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Manchester, Londres : nulle part où se cacher

Deux policiers anglais, sécurisant l’espace public lors de l’attaque terroriste de Londres, le 3 juin. EPA/Will Oliver

Alors que le Royaume-Uni panse ses plaies après l’attaque terroriste du 3 juin à Londres et élit ses députés ce 8 juin, de nombreuses personnes s’interrogent sur les raisons qui ont conduit à cet échec des services de sécurité. Un questionnement qui pourrait également porter sur ce qui devrait être fait pour éviter la répétition de tels drames, si tant est que cela soit possible. Si ces questions sont évidemment justifiées, il faut souligner que les défis auxquels les autorités britanniques sont confrontées sont immenses.

L’économie de la nuit et du loisir visée

Cette fois encore, les attentats de Londres démontrent que les terroristes disposent d’un avantage tactique déterminant. Ils sont en effet en mesure de choisir la date et le lieu de leur attaque, à partir d’un choix illimité de cibles désarmées. Se fondant dans la masse afin de passer à l’acte au dernier moment, les terroristes sont également devenus des experts dans l’exploitation des libertés offertes par les sociétés démocratiques.

Enfin, l’attaque perpétrée à Londres atteste qu’un nouveau mode opératoire, dans la lignée des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, est en train d’émerger : l’économie de la nuit et du loisir est désormais une cible. Les victimes de ces attaques – peut-être parce qu’elles sont perçues comme incarnant une culture capitaliste occidentale jugée décadente – sont souvent des jeunes qui font la fête, d’autant plus vulnérables à une attaque mortelle menée par une voiture, une camionnette ou un camion.

Ces faits suscitent une question troublante : est-il possible pour quiconque d’échapper à ce type de violence ?

Car si les autorités protègent généralement efficacement certains sites spécifiques – les bâtiments gouvernementaux, les infrastructures stratégiques ou encore les monuments les plus emblématiques –, elles ne sont pas en mesure de veiller sur tout l’espace public, à moins de confiner la population. De par leur nature même, les lieux publics bondés sont faciles d’accès, ils sont le talon d’Achille de nos sociétés.

Vue nocturne du London Bridge (novembre 2012). Paul Gravestock/Flickr, CC BY-NC-ND

La voie du Pont de Londres, dont la circulation ne fait l’objet d’aucune restriction particulière, a permis à la camionnette des assaillants d’augmenter sa vitesse pour tuer à l’impact. La mise en place de barrières de protection des piétons (ce qui a été réalisé à certains endroits) peut certes constituer une mesure préventive efficace ; toutefois, les assaillants n’auraient qu’à déplacer le lieu de leur attaque sur une des nombreuses autres rues non protégées aux alentours. De plus, le nombre de barrières pouvant être mises en place ne peut être que limité, pour des raisons budgétaires.

La modification de l’environnement urbain pour tenter de réduire le risque terroriste ou sécuritaire est l’une des mesures les plus couramment adoptées par les villes occidentales. Ces modifications visent principalement à réduire deux types de menace : les véhicules piégés, placés dans des endroits bondés ou à proximité, et les bombes à retardement ou pouvant être déclenchées à distance.

C’est ce qui justifie, notamment, la mise en place de bornes ou de jardinières permettant de restreindre l’accès à des cibles importantes (bâtiments gouvernementaux, plateformes de transport). Mais la dernière « innovation » en matière terroriste – l’utilisation de voitures et de camions visant à tuer le plus de piétons possible – échappe plus facilement à ces mesures élémentaires de sécurité.

Cela aurait pu être bien pire…

Malgré l’effroi causé par l’attaque de Londres, la situation aurait pu être bien pire. Il ne s’agissait pas, cette fois, d’un attentat-suicide (à l’explosif), mais d’une attaque suicidaire. Contrairement à l’attentat à la bombe du 22 mai à Manchester, les trois assaillants portaient des gilets explosifs factices. S’ils avaient été bien réels, le nombre de morts aurait été beaucoup plus élevé.

Les bistrots, bars et restaurants sont devenus des cibles potentielles. Dominic Lipinski/PA Wire/PA Images

En raison de la législation anglaise draconienne concernant les armes à feu, les assaillants n’ont pas été en mesure de s’en procurer, ce qui a également réduit le nombre potentiel de victimes. De plus, il n’ont disposé que de huit minutes avant que les policiers britanniques n’interviennent et ne les abattent.

Enfin, il convient de noter que la faisabilité de ce type d’attaque sur le long terme est réduite. Un groupe qui utilise à répétition le mode opératoire des attentats suicides perd, par définition, ses membres – un prix particulièrement élevé à payer.

« Les choses doivent changer »

Dans son discours suite à l’attaque de Londres, la première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a laissé entendre que de nouveaux délits concernant le terrorisme seraient institués : cette nouvelle législation viserait à criminaliser des actions liées aux attentats – comme les activités préparatoires et de soutien. Theresa May a également évoqué une possible aggravation des peines, ainsi qu’un problème qu’elle considère comme fondamental : « l’idéologie malfaisante de l’extrémisme islamiste » et la facilité avec laquelle celle-ci se répand par le biais des réseaux sociaux.

Alors que ces mesures risquent d’entamer les libertés civiques, aucune d’entre elles n’offre véritablement de solution adéquate : le prétendu effet dissuasif que pourrait avoir l’aggravation des peines est en effet absurde, puisque les assaillants les plus déterminés sont prêts à sacrifier leur vie pour leur cause.

Quant à l’idéologie, comment la traiter ? Thème central de ces attaques, le fondamentalisme islamiste repose sur des interprétations subjectives des textes islamiques, de certains de leurs passages, versets spécifiques (notamment les « versets de l’épée »), ou encore sur l’importance de concepts clefs (comme celui du djihad).

En l’absence de méthodes permettant de déterminer sans l’ombre d’un doute l’intention des auteurs des textes, de nombreuses pensées – « modérées » comme « radicales » – peuvent leur être prêtées. Cet aspect représente certainement l’un des facteurs expliquant la diversité du « monde musulman » au sens large. De ce fait, les doctrines islamiques peuvent être à la fois utilisées pour justifier la violence, comme pour la rejeter.

Les gouvernements ont encore du mal à élaborer une politique qui puisse remédier à cet état de fait. En 2011, alors ministre de l’Intérieur, Theresa May constatait d’ailleurs qu’en tentant d’interférer sur les préceptes religieux, le gouvernement britannique risquait d’être vu comme un « arbitre théologique ».

Toutes ces difficultés représentent un défi politique et sociétal terriblement complexe ; et pendant ce temps, comme nous l’ont rappelé les attentats de Manchester et de Londres, l’espace public demeure particulièrement vulnérable.

This article was originally published in English

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