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Lignes de codes d'un programme informatique. Markus Spiske / Unsplash

Municipales 2020 : le recours au numérique pour une campagne « sans contact »

Le 12 mars dernier a lieu la première allocution télévisée du président de la République, Emmanuel Macron, au sujet du Covid-19. Il indique alors que les élections municipales seront maintenues afin « d’assurer la continuité de notre vie démocratique et de nos institutions ». Pourtant, plusieurs experts ont bien souligné le caractère non démocratique de ce maintien qui a conduit à un taux d’abstention historique de 55,34 %, soit près de 20 points de plus qu’en 2014. Et de nombreux maires ont été élus dès ce vote : c’est le cas de 30 000 communes sur 35 000, contre 7 600 en 2014, ce qui pose la question de leur légitimité alors que de nombreux recours ont été déposés devant les tribunaux administratifs.

Cet argument de la protection de la vie démocratique a aussi été avancé par le Premier ministre le 22 mai dernier pour justifier cette fois-ci le maintien du second tour avant l’été.

Après un report de plus de 100 jours suite à la pandémie, la date du second tour a finalement été fixée au 28 juin prochain. La campagne officielle débute, elle, le 15 juin et est exceptionnelle à plus d’un titre : son rythme sera plus diffus (un mois au lieu de cinq jours) et le numérique est annoncé comme le seul moyen de faire campagne dans le contexte de pandémie actuel. En effet, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a précisé le 22 mai que cette campagne devrait être menée « différemment », en essayant de « privilégier les campagnes numériques ».

A priori, le numérique semble avoir beaucoup d’atouts pour renforcer le caractère démocratique de cette campagne : pas de contrainte temporelle ou spatiale, possibilité de pénétrer dans tous les foyers connectés, lien plus direct entre candidats et électeurs via les outils du web 2.0, etc.

Mais cela permettra-t-il vraiment de redonner un nouveau souffle démocratique à ce second tour ?

Le numérique, un outil pas si nouveau en campagne électorale

Malgré la démocratisation d’Internet et la montée en puissance des réseaux sociaux, pour certains, comme le souligne le politiste Michel Offerlé, faire campagne reste toujours « serrer des mains et tenir les murs ». Les militants ont l’habitude de se retrouver pour distribuer des tracts lors des marchés, prendre le temps de discuter lors de réunions publiques ou d’appartement ou tenter de convaincre les abstentionnistes lors de porte-à-porte ciblé. Le « tout numérique » annonce-t-il alors une campagne sans campagne ?

Utiliser Internet pour faire campagne n’est pas nouveau. Depuis le début des années 2000, les candidats ont appris à apprivoiser les dispositifs numériques pour accroître leur visibilité.

À chaque scrutin, les équipes de campagnes ont désormais recours, de manière intensive, à un outil numérique qui permet de faire parler de cette innovation (et donc de leur candidat) dans les médias.

Dès 2004, la campagne pour les élections régionales est marquée par l’usage du blog politique qui vise à rendre plus personnelle la communication politique. Le candidat s’exprime alors à la première personne du singulier pour présenter son programme et les atouts de son parcours. Cette rhétorique de la proximité est depuis fortement utilisée par les candidats lorsqu’ils développent des outils en ligne. Un des objectifs des dispositifs numériques est en effet de casser les barrières entre gouvernants et gouvernés et permettre ainsi des échanges censés être plus directs par l’intermédiaire de la technique (chat, Facebook Live, etc.).

En 2007, on se souvient bien de l’usage de la plateforme Désirs d’Avenir par la candidate socialiste à l’élection présidentielle, Ségolène Royal, pour coconstruire le programme avec ses sympathisants. 135 000 contributions ont été enregistrées sur ce site et synthétisées dans “Les Cahiers d’espérance”. Il s’agit donc d’un vrai succès en matière de participation active à une plate-forme politique. Mais Désirs d’Avenir a dû faire face à de nombreuses critiques, certains lui reprochant d’entretenir une illusion de prise en compte de la parole du militant dans les processus de décision et de surfer sur la vague de la démocratie participative.

En 2012, ce sont les réseaux sociaux – Facebook et Twitter notamment – qui prennent le devant de la scène politique, avec par exemple les « live-tweets ». L’idée est de faire parler de son candidat en ligne, d’accroître sa visibilité et de rendre visible la masse militante qui est derrière lui.

