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Primes individuelles : comment éviter que le salarié ne se sente manipulé ?

Le collaborateur peut notamment percevoir les tâches qu’il réalise comme ennuyeuses ou dépourvues d’intérêt après l’attribution d’une prime. Roman Samborskyi / Shutterstock

Si les comportements valorisés par l’organisation sont évalués, mais jamais récompensés, les collaborateurs risquent de percevoir ce message comme contradictoire au point de se désengager.

Pour autant, une récompense peut être considérée comme un moyen de contrôle et peut amener les individus à se focaliser sur ce pour quoi ils sont récompensés : les efforts mis en œuvre leur permettront d’obtenir la récompense sans être associés au plaisir de réaliser la tâche.

Dans ce cadre, les rémunérations vont anéantir l’autonomie de l’individu, diminuer sa motivation et réduire ses performances. La rémunération va évincer la motivation intrinsèque si l’individu la perçoit comme un moyen de contrôle : c’est l’effet d’éviction (crowding-out effect).

Motivation autonome ou contrôlée ?

Dans ce cas, l’autodétermination et l’estime de soi seront diminuées. Ainsi, les primes directes sur performance auraient davantage intérêt à être utilisées pour faire accepter la réalisation de tâches routinières, ingrates, d’exécution à forte cadence, simples et non passionnantes.

Comme nous le rappelle la théorie de l’autodétermination, les récompenses en relation avec les performances vont diminuer l’autonomie, car au lieu de travailler pour le plaisir qu’il attribue à son activité (motivation autonome), le collaborateur va travailler dans le seul objectif d’obtenir cette récompense (motivation contrôlée).

En raison de l’attribution d’une prime, le collaborateur peut interpréter la tâche à réaliser comme ennuyeuse ou dépourvue d’intérêt. Le salarié peut en effet avoir le sentiment d’être manipulé par cette prime pour réaliser une tâche que personne ne veut faire. De plus, le collaborateur peut considérer la prime comme un moyen, fourni à son supérieur, de contrôler son travail.

Les travaux du prix « Nobel » d’économie Jean Tirole viennent en appui de cette théorie. Ils concluent à l’existence d’une frontière entre les incitations perçues comme contrôlantes (contreproductives) et celles perçues comme un signal de la difficulté de la tâche (reconnaissance d’une compétence) qui sont, pour leur part, susceptibles d’augmenter la motivation intrinsèque.

Effets « destructeurs »

Une étude déjà ancienne différencie le rôle informationnel ou contrôlant véhiculé par l’administration des récompenses contingentes aux performances. Cette étude considère deux groupes qui se différencient par le message véhiculé par la récompense.

Le message envoyé au premier groupe est le suivant : « vous recevrez une récompense si vous obtenez de bons résultats » (contexte contrôlant de la récompense). Pour sa part, le deuxième groupe reçoit le message suivant : « vous recevrez une récompense si vous travaillez aussi bien que vous le pouvez » (contexte informationnel de la récompense).

Les résultats montrent que les personnes placées dans un contexte de surveillance sont moins intrinsèquement motivées et déclarent ressentir plus de pressions et de tensions que les sujets du deuxième groupe.

Les effets « destructeurs » des récompenses intrinsèques ont été démontrés par certains travaux, mais cette vision a évolué et elles apparaissent désormais comme compatibles avec la motivation intrinsèque lorsqu’elles valorisent et soutiennent la compétence ou des tâches intrinsèquement motivantes.

Une étude récente souligne qu’il est illusoire de mettre en place des primes dans le but de modifier durablement des comportements. Les managers doivent s’attacher à mener d’abord un travail de fond dans l’entreprise pour mettre en place des conditions organisationnelles qui favoriseront la motivation autonome. Les primes individuelles pourront ensuite être utilisées comme outil de reconnaissance des salariés avec comme conséquence, à ce moment-là, des performances individuelles accrues.

Les effets « destructeurs » des récompenses ont été largement démontrées par la recherche. Antonio Guillem/Shutterstock

Force est de constater que peu de managers de proximité ont la main sur le montant des primes distribuées. En revanche, ils sont en première ligne pour énoncer le message qui accompagne la distribution de la prime. Ils ont donc la capacité à amener leurs subordonnés à percevoir une prime sur performance comme un moyen de contrôle ou comme une information sur leurs compétences.

Penser autrement la rémunération

À partir de là, si la prime est perçue comme un moyen de contrôle, elle diminuera le sentiment d’autonomie et donc la motivation intrinsèque et viendra diminuer les performances au travail.

À l’inverse, si la récompense est attribuée sans sentiment de pression ou de contrôle et véhicule un message positif sur les besoins individuels fondamentaux (sentiment de compétence, d’autonomie, d’appartenance sociale), elle favorisera la motivation intrinsèque et les comportements positifs au travail. Plus que le type de rémunération mobilisé, ce sont donc le management et le message véhiculé par la rémunération qui ont de l’importance.

En lieu et place des primes, d’autres mécanismes de rémunération peuvent être envisagés. Ainsi, la rémunération basée sur la compétence permettrait d’améliorer la polyvalence, la créativité, la motivation à acquérir des habiletés et à les améliorer, l’implication organisationnelle, la satisfaction, l’assiduité au travail et la rétention des salariés.

En effet, l’efficacité de la rémunération des compétences tient à une augmentation des performances individuelles et à l’amélioration des attitudes au travail. Une rémunération basée sur les compétences et/ou un plan de rémunération basé sur des objectifs définis lors d’une consultation entre le subordonné et le supérieur sont de nature à favoriser la motivation autonome et les performances.

Concrètement, dans le cadre des entretiens annuels, il s’agit de sensibiliser les managers à l’importance de dialoguer avec leurs subordonnés de manière à favoriser la prise d’initiative, l’autocontrôle, la responsabilisation et la qualité des échanges réciproques.

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