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Police scientifique : comment bien gérer une scène d’investigation

Policiers scientifiques au travail. Thomas Stephan / Unsplash, CC BY-SA

L’enquête qu’elle soit criminelle, civile, administrative, réglementaire, voire politique, voit les méthodes scientifiques prendre une part déterminante dans l’établissement de l’identité, des faits, des circonstances d’évènements passés, voilés d’incertitudes et de versions contradictoires par le seul vestige, historiquement fiable, que constitue la trace matérielle.

La trace est un vestige, un élément de mémoire, un vecteur transversal de connaissance dont la fonction n’est pas prédictive (comme les sciences expérimentales classiques veulent le croire), mais bien une fonction explicative la plus rationnelle pour discriminer entre propositions alternatives ou hypothèses formulées sur l’événement et son déroulement. Cette notion fondamentale est développée par ailleurs mais quelques éléments essentiels en définissent la portée et le pouvoir.

Elle ne peut être prédictive, vu qu’elle repose sur une dimension physique, matérielle, dont la causalité prend sa source dans un passé qui ne peut être revisité : elle soufre d’asymétrie temporelle. La trace existe et contient une information, qu’elle soit découverte ou non, « inventée » selon Dulong.

C’est ici que la scène d’investigation prend toute son importance avec deux questions essentielles : les lieux tels qu’ils ont été découverts (fixation de l’état des lieux) et la détection des traces comme vestiges de la présence et de l’activité des participants à l’événement. Nous n’utilisons pas le terme « scène de crime » courante dans la pratique, les médias, le langage commun, les ouvrages de fiction, car nous ne savons pas, a priori, s’il s’agit d’un crime. Le désigner comme tel introduit un biais cognitif, qui n’est pas que sémantique, remis en cause par de nombreux psychologues et juristes, en particulier aux États-Unis, après quelques affaires d’erreurs judiciaires récentes. De plus, de nombreuses enquêtes qui font appel à la science ne sont pas criminelles.

Nous abordons les questions de la fixation de l’état des lieux et de la détection des traces dans une perspective historique, et nous envisagerons l’avenir sous forme de pari ou de perspectives.

La fixation de l’état des lieux

La connaissance, l’intelligence, nos sens mis a contribution permettent souvent de comprendre rapidement une situation, d’envisager les zones d’ombre ou les éléments à trouver ou à tester. Les éléments circonstanciels provenant des premiers intervenants (allégations, témoins, dénonciations) peuvent également nourrir la réflexion et l’esprit critique.

Malgré cette compréhension, celle-ci reste hypothétique et la suite de la démarche est hypothético-déductive. C’est-à-dire que la technique, ou la procédure mise en œuvre, doit être parfaitement consciente et maîtrisée, mais la perception, qui peut être erronée, commande une précaution : une fixation de l’état des lieux.

Il s’agit de prises de vue (et de croquis), de documentation, qui situent les voies d’accès et de fuite, la position de corps, d’objets et de traces initialement perçues, sans volonté de reconstruire, ni d’interpréter. Sur le plan historique, Bertillon a systématisé l’identification des récidivistes, la prise de vue signalétique (face, profil des récidivistes) et la systématique de la documentation des lieux (avec la photographie métrique).

Fiche anthropométrique d’Alphonse Bertillon réalisée en 1912. Criminocorpus, CC BY

Les développements de la photogrammétrie, de l’informatique, et de l’imagerie numérique apportent une dimension de rapidité et une possibilité de prendre des vues multiples, souvent sans nécessité.

Ces nouvelles dimensions sont une chance, mais constituent également un risque. Malheureusement, dans de nombreux services, des images sont prises sans réflexion ni systématique et provoquent une accumulation de données gigantesque dans lesquelles il faut se créer un chemin lorsque l’enquête bute sur des obstacles ou des contradictions.

Par contre, dans une exploitation raisonnée et systématique, ces nouveaux moyens permettent de reconstruire et de modéliser, d’une part, mais constitue également un garant d’une démarche de qualité. Une documentation raisonnée et structurée permet de fixer des priorités dans des heuristiques de recherche (par exemple par le positionnement anatomique d’une trace digitale, en orientant sur une main gauche ou droite et un doigt particulier) et augmente l’efficacité de la recherche tout en diminuant la population à comparer.

