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Les géants du numérique adaptent actuellement leurs applications et leurs fonctionnalités à la crise sanitaire. Koshiro K / Shutterstock

Mobilisation des GAFA contre la pandémie Covid-19 : business as usual

Il est paradoxal que les plates-formes comme Facebook, Google, Instagram, YouTube, etc. soient actuellement mises à contribution par les autorités sanitaires pour véhiculer une information sobre et factuelle sur le Covid-19.

Ces mêmes plates-formes étaient en effet, hier encore, décriées, voire vilipendées, pour leur incapacité à traiter correctement la prolifération de fake news et autres propos haineux, agressifs, complotistes, scandaleux, etc.

Mais leur place centrale et massive, à plusieurs niveaux, dans la crise actuelle, les rend incontournables. Ces entreprises à usagers massifs (Facebook, Google) sont en effet confrontées en ce moment à de nouvelles pratiques personnelles et professionnelles issues des mesures de confinement et de distanciations sociales.

Se distraire, échanger et télétravailler

Les plates-formes familières comme Facebook (WhatsApp, Messenger) ou Google (Youtube, Hangouts) sont bien sûr mobilisées quotidiennement pour des initiatives originales, souvent musicales, conviviales ou artistiques, comme ce label participatif nantais qui propose une compilation par jour pour accompagner nos séances de télétravail. Les festivals (musique, théâtre, cinéma, etc.) annulés proposent, grâce à elles, des séances en ligne. Les plates-formes de jeux en réseaux (Fortnite, Call of Duty) sont très fortement sollicitées, notamment celle de Google (Stadia). Enfin, les messageries ludiques sont parfois détournées de leur usage d’origine et se professionnalisent.

Intéressons-nous à WhatsApp (groupe Facebook) qui a quintuplé la volumétrie des données échangées entre ses 2 milliards d’usagers. Ce volume s’explique notamment par les appels vidéo et les flux échangés au sein des groupes fermés utilisés par les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants répliquant virtuellement leur classe ou leur promotion. L’e-learning, l’e-teaching, l’e-travail est plus acceptable – à la fois par les élèves et par les enseignants – quand il s’appuie, à côté des plates-formes institutionnelles, sur des outils qui sont déjà maîtrisés.

Ainsi, l’usage des applications et/ou fonctionnalités, natives ou détournées, qui facilitent le télétravail explose. Cette pratique, en ces temps d’isolement, est plébiscitée et multipliée par 7 selon le PDG d’Orange, Stéphane Richard.

Concernant les pratiques professionnelles, nous insisterons sur la force de frappe de deux de nos géants. D’une part, Amazon via sa filiale AWS qui domine le could computing grâce à ses méga-datacenters. AWS héberge nombres de plates-formes de télétravail de banques, assurances et autres industriels au travers de son offre de cloud souverain.

D’autre part, Google avec ses outils comme Google Cloud, Google Cloud Platorm ou Google Drive mais aussi grâce à la position dominante de son offre bureautique est un acteur important des solutions de télétravail. Citons aussi l’initiative opportune du géant californien qui bloque les mises à jour de Chrome afin de minimiser les bugs en cette délicate période.

Enfin, nous pouvons citer les applications Facetime et Facetime Audio développées par Apple qui s’imposent dans le secteur de la visioconférence et de l’audioconférence – à côté de Skype (groupe Microsoft), Zoom, OVH ou Whereby – dans tous les secteurs d’activités.

Concrètement, les GAFA, agiles et opportunistes, proposent des solutions, des applications et des fonctionnalités qui s’adaptent à la crise sanitaire et à ses nombreux défis. Elles doivent cependant contribuer à les installer durablement dans nos routines individuelles ou collectives.

Tout commence par une lutte encore plus efficace et massive – via des algorithmes appropriés, des barrières et de nombreux modérateurs humains – contre les fausses informations qui explosent. Ce qui est intrinsèquement catastrophique pour leur crédibilité car elles se propagent notamment sur les écosystèmes de Facebook (WhatsApp, Messenger, Instagram, etc.) et de Google (YouTube, Hangouts, etc.).

C’est pourquoi l’organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré dès le 3 février avoir travailler avec les réseaux sociaux pour endiguer le phénomène !

