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Des partisans de l'opposition chantent et dansent lors d'un meeting avant le procès de leur leader, Ousmane Sonko, à Dakar, le 14 mars 2023. JOHN WESSELS/AFP via Getty Images

Pouvoir et liens interethniques au Sénégal : Ousmane Sonko, héritier de son grand-père

Depuis au moins 2021, le patronyme Sonko est devenu un nom de famille digne d’intérêt dans l’espace politico-médiatique sénégalais. Aussi bien dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux, le degré d’attention comme d’indignation porté sur l’homme politique Ousmane Sonko trahit une certaine propagande politique.

Écarté de l'élection présidentielle du 24 mars, Ousmane Sonko, au cœur d'un feuilleton politico-judiciaire depuis plusieurs années, a misé sur la candidature du Sereer Bassirou Diomaye Faye, son lieutenant. Sonko a été arrêté et détenu en juillet 2023 pour plusieurs chefs d'inculpation.

Comme son leader, Faye était également poursuivi pour “outrage à magistrat” et “diffamation”, entre autres. Ils ont été tous les deux libérés, le 14 mars, à la faveur d'une loi d'amnistie portant sur les faits liés aux manifestations politiques ayant secoué le pays entre février 2021 et février 2024.

Il y a une forme d’endoctrinement, pour ce phénomène de médiatisation de Sonko, avec un narratif tendant à représenter en bien ou en mal le personnage.

La couverture médiatique parfois très critique opte pour une ligne discursive sur le vivre ensemble sénégalais. Il s’agit de s’ériger en “défenseur de la République et contre l’ethnicisme” en alertant sur le phénomène Sonko. Il bénéficierait d’une indulgence coupable, une sorte de “pacte de soutien conclu aveuglément par les élites casamançaises”; singulièrement par les “Diolas et le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC, indépendantiste)”.

Une révélation aux “relents ethnicistes et régionalistes jugés totalement irresponsable dans un contexte marqué par des violences extrêmes”. En effet, les Sénégalais ont cultivé un modèle du vivre ensemble qui permet de mettre en avant certaines valeurs qui fondent leur nation, des garde-fous contre toute mise en péril de la cohésion sociale et qui rappellent le caractère uni et indivisible de la nation sénégalaise, de son “pluralisme intégrateur”.

Avant même la naissance d’une “pensée politique citoyenne” qui entend promouvoir l’idée de cette unité nationale, il existait dans la mémoire collective sénégalaise un “imaginaire interethnique” avec les cousinages à plaisanterie transposés en “imaginaire national”. Le mythe de la barque (Sunugal/ Sénégal) des jumelles Aguène et Diambone dont la séparation serait à l’origine de la parenté Joola(Diola)/Séreer, deux groupes ethniques du Sénégal. Certes promu dans le contexte d'un nationalisme en crise face au séparatisme casamançais, il a un ancrage culturel ancien qui fonde la relation entre les occupants des deux rives du fleuve Gambie.

Voilà une légende prise très au sérieux en Casamance avec la dette de sang entre Diolas et Sereers que respectent les premiers. Ainsi, à côté du narratif souverainiste du MFDC, les populations diolas ont de tout temps, à l’image d’Arfang Bassire/Bessire Sonko, su compter sur leurs “cousins” Sereer dans leurs combats politiques internes. Arfang Bessire Sonko, le grand-père d’Ousmane Sonko, chef de canton de la colonie du Sénégal dans une Casamance (1908-1946) encore réfractaire à la manifestation de l'Etat colonial a pu réussir sa mission auprès des siens en intronisant ses “cousins” Sereers venus du nord. Il n’apparaissait pas comme un illustre fils de la Casamance “oublié par le Sénégal” aux yeux du MFDC d’alors.

En tant que promoteur de “l’école forcée” du colon, il a été combattu, mais il contribua à jeter les bases d’un destin commun entre le Sénégal et la Casamance au moment où se posaient les débats sur l'avenir des configurations territoriales issues du dispositif colonial.

Je suis enseignant-chercheur en histoire moderne et contemporaine spécialiste des questions mémorielles (Sénégal-Gambie-Guinée-Bissau) et sur l'évolution des institutions traditionnelles africaines. Dans cet article, j'explique comment le choix porté sur Bassirou Diomaye Faye entre en droite ligne des pratiques du grand-père de Sonko, chef de canton pendant la période coloniale.

Mise en contact de deux “mondes”

A l’image du processus de colonisation, la carte de l’école coloniale est marquée par une sorte d’inégalité entre les zones scolarisées. Ces disparités sont souvent révélatrices, comme en Casamance, du rôle joué par différents acteurs locaux. Et parmi ces promoteurs de l'école coloniale, on retrouve Arfang Bassire Sonko, chef d’un des cantons (subdivisions coloniales) dans la région sud du Sénégal qui n’hésita pas à chicoter pour contraindre ses administrés à envoyer leurs enfants à l’école.