La détection et le positionnement des traces permettent de les combiner dans leur exploitation et d’évaluer leur pertinence, mais également, point essentiel, de raisonner sur l’activité des participants à l’événement enquêté. L’illustration des traces détectées avant leur prélèvement, documente en même temps la surface matérielle sur laquelle la trace a été trouvée et assure, par ailleurs, la chaîne de possession (par un étiquetage et une gestion de cas appropriés). Cela constitue une assurance de qualité et permet d’éviter ou de détecter les erreurs, et dans certains cas, de détecter des manipulations frauduleuses.

La fixation de l’état des lieux n’est donc plus seulement un constat nécessaire et utile, mais participe aux fondements même de l’enquête technique en documentant, positionnant, détectant, et participe à la consolidation de la preuve technique et scientifique sous forme d’une vérification de l’assurance de qualité.

La détection et la gestion des traces

La trace, dans sa dimension matérielle, existe mais n’a aucune raison d’être si elle n’est pas détectée. De même, une trace détectée n’a aucune fonction si elle n’est pas rattachée à une présence ou une activité pertinente qui la construit comme le signe de cette présence ou de cette activité. Sa mesure et sa mise en valeur constituent ensuite l’indice matériel construit, explicatif face aux propositions ou hypothèses formulées quant aux faits.

Une démarche technico-centrique vise la multiplication des moyens techniques de détection et tout ce qui est détecté est ensuite transmis à des laboratoires spécialisés parfois, voire souvent, sans discernement, en se focalisant sur des traces potentiellement les plus singulières, mais non pertinentes.

Cette démarche systématisée a conduit à l’échec des laboratoires britanniques qui n’avaient pas intégré que c’est la trace qui devait conduire ou orienter la démarche d’analyse et non le plateau technique.

Exemple de relevés d’empreintes digitales. IRCGN, CC BY

La technique est nécessaire et permet des avancées spectaculaires, mais doit s’adapter aux problèmes à résoudre (et non l’inverse). Cette dérive s’est accompagnée également d’une dérive sémantique dommageable car ce qui est donné pour analyse est qualifié « d’échantillon », c’est-à-dire comme représentatif d’une source, choisi statistiquement, alors que ce n’est absolument pas le cas.

La trace, souvent imparfaite, est un vestige, un spécimen, qui lorsqu’il est détecté est prélevé dans son ensemble, sa représentativité quant à la source n’est qu’hypothétique et ne peut faire l’objet que d’une évaluation probabiliste. De plus l’analyse technique n’apporte aucune indication quant à l’activité.

Le lieu d’investigation présente les vestiges dans l’espace et le scientifique doit percevoir les potentiels traçogènes d’après sa compréhension de l’événement et doit focaliser son attention sur ceux-ci (voies d’introduction, voies de fuite, objets (et corps) déplacés, utilisés par les actions perçues de l’événement).

Une absence de traces à ces endroits spécifiques constitue une information essentielle que le déroulement des faits n’a pas été celui imaginé ou compris. Par contre, des traces imparfaites ou de mauvaise qualité à ces endroits seront malgré tout prélevées et analysées car leur potentiel explicatif est le plus grand. C’est une connaissance particulière du criminaliste de maîtriser le potentiel traçogène (de transfert et de persistance) de certains contacts, que ce soit d’un point de vue d’une identification de la source de ce transfert que de l’activité qui a généré le transfert.

Il s’agit d’une enquête dans le plein sens du terme où ce ne sont pas les témoins, victimes, suspects qui sont interrogés, mais le témoin matériel, le vestige, la mémoire matérielle, qui ne ment pas. Cette enquête n’est pas isolée mais doit être intégrée et coordonnée à la démarche d’enquête d’ensemble. Ce ne sont pas deux enquêtes, mais une seule enquête qui touche simultanément aux composants humains et matériels pour comprendre l’événement passé.

Chacun des ces composants peut apporter des questionnements, des perceptions critiques, mais finissent par consolider l’ensemble d’un dossier, pour fonder la preuve dont le tribunal a besoin. Pour faire une analogie, le médecin ne portera jamais un diagnostic sans avoir vu le malade et perçu les signes de la maladie. C’est pourtant ce que de nombreuses administrations et polices demandent à leurs scientifiques, alors que ceux-ci doivent voir les lieux où se trouvent les symptômes !

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