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Mieux préparée grâce à l’expérience Ebola, la Guinée peut buter sur le défi du confinement

Les mesures de distanciation sociale risquent d'être difficilement applicables au vu notamment de la configuration des marchés, comme celui-ci à Conakry. Cellou Binani/Afp

Au mois de février, alors que l’épidémie semblait circonscrite en Chine, l’analyse des risques effectuée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire et ses partenaires techniques avait conclu que le risque d’importation du virus en Guinée était faible. Cela n’a pas empêché les autorités sanitaires de mettre en alerte maximale les grands points d’entrée dans le pays que sont l’aéroport et le port de Conakry ainsi que les ports miniers des préfectures de Boké et Boffa. Cette réactivité s’explique en bonne partie par le souvenir encore très récent de l’épidémie d’Ebola.

L’expérience d’Ebola

En mars 2014, le virus Ebola avait fait son apparition en Guinée, dans le petit village de Guéckédou, une préfecture de la région sud du pays, à la frontière libérienne et sierra-léonaise. La maladie s’est rapidement propagée dans les deux pays frontaliers et a touché plus des deux tiers des préfectures de la Guinée. L’épidémie a pu être arrêtée dans le pays en décembre 2015, après avoir infecté 3 811 personnes, dont 2 543 sont mortes.

Pour lutter contre la maladie, le président de la République avait déclaré l’état d’urgence sanitaire et créé une équipe nationale de coordination de la lutte contre Ebola. Cette équipe a développé une stratégie basée sur la détection des cas, leur prise en charge, la communication et mobilisation sociale, le cerclage, la désinfection des domiciles et la recherche active des cas perdus de vue.

Les expériences accumulées dans la gestion de l’épidémie d’Ebola ont aidé à définir les actions à mener pour endiguer la propagation du nouveau coronavirus. Au cours des réunions de coordination de la riposte contre le Covid-19, les stratégies initiées sont souvent justifiées en référence aux expériences issues d’Ebola.

Premièrement, l’équipe de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, qui avait aussi géré l’épidémie d’Ebola, a capitalisé sur cette expérience en démarrant la riposte plus tôt que pendant Ebola. En effet, pendant Ebola, le premier malade avait été confirmé, nous l’avons dit, en mars 2014, et c’est seulement au mois d’août que l’état d’urgence avait été déclaré. L’équipe de coordination pour la riposte contre la maladie avait été mise en place le mois suivant alors que l’épidémie avait déjà atteint son premier pic dans la région sud du pays.

Cette fois-ci, la coordination est mieux organisée autour de l’Agence, avec des pouvoirs renforcés par un décret présidentiel pour empêcher les conflits de leadership.

De plus, l’une des conséquences de l’épidémie d’Ebola a été le renforcement du système de santé avec le développement de la santé communautaire. En 2014, Ebola avait révélé au grand jour la faiblesse du système de santé guinéen. Le président a demandé l’organisation d’états généraux de la santé en vue d’établir une analyse situationnelle du système de santé. Les recommandations issues de ces travaux ont fait du développement de la santé communautaire une priorité du gouvernement.

Cette priorité a été inscrite dans la politique nationale de santé et dans le nouveau plan décennal de développement sanitaire 2015-2024, qui vise à améliorer l’accès et l’utilisation des services de santé.

Les recommandations stratégiques actuelles contre le Covid-19 encouragent fortement l’utilisation de ce dispositif public qui semble plus pérenne.

Une femme se lave les mains pour se protéger contre le coronavirus devant un bureau de vote à Conakry le 22 mars 2020 lors du référendum constitutionnel. Cellou Binani/AFP

L’expérience tirée de la lutte contre Ebola en Afrique permet d’examiner toutes les modalités de la riposte, notamment de mieux comprendre les réticences de certaines communautés face aux acteurs de la riposte.

Enfin, au lieu d’engager une campagne nationale d’emblée, les enseignements d’Ebola ont permis de privilégier, avec la mise en place de plates-formes dans les préfectures, une « approche risque » consistant à identifier progressivement les zones d’intervention.


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Le défi du confinement

La vie sociale en Guinée et, spécialement, à Conakry, se caractérise par une forte promiscuité dans les modes de vie et d’habitation. Généralement, les familles vivent ensemble dans des concessions exiguës et les membres du foyer prennent leur repas ensemble autour du même bol. Les cours sont communes, les salons fréquentés par les enfants du voisinage. Les conditions d’hygiène ne sont pas des meilleures, à Conakry par exemple : l’écoulement des eaux usées et l’utilisation de toilettes publiques sont monnaie courante.

L’insuffisance du système de transport public favorise l’utilisation massive des moyens de transport collectifs privés. Depuis quelques années, l’État annonce l’interdiction des surcharges de véhicules, par exemple en limitant le nombre de passagers à quatre pour les taxis. Mais ces mesures n’ont jamais été appliquées avec succès en raison de la corruption de la police routière. Elles constituent seulement, pour les agents, une occasion de rançonner les conducteurs indélicats.

Par ailleurs, la Guinée est un pays où plus de 50 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. De très nombreux habitants sont obligés de sortir au quotidien pour trouver de quoi vivre et faire vivre leurs familles. Les marchés publics grouillent de monde. Les stands des marchands débordent sur les rues. Les clients se bousculent pour se frayer du chemin et les vendeuses s’entassent dans des hangars.

Les mesures de distanciation sociale annoncées dans le discours du président de la République présentent des difficultés d’application au vu du contexte social de la Guinée. Un confinement des citoyens serait difficile à respecter. Si cette mesure venait à être décidée, les conséquences économiques et sociales ne se feraient pas attendre.

Le gouvernement est-il prêt à courir ce risque ? Pour le moment, les gestes barrière sanitaires sont privilégiés. Les autres mesures adoptées vont du suivi rapproché des voyageurs entrant dans le pays à la fermeture des établissements scolaires et universitaires ainsi que des lieux de culte.

Le dispositif de riposte, qui comporte un quadrillage communautaire, est également inspiré de l’expérience d’Ebola. Sous peine d’anéantir les efforts consentis, cette dynamique doit être renforcée et maintenue. Les autorités sanitaires devront également s’appliquer à surveiller de manière systématique les changements contextuels, sociaux et comportementaux pour adapter les stratégies de manière optimale.

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