D’ailleurs, rares étaient les Casamançais autochtones qui acceptèrent cette collaboration avec le pouvoir colonial dans le développement de l’école qui apparaissait comme un instrument de la domination. Pour relever le défi de l'école, il fallait compter sur le cousin Séreer casamancisé, c'est-à-dire, à qui l'on donne un patronyme local.

Ce phénomène de casamancisation des patronymes pour permettre à des migrants de devenir autochtones coïncidait avec l’installation des Africains “allochtones” en Casamance et l’apparition de chefs allogènes qui exerçaient des fonctions administratives que les populations locales réfractaires à la présence coloniale ne voulaient pas occuper. Contre vents et marées, le grand-père Sonko avait ainsi très tôt participé à jeter les bases de l’unité des Sénégalais.

Faiseur de roi Sereer

Sereers et Diolas plaisantent sur qui est “chef” et qui est “serviteur ou esclave” de l’autre. Pour autant, on retrouve dans les traditions diolas un pacte de dette de sang qui fait qu’il est interdit par exemple de verser le sang d’un Séreer. Cette alliance joue beaucoup en Casamance où les deux groupes partagent certains patronymes.

Le patronyme Senghor du poète président (Léolpold Sédar Senghor), promoteur du cousinage à plaisanterie, aurait plus d’ancrage casamanço-bissau-guinéen. Cela avait-il joué dans la carrière de l’homme politique en Casamance ? Rien n’interdit de le croire.

Les noms de familles participent de cette facilitation du “contact des mondes” Sereers et Diolas. Arfang Bessire Sonko par exemple avait l’expérience des contacts en tant que commerçant itinérant, ce qui lui avait permis de se convertir à l’Islam, de se mandinguiser, en perdant son authenticité diola pour devenir Mandingue (Socé) – en référence à ce groupe qui apporta l’Islam. Il était facile pour lui de servir dès 1908 le pouvoir colonial en tant que chef de village promu chef de canton en 1925.

Sa communauté étant dans la résistance, la mémoire collective voudrait qu’il s’entourât de ses amis et parents “Sonko” élargis aux Séreers. Obnubilé par le résultat, il a participé au développement des infrastructures scolaires et routières dans la zone. Néanmoins, ses méthodes jugées trop autoritaires sont mises en cause par ses propres administrés. Il dût quitter en 1946 emporté par “la multiplication des plaintes témoignant du mécontentement des populations et l’émergence des nouvelles élites issues de l’école coloniale” dont il a beaucoup contribué à l’implantation.

Un partisan de la coalition des candidats anti-establishment brandit un portrait devant une bannière du candidat présidentiel Bassirou Diomaye Faye lors d'un rassemblement de campagne à Dakar le 10 mars 2024. JOHN WESSELS/AFP via Getty Images

Ecole et tensions politiques

Le départ d’Arfang Bessire Sonko coïncide en réalité avec une période où le chef de canton perdait son rôle de promoteur de l'école. Cependant, au fil du temps, avec la transformation du paysage politique sénégalais, les conseillers territoriaux et les représentants des partis politiques se sont emparés de la question scolaire.

Mais on retrouve dans les archives du MFDC une riche mémoire collective, une critique envers celui qui est accusé d’avoir favorisé la multiplication de chefs allochtones au détriment des locaux. La “sonkoisation” patronymique des allochtones faisait dire par médisance que le patronyme “Sonko” n’était plus Diola mais Séreer.

Bien ironique que plus de 60 ans plus tard, Ousmane Sonko – petit-fils d’Arfang Bessire Sonko, celui qui contribua à la manifestation de l’Etat dans la colonie du Sénégal en Casamance, est traité d'indépendantiste casamançais; alors que son grand-père était critiqué pour sa promotion de chefs allochtones Sereers.

Malgré tout – bien que renvoyé à l’équation de sa casamancité dans le Sénégal dont rêvait son grand-père - le même Ousmane Sonko qu'on traita de séparatiste, voire d'ethniciste pour avoir dit que le président Macky Sall n'aimait pas la Casamance, a choisi un cousin Sereer Bassirou Ciomaye Faye comme candidat à la présidentielle.

En effet, depuis qu’il est apparu avec son parti les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF), comme prétendant sérieux à l’élection présidentielle de 2024, Ousmane Sonko n'a cessé de subir une certaine critique qui instrumentalise le conflit casamançais.

Les partisans politiques du régime en place n’hésitent pas à “l’accuser – ” implicitement ou explicitement - de frayer avec les rebelles casamançais. On est allé jusqu'à évoquer la présence de “rebelles armés, affiliés au Mouvement des forces démocratiques de Casamance)”, qui seraient venus à son soutien lors de la crise politique de mars 2021 qui avaient fait 14 morts.

Or, du fait de l’histoire de ses origines, de sa famille, qu'il ne faut certainement pas dissocier de sa quête politique pour la nation, Ousmane Sonko paraît plus comme le symbole d’un Sénégal au pluralisme intégrateur, d’un cousinage à plaisanterie performatif qu’il faut certainement aller chercher dans les traditions et raviver au nom de la cohésion sociale.

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