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Nationalité : élever plutôt que déchoir

Place de la République, à Paris, le 11 janvier 2015. Olivier Ortelpa / Flickr, CC BY

Les auteurs qui ont signé le texte ci-dessous ont, pour la plupart, participé à un colloque qui s’est tenu à l’Université Panthéon-Assas en 2013, consacré au « cosmopolitisme juridique ». Ce colloque a depuis fait l’objet d’une publication aux éditions Pedone, en 2015 (O. de Frouville (dir.), Le Cosmopolitisme juridique, Paris, Pedone, 2015).

Le président de la République et le premier ministre français sont à la recherche de symboles pour renforcer la cohésion sociale et redonner sens à la République, après les attaques terroristes que la France a subies. Pour ce faire, ils font confiance aux sondages qui leur indiquent ce que, croient-ils, pensent une majorité de Français. Ils vont là où le vent de la colère et de l’impatience les porte, pour des raisons sur lesquelles il ne nous appartient pas de conjecturer.

Ce faisant ils perdent de vue la question des valeurs et, voulant unifier, ils plantent les germes d’une division profonde entre Français. Une division sur la conception de la République : nationale, ancrée dans une identité historique reconstruite ; ou bien universaliste, cosmopolite, ouverte sur le monde et dont les principes sont fixés dans la devise républicaine, « Liberté, égalité, fraternité ». Des principes qui valent pour tous et dans lesquels se reconnaissent tous ceux qui, de par le monde, luttent contre le despotisme, l’ignorance, l’intolérance et le racisme.

Depuis les attentats du 13 novembre, les symboles négatifs se multiplient : la commémoration meurtrie des morts, la peur pour sa sécurité, la peur de l’autre, la conscience blessée. Aucun symbole positif, aucune perspective d’avenir, aucun signe de reconstruction. L’état d’urgence s’installe, une sorte de suspension dans le temps, une peur présente et sans fin qui n’ouvre sur aucun horizon. L’esprit du 11 janvier n’est pas mort, mais son sens semble échapper aux dirigeants.

« La cause des peuples contre le despotisme des rois »

Quelle mesure symbolique pourrait redonner vie à la République ? Plutôt que de « déchoir » de la nationalité, il conviendrait d’élever à la nationalité, dans le sens le plus fort que celle-ci a pu prendre en France. La France de 2016 devrait reprendre à son compte le décret de l’Assemblée nationale législative du 26 août 1792 et conférer la nationalité française à « tous ceux qui, quel que soit le sol qu’ils habitent, ont consacré leur bras et leurs veilles à défendre la cause des peuples contre le despotisme des rois, à bannir les préjugés de la terre et à reculer les bornes de la connaissance humaine ».

Car il est vrai que « les hommes qui, par leurs écrits et par leur courage, ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples, ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre. » En vertu de ce décret, l’Assemblée avait immédiatement conféré la nationalité française à Priestley, Paine, Bentham, Pestalozzi, Washington, Hamilton, Madison, Clarkson, Klopstock, Schiller, Kosciusko et Clootz.

Au lieu du symbole négatif de la « déchéance de la nationalité », combien serait préférable le symbole d’une France qui reconnaîtrait comme « siens » les défenseurs des droits de l’Homme qui s’élèvent contre l’injustice et contre l’oppression !

À l’opposé de l’image d’une France amère et revancharde, ce serait donner au monde l’image d’une France fière du message de liberté et d’émancipation dont elle reste, parfois, malgré elle, le symbole à travers le monde.

Ce texte a été signé par : Daniele Archibugi, directeur de recherche au Consiglio Nazionale delle Ricerche ; Pierre Bodeau, professeur à l’Université Vincennes-Saint Denis (Paris VIII) ; Benjamin Bourcier, doctorant, Université de Rouen et Université Catholique de Lille ; Stéphane Chauvier, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) Olivier de Frouville, professeur à l’Université Panthéon-Assas, membre de l’Institut Universitaire de France ; Habib Gherari, professeur à Aix-Marseille Université ; Valéry Laurand, professeur à l’Université Michel de Montaigne (Bordeaux 3) ; Louis Lourme, professeur agrégé de philosophie en classes terminales, chargé d’enseignement à l’Université Michel de Montaigne (Bordeaux 3) ; Anne Peters, professeure au Max Planck Institute-Heidelberg ; Henri-Jacques Stiker, directeur de recherche, laboratoire «Identités, cultures, territoires» Université Paris Diderot, Paris 7 ; Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, CERI, Sciences Po Paris ; Steven Wheatley, professeur à l’Université de Lancaster, Royaume-Uni

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