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Les bactéries résistantes aux antibiotiques présentes dans les élevages animaux peuvent contaminer l'Homme. Greg Ortega / Unsplash

Porcelet, bactéries et antibiorésistance : un trio dangereux pour la santé humaine

Chaque année en Europe, 25 000 personnes meurent des suites d’infections dues à des bactéries pathogènes multirésistantes aux antibiotiques.

La communication des pouvoirs publics, et notamment le célèbre slogan « Les antibiotiques c’est pas automatique », a permis de modifier les comportements : entre 2000 et 2015, la consommation humaine d’antibiotiques aurait baissé de 11,4 %, limitant ainsi le risque d’apparition de souches bactériennes résistantes.

On oublie toutefois souvent que 80 % des antibiotiques produits dans le monde ne sont pas utilisés en santé humaine, mais sont destinés aux animaux. Or leur utilisation a beaucoup moins diminué, et les résistances qui émergent dans les élevages peuvent se propager à l’Homme… Exemple avec le cas du cochon.

Le porcelet, un exemple emblématique

Selon Benoît Quéro, vétérinaire et maire de la commune bretonne de Pluméliau, dans le canton de Pontivy, le porcelet est un très bon exemple pour comprendre les enjeux de l’antibiorésistance chez l’animal. Pourquoi s’intéresser au porcelet ? Parce que la viande porcine représente 46 % de la viande consommée en France, et parce que l’industrie porcine est la plus grande consommatrice d’antibiotiques.

Chez les porcelets, les pathologies digestives infectieuses sont responsables de forts taux de mortalité, ce qui justifie l’emploi d’antibiotiques dans les élevages. Mais les jeunes porcs sont aussi les premières victimes de l’antibiorésistance.

En effet, comme tout jeune mammifère, le porcelet possède, durant les premiers temps de sa vie, un système immunitaire encore immature. Étant donné qu’il hérite de la flore vaginale de sa mère et consomme son lait, si celle-ci est contaminée par des bactéries résistantes, elles infectent aussi le nouveau-né. Résultat : souvent, les porcelets sont atteints de pathologies digestives résistantes, véritable casse-tête pour les vétérinaires.

Cette antibiorésistance est un enjeu majeur non seulement pour la santé animale, mais aussi pour la santé humaine. En effet, de nombreuses bactéries pathogènes sont communes à l'Homme et à l'animal, et les mêmes familles d'antibiotiques sont donc utilisées en médecine vétérinaire et en médecine humaine

Une course contre la montre

Lorsqu’un excès de mortalité lié à des affections digestives est constaté dans un élevage, la procédure habituelle est de recourir à une autopsie et une analyse microbiologique. Dans ce genre de situation, les éleveurs veulent des traitements rapides et efficaces, or ce processus prend en moyenne 72 heures, un laps de temps durant lequel la situation peut sérieusement empirer. Il est difficile, en attendant l’arrivée des résultats, de laisser les éleveurs sans aucune prescription pour leurs bêtes malades.

Pour les aider, les vétérinaires disposent d’un arsenal d’antibiotiques. Leur utilisation est méthodique et graduelle, d’autant plus que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) conseille de diminuer la prescription d’antibiotiques, pour limiter l’émergence de résistances.

Les vétérinaires disposent de nombreux antibiotiques, mais la résistance de E. coli à certains d'entre eux augmente (ce qui se traduit par une diminution de la sensibilité, indiquée ici en ordonnée). Données pathologies digestives Porc 2017 fournies par Jean-Yves Madec, Directeur Scientifique Antibiorésistance de l'ANSES (publication en cours), Author provided (no reuse)

Souvent, le premier antibiotique prescrit pour soigner les pathologies digestives chez les porcelets est l’amoxicilline. Cet antibiotique peu cher et facile à administrer est efficace contre plusieurs sortes de bactéries pathogènes, telles que les colibacilles (Escherichia coli) ou les bactéries du genre Clostridium. Il permet dans de nombreux cas de résoudre le problème sans fragiliser outre mesure les animaux. Toutefois les bactéries E. coli présentent un fort taux de résistance à l’amoxicilline (59 %). Cet antibiotique continue néanmoins à être régulièrement utilisé en raison de son faible coût et son efficacité globale.

