se rendre à l’évidence et accepter d’amender cet Accord ou le repenser sur de nouvelles bases.

D’abord, il faut instaurer un nouveau dialogue interlibyen impliquant la présence d’acteurs représentatifs ayant un réel pouvoir et une influence étendue sur l’ensemble du territoire. Cela doit concerner les représentants du pouvoir à Tobrouk, y compris le Maréchal Haftar et les grandes tribus de l’Est, de l’Ouest et du Sud.

Il faut, ensuite, adopter des mécanismes simplifiés et des institutions cohérentes. L’exécutif doit être incarné par un premier ministre et un gouvernement légitimés par le Parlement de Tobrouk (la Chambre des Représentants) qui demeure, pour le moment, la seule instance élue et disposant de la légitimité issue des urnes. Pour des raisons de gouvernance, le Conseil présidentiel doit être redimensionné et ses compétences et attributions redéfinies et réduites pour ne pas entrer en concurrence et en conflit avec les compétences du Premier ministre et du gouvernement.

Soldats de l’armée nationale libyenne dans les faubourgs de Benghazi, le 14 janvier 2017. Abdullah Doma/AFP

S’il est peut-être judicieux d’avoir une institution présidentielle aux côtés du gouvernement, elle ne peut être collégiale comme c’est le cas dans l’Accord actuel. Il faut donc un président et un vice-président, voire deux vice-présidents choisis de manière consensuelle et qui symbolisent la représentation des trois entités historiques du pays : Cyrénaïque, Fezzan et Tripolitaine. Il faut surtout une claire séparation des fonctions et des organes entre le Conseil présidentiel et le gouvernement. Le Conseil présidentiel, dont la présidence doit être tournante, ne peut avoir qu’une fonction essentiellement de représentation de l’État libyen.

Par ailleurs, les compétences du Haut Conseil d’État (HCE) doivent être redéfinies afin qu’elles soient cohérentes avec ce que devrait être sa stricte et exclusive fonction consultative. La Libye ne peut supporter, sans graves dommages, un « bicaméralisme équilibré », comme celui résultant de l’Accord de 2015. Enfin, c’est à la Chambre des Représentants de Tobrouk de nommer le Commandant en chef de l’armée, conformément à la logique du système parlementaire qui est en filigrane dans l’Accord. A moins qu’on veuille aller vers un système présidentiel, auquel cas il faudra un président élu au suffrage universel et qui peut alors disposer du Commandement en chef des forces armées et en nommer le chef. Cela implique d’amender l’Accord actuel.

Initiative tripartite

La communauté internationale et l’ONU persistent à considérer l’Accord de 2015 comme étant la seule solution de sortie du marasme actuel. Or, les divisions et les violences quotidiennes montrent que la crise ne fait que s’aggraver et le rejet de l’Accord s’amplifier – ce qui contraste avec l’unanimisme d’apparence autour de ce pacte, qui a été récemment relégitimé par l’ONU.

Néanmoins, différentes pressions s’exercent actuellement de l’intérieur et de l’extérieur pour amender cet Accord et le rendre acceptable par le Parlement de Tobrouk, les tribus de l’Est et par le Maréchal Haftar, désigné Commandant en chef de l’armée nationale libyenne par la Chambre des Représentants de Tobrouk. Des tentatives de dialogue à l’intérieur du pays sont entreprises en vue de réformer l’Accord.

Au niveau international, des efforts sont déployés par les pays voisins de la Libye pour l’aider à y introduire des modifications afin de rendre l’Accord acceptable à l’Est, comme à l’Ouest et au Sud, et donc enfin applicable. L’initiative récente tripartite (Algérie, Egypte et Tunisie), qui doit déboucher très prochainement sur un sommet des chefs d’État de ces pays, est l’un des signes indiquant qu’un processus est en cours en vue d’une réforme de l’Accord de 2015.

C’est là la seule issue pacifique et négociée à la crise et l’unique moyen de sortir de l’impasse actuelle qui, si elle devait persister, plongerait le pays dans une vraie une guerre civile dont les prémices existent déjà. Etant donné les risques de désintégration du pays et des menaces de l’État islamique Daesch qui persistent en dépit de sa défaite relative à Syrte, il est urgent d’aller vers des modifications très substantielles de l’Accord politique de Skhirat.

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