Multiples stratégies

En réponse à cet appel à l’aide, les géants du web ont adopté diverses stratégies. Sur Facebook, depuis quelques jours, lorsque vous recherchez les mots-clés purement factuels, vous êtes redirigé vers la page avec les toutes dernières informations du gouvernement français pour rester en bonne santé et empêcher la propagation du virus.

L’entrée du mot-clé « coronavirus » renvoie à la page des dernières informations du gouvernement sur Facebook. Capture d’écran

De même, lorsque vous faites ce type de recherche sur votre moteur de recherche Google, vous trouvez un encadré du même type nommée « Aide et Information » qui renvoie vers des sites officiels.

Google renvoie également aux informations officielles. Capture d’écran

S’agissant du géant du e-commerce, Amazon, la communication est plus discrète. Certes un bandeau avertit que, « compte tenu de la situation actuelle, nos délais de livraison peuvent être rallongés », mais le coronavirus n’est pas cité en première page. Seule une FAQ est proposée en cliquant sur un bandeau, mais elle est centrée sur les seules dispositions – rassurantes – prises par la plate-forme.

Le FAQ d’Amazon, accessible depuis la page d’accueil. Capture d’écran

Enfin, le géant de l’informatique, de l’entertainement et de la téléphonie, Apple se contente de renvoyer vers la vente en ligne et de rappeler que « Nos magasins sont fermés jusqu’à nouvel ordre. Nous tenons cependant à offrir le meilleur service possible à notre clientèle. […] Nous avons hâte de vous revoir ». Communication a minima !

Page d’accueil du site d’Apple. Capture d’écran

Ces positionnements apparaissent donc différents. Ils restent néanmoins en cohérence avec les modèles d’affaires centrés usagers/clients propres à ces quatre entreprises américaines.

Business as usual

Nous pouvons ainsi séparer les GAFA en deux groupes basés sur leur capacité à capter de la valeur. Nous constatons une stratégie proactive pour Facebook et Google et réactive pour Amazon et Apple.

Les deux premières, Facebook et Google, n’ont globalement pas de clients. Elles n’ont que des usagers, dont elles collectent un maximum de données personnelles, pour pouvoir les traiter et les monétiser.

Toutefois, elles ont des clients professionnels à qui elles vendent des espaces publicitaires dont le prix augmente en fonction du trafic qu’elles génèrent. Il leur faut donc montrer un certain niveau d’implication civique et de crédibilité informationnelle dans la lutte contre la pandémie afin de fidéliser les usagers actuels et d’attirer de nouveaux usagers.

Ensuite, ces usagers confiants et rassurés, seront incités produire du contenu et à le partager au sein de leurs réseaux pour créer mécaniquement du trafic, du partage et de la donnée. Business as usual.

Les deux dernières, Amazon et Apple, n’ont globalement pas d’usagers. Elles ont des clients qu’il faut rassurer, satisfaire et fidéliser en montrant qu’ils peuvent acheter les produits et être livrés dans des conditions quasi normales.

Batailles commerciales

Il faut donc montrer que tout fonctionne correctement avec juste quelques aménagements indispensables à la lutte contre la pandémie et quelques informations – pas trop anxiogènes – dispensées avec parcimonie. Quitte, bien sûr, à passer sous silence quelques dysfonctionnements logistiques, comme la fermeture momentanée d’un entrepôt situé dans le Queens à New York, le 20 mars, en raison d’un employé testé positivement au Covid-19. Business as usual !

Un salarié d’Amazon a été testé positif au Covid-19, entraînant l’arrêt du centre de livraison de la ville de New York (NBC New York, 19 mars 2020).

Cette crise sanitaire va durer, de nouvelles pratiques en ligne vont émerger et s’installer. Elles seront personnelles et professionnelles, individuelles et collectives, sérieuses et ludiques, marchandes et non marchandes, etc. Derrière ces pratiques et cette montée en charge, il y aura des opérateurs pour les contenants et des plates-formes pour produire, traiter et relayer les contenus.

C’est donc en ce moment que les batailles numériques commerciales se gagnent ou se perdent. Malgré la situation inédite, il convient de garder à l’esprit que les GAFA restent des entreprises privées et non des services publics ! Business as usual

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