La sensibilité à l'amoxicilline de E. coli est en chute libre, car cet antibiotique est très souvent utilisé en cas d'infection. Données Porc 2017 - J.-Y. Madec, ANSES (publication en cours), Author provided (no reuse)

La résistance à la tétracycline est également une source de préoccupation. Cet antibiotique n’est en général pas utilisé pour lutter contre les pathologies digestives, mais plutôt pour soigner les pathologies respiratoires. Son emploi entraîne toutefois des dommages collatéraux : le traitement par la tétracycline des pathologies respiratoires du porcelet provoque le développement, dans son système digestif, de souches d’E. coli résistantes (66 % de taux de résistance).

Comme l'amoxicilline, la tétracycline voit son efficacité diminuer fortement (la sensibilité d'E. coli à cet antibiotique chute). Données Porc 2017 - J.-Y. Madec, ANSES (publication en cours), Author provided (no reuse)

L’importance du réseau de surveillance

La résistance bactérienne ne se trouve pas forcément là où on l’attend. La résistance se transmet en effet facilement entre bactéries : les bactéries sensibles aux antibiotiques qui rencontrent des bactéries résistantes peuvent récupérer les gènes impliqués dans la résistance, et devenir elles aussi réfractaires aux antibiotiques.

À ce titre, les souches résistantes qui émergent dans le système digestif des animaux se retrouvent très facilement dans l’environnement, via les selles, où elles peuvent contaminer d’autres animaux ou transmettre leurs gènes de résistance à d’autres bactéries.

On comprend donc la nécessité de mettre en place un réseau de surveillance poussé et continu de l’antibiorésistance. En France ce réseau est appelé le réseau Resapath. Il est constitué de plus de 70 laboratoires, lesquels effectuent chaque année plus de 50 000 antibiogrammes.

Légiférer pour contenir l’antibiorésistance

La puissance de certains antibiotiques comme ceux appartenant à la famille des céphalosporines ou des carbapénèmes, et leur impact sur le microbiote (ensemble des espèces microbiennes présentes dans un environnement donné) est bien supérieur à celui de l’amoxicilline.

La prescription de certains d’entre eux, considérés comme des substances antibiotiques critiques (AIC), est restreinte par la loi. Elle devient de ce fait très difficile, le vétérinaire devant par exemple prouver qu'il s'agit du seul antibiotique auquel la bactérie est sensible…

En rouge, les antibiotiques classés critiques. Données Porc 2017 - J.-Y. Madec, ANSES (publication en cours), Author provided (no reuse)

L’antibiorésistance semble se stabiliser ces dernières années grâce à une prise de décision gouvernementale (vente d’antibiotiques uniquement sous prescription vétérinaire) et au respect de bonnes pratiques de la part de l’industrie pharmaceutique, de la profession vétérinaire et des exploitants agricoles.

Toutefois, si la stratégie pour combattre l’antibiorésistance en France (plan Ecoantibio 2) et en Europe est vertueuse, le problème est loin d’être réglé. D’autant moins que les bactéries ne reconnaissent pas les limites administratives…

Antibiorésistance sans frontière

Dans les pays extra-européens, la démarche qui conduit au traitement antibiotique n’est pas toujours aussi vertueuse qu’en Europe.

Alors que la pression commerciale pousse à toujours produire moins cher, il n’existe souvent pas de structures législatives pour contenir l’antibiorésistance. Par ailleurs les traitements antibiotiques peuvent parfois s’obtenir sans prescription vétérinaire. Se met alors en place une logique commerciale qui aggrave l’antibiorésistance sur le long terme : lorsque les animaux tombent malades, les éleveurs ont tendance, pour limiter ses coûts de traitements, à utiliser directement les antibiotiques les plus puissants.