Des personnes écoutent un discours prononcé par un hologramme de Jean‑Luc Mélenchon, membre du parti de gauche La France insoumise (LFI), le 6 février 2019 à Sospel, dans le sud de la France, avant les élections européennes de mai 2019. Yann Coatsaliou/AFP

En 2017, on entend beaucoup parler du succès de la chaîne YouTube de Jean‑Luc Mélenchon qui cherche à s’adresser directement à ses électeurs sans l’intermédiaire des médias.

D’un web statique, sans interactivité, n’étant qu’une reproduction en ligne des tracts papiers, on est passé à un usage stratégique et millimétré des outils numériques avec les big data. Les partis politiques français ont ainsi progressivement intégré le numérique dans leurs stratégies de communication et de mobilisation : en l’espace de dix ans, le web n’est plus seulement un outil supplémentaire de communication pour diffuser un message, il est devenu un moyen de rendre plus efficace les campagnes électorales, en ciblant certains profils d’électeurs, à l’appui de bases de données.

Le numérique n’est pas déconnecté du terrain

Les outils de cartographie du territoire (avec des logiciels tels que NationBuilder, DigitaleBox, Explain, etc.) sont souvent complémentaires des campagnes hors ligne et permettent par exemple de cibler le porte-à-porte. Cela avait était le cas en 2012 lorsque l’équipe de François Hollande avait décidé de frapper aux portes des abstentionnistes de gauche pour les convaincre de voter pour le candidat socialiste.

Militantisme en ligne et militantisme hors ligne ne s’opposent pas sur le terrain. Au contraire, il s’agit souvent via Internet de mettre en scène le militantisme « traditionnel » et de communiquer sur les actions effectuées hors ligne par les adhérents pour rendre visible la dynamique de campagne. Les réunions publiques sont ainsi filmées et diffusées sur YouTube, les tractages et boitages photographiés et partagés sur les réseaux sociaux tels que Facebook, etc.

S’il s’agit de faire uniquement campagne en ligne, le travail sur les bases de données permet toutefois de grandement personnaliser la communication par mail. Il est alors possible de choisir les thématiques envoyées à tel électeur et de s’adresser à lui directement par son prénom pour favoriser l’ouverture du mail et sa lecture.

Les limites d’une campagne en ligne : fracture générationnelle et reproduction des inégalités

Avec le numérique, il est possible d’entrer dans tous les foyers connectés sans aucun contact physique, mais encore faut-il que le site Internet de campagne ou la page Facebook du candidat soit visité par l’électeur ou que le mail qui lui est adressé soit ouvert.

Il ne suffit pas d’avoir une communication en ligne à la pointe de la technologie pour dépasser le cercle de ses sympathisants et capter de nouveaux électeurs, notamment ceux qui ne s’intéressent pas à la politique. Seuls les individus déjà intéressés par la politique vont être en capacité de se diriger vers ce contenu politique. Cela ne va toucher qu’un entre soi déjà positionné. Cette polarisation apparaît encore plus amplifiée sur les réseaux sociaux avec l’effet de la bulle filtrante.

« Illectronisme » : la fracture sociale à l’ère du numérique, le 7 septembre 2019.

On serait enfermés dans une « bulle filtrante » qui renforcerait la « balkanisation » de l’espace public. Les fameux algorithmes de Facebook ont par exemple tendance à maximiser la polarisation des opinions, au lieu de leur proposer des points de vue alternatifs, en affichant sur les fils d’actualité des utilisateurs des articles partagés par leur cercle de connaissances, donc souvent aux vues politiques similaires.

On l’a bien vu lors de l’élection présidentielle de 2017 : malgré les millions de vues de sa chaîne YouTube, le candidat Jean‑Luc Mélenchon n’est pas arrivé à passer le second tour. Visionner une vidéo ne signifie pas adhérer aux idées du candidat ni d’ailleurs se déplacer pour aller voter. Et ces vidéos, bien que visionnées des millions de fois, ne touchent qu’une partie du corps électoral. C’est d’ailleurs une des critiques formulées à la demande du ministre de l’Intérieur de faire campagne en ligne : il y aurait des oubliés du numérique…

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