Cette situation conduit à un niveau de résistance élevé à des antibiotiques de haut niveau, classés critiques par l’OMS, dont l’usage est interdit ou fortement contraint en France. La situation est particulièrement préoccupante, puisque les résistances développées chez l’animal peuvent rendre inefficaces les antibiotiques destinés à l’être humain.

Dans les pays où les contrôles sont moins efficaces, la résistance d'E. coli aux antibiotiques (ici les céphalosporines de 3ème génération) explose. Center for Disease Dynamics, Economics & Policy, Author provided (no reuse)

Dans ces pays plus laxistes, l’absence ou l’aléatoire des prescriptions vétérinaires expose en premier lieu les ouvriers agricoles, la population locale. Mais la menace concerne potentiellement toute la planète. Le monde est un vase clos, et les bactéries ne connaissent pas les frontières. L’antibiorésistance se propage avec les flux de personnes, d’animaux et de marchandises.

Malgré d’importants contrôles sanitaires, en février 2017 des bactéries résistantes aux carbapénèmes (famille d’antibiotiques interdite depuis 2016 pour les animaux de rente) ont été retrouvées en Belgique, dans des échantillons de viande de porc vendue au détail.

Par ailleurs, au-delà de ces mauvaises pratiques d’élevage et de ce manque de cadre administratif, notre propre comportement de consommation a un impact direct sur l’antibiorésistance. La demande en viande à faible coût, pour les plats transformés et les cantines scolaires par exemple, favorise ces mauvaises pratiques. Elle incite les exploitants extra-européens à perpétuer l’utilisation massive d’antibiotiques et à augmenter leurs dosages pour combattre l’antibiorésistance, laquelle, de ce fait, progresse toujours plus.

La prévention et la sensibilisation sont essentielles pour espérer briser le cercle vicieux de l’antibiorésistance.

Sensibiliser grâce à la réalité virtuelle

À l’occasion de l’édition 2018 de la Fête de la Science, l’équipe scientifique étudiante iGEM Paris-Bettencourt a présenté son expérience de réalité virtuelle « Maksim le Porcelet », développée en partenariat avec le Gamelab du CRI.

Cette expérience pédagogique présente l’histoire d’un petit porcelet atteint de diarrhée. Afin de le sauver, le public est miniaturisé, armé d’un pistolet-pipette à antibiotiques puis projeté dans colon de Maksim pour aller combattre les bactéries pathogènes, à l’échelle microscopique.

Le jeu est suivi d’une discussion sur les enjeux de l’antibiorésistance tels qu’expérimentés pendant l’expérience. La rencontre se termine par une petite explication sur projet de recherche fondamentale en biologie synthétique sur les peptides antimicrobiens, une famille de molécule alternative et prometteuse pour combattre l’antibiorésistance.

Un questionnaire avant/après a également été conçu, afin de récolter des données concernant l’opinion du public à propos de l’antibiorésistance, ainsi que pour améliorer l’expérience de réalité virtuelle.


Sous la direction de leur professeur Edwin Wintermute, les étudiants de l'équipe iGEM Paris Bettencourt 2018 évoquent ici une expérience de réalité virtuelle sur l'antibiorésistance, « Maksim le Porcelet ». Ces travaux ont été retenus à l’occasion de la iGEM Giant Jamboree 2018.

Ont également participé à ce travail Ariel Lindner (co-fondateur du CRI), Gayetri Ramachandran (post-doctorante) ainsi que Alexis Casas, Antoine Levrier, Santino Nanini, Camille Lambert, Elisa Sia, Juliette de Lahaye, Naina Goel, Maksim Bakovich, Annissa Amezziane et Darshak Bhaat (membres d'iGEM Paris-Bettencourt).

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