Menu Close
Deux visages présentés côte à côte, celui de droite étant une version déformée de celui de gauche
La prosopométamorphopsie déforme la perception des visages. Pour la première fois, des représentations précises, comme celle illustrant cet article, ont pu être réalisées. A. Mello et al.

Prosopométamorphopsie : Quand le cerveau ne perçoit plus que des visages distordus

Si vous avez déjà eu l’occasion de contempler les portraits peints par Pablo Picasso ou Francis Bacon, vous ne serez probablement pas surpris d’apprendre que selon certaines hypothèses, ces deux artistes pourraient avoir souffert de troubles affectant la perception des visages.

Le trouble visuel que je vais vous présenter ici est particulièrement déroutant. La prosopométamorphopsie (PMO) est une affection qui modifie la façon dont sont vus les visages : les personnes qui en souffrent ne perçoivent plus que des visages déformés, qu’elles décrivent parfois comme d’apparence « démoniaque ».

Considérée comme extrêmement rare, la PMO ne doit pas être confondue avec la prosopagnosie, qui se traduit quant à elle par des difficultés plus ou moins marquées de reconnaissance des visages, mais sans aucune distorsion visuelle.

Les personnes souffrant de PMO perçoivent les visages comme étirés, coulants, mal placés, et même plus petits ou plus grands que la normale. Ces distorsions peuvent concerner l’ensemble du visage, uniquement un côté, ou être restreintes à des structures spécifiques, comme le nez et la bouche. Dans la plupart des cas, ces distorsions altèrent non seulement les visages des personnes alentour, mais aussi les images et représentations de visages, que ce soit sur papier ou sur écran.

Il devient dès lors difficile, pour les individus atteints, d’évaluer l’exactitude des illustrations censées représenter ce qu’elles voient, car l’illustration elle-même censée représenter leur vision des choses apparaîtra déformée elle aussi… Cette situation complique beaucoup la tâche des chercheurs qui tentent de comprendre les tenants et aboutissants de la PMO…

Une communication récente décrivant le cas clinique d’un homme de 58 ans atteint par la maladie pourrait cependant éclairer d’un jour nouveau la maladie. Désigné par les initiales VS, ce patient vit depuis 31 mois une situation peu enviable : tous les visages des personnes de son entourage sont déformés, étirés, « démoniaques ». Mais il présente toutefois une étonnante particularité par rapport aux autres cas connus : VS perçoit en effet sans aucune distorsion les représentations de visages sur écran ou sur papier.

Grâce à lui, les scientifiques ont pu mieux comprendre comment la maladie affecte la perception. Explications.

Quelles sont les causes de la prosopométamorphopsie ?

Contrairement à la prosopagnosie, qui peut être acquise (par exemple, par le biais d’une blessure entraînant une lésion au cerveau) ou bien trouver son origine durant le développement embryonnaire (elle est alors présente dès la naissance), la PMO semble uniquement se produire suite à la survenue d’un problème cérébral.


Chaque mardi, notre newsletter « Et surtout la santé ! » vous donne les clés afin de prendre les meilleures décisions pour votre santé (sommeil, alimentation, psychologie, activité physique, nouveaux traitements…)

Abonnez-vous dès aujourd’hui.


En 2021, des chercheurs néerlandais ont examiné 81 cas de PMO publiés dans la littérature scientifique. Les causes identifiées comme associées à la pathologie se sont avérées diverses, puisque cette dernière pouvait résulter de la survenue d’un infarctus cérébral (perturbation du flux sanguin dans une région du cerveau), d’un accident vasculaire cérébral hémorragique (saignement dans le cerveau), de complications chirurgicales, d’une blessure à la tête ou encore d’une tumeur cérébrale. Dans 24 % des cas, cependant, aucune anomalie cérébrale structurelle n’a pu être mise en évidence. Chez ces patients, la PMO s’est avérée associée à d’autres affections, telles que l’épilepsie, la migraine et la schizophrénie.

Point rassurant, dans la majorité des cas, les personnes atteintes de PMO semblent se rétablir de leur condition. Ce rétablissement, qui peut être complet ou partiel, découle parfois de la prise de traitements destinés à prendre en charge la cause sous-jacente (antiépileptiques, chirurgie pour retirer une tumeur cérébrale…). Certaines personnes semblent néanmoins également se rétablir sans aucune intervention. Le temps de récupération varie de quelques heures à quelques années, la durée typique étant souvent comprise entre quelques jours et quelques semaines.

La reconnaissance des visages n’est pas affectée

Malgré les distorsions dramatiques de la perception qui affectent les personnes atteintes de PMO, ces dernières ne semblent que très rarement perdre la capacité de reconnaître les visages. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les patients peuvent se fier à d’autres indices pour faciliter l’identification des individus, en reconnaissant par exemple leur voix ou leurs vêtements. Par ailleurs, chez certains malades, les distorsions ne surviennent pas immédiatement, mais après quelques minutes passées à regarder un visage, ce qui leur permet d’identifier l’interlocuteur à qui ils ont affaire.

Les chercheurs ont également tenté de déterminer comment des distorsions semblables à celles qui se produisent lors de la PMO pourraient affecter la reconnaissance faciale de personnes non atteintes par la pathologie. Ils ont découvert que la distance entre le spectateur et le visage joue un rôle significatif dans la précision avec laquelle les visages déformés sont reconnus.

Fin mars 2024, la publication d’une description de cas clinique par des chercheurs du département des sciences psychologiques et du cerveau du Dartmouth College, à Hanover, aux États-Unis, a permis d’améliorer encore la compréhension de la PMO. C’est ici qu’entre en scène VS, le patient présenté plus haut. Atteint d’une lésion située dans son hippocampe (une région du cerveau principalement associée à la mémoire), il ne prenait aucun traitement au moment où il s’est présenté au laboratoire pour faire évaluer son cas.

(dans la publication décrivant ce cas, on peut lire que VS avait « des antécédents de troubles affectifs bipolaires et de stress post-traumatique. En outre, il avait subi à l’âge de 43 ans un traumatisme crânien important ayant entraîné une hospitalisation. Il avait également possiblement souffert d’une intoxication au monoxyde de carbone qui se serait produite 4 mois avant l’apparition de ses symptômes », ndlr).

Depuis 31 mois, VS voyait les visages des gens comme étirés, et parcourus de profonds sillons (selon ses propres mots, ces visages lui semblaient « démoniaques »). Selon lui, si ces distorsions s’étaient avérées initialement très pénibles à vivre, il avait néanmoins fini par s’y habituer. Elles ne l’empêchaient pas de reconnaître les visages des personnes qu’il connaissait. Point très intéressant : les images faciales représentées sur papier ou sur écran demeuraient inchangées pour lui, il ne les percevait pas distordues.

Les chercheurs ont mis à profit cette caractéristique pour déterminer précisément les modifications de perception expérimentées par VS. Ils lui ont pour cela présenté des participants dont il a regardé le visage, puis lui ont fait regarder sur un écran d’ordinateur des photographies des visages desdites personnes, prises dans les mêmes conditions de luminosité. En regardant alternativement les individus présents puis les photographies de leurs visages, VS a pu fournir aux scientifiques une description précise des perturbations visuelles qu’il expérimentait. Ceux-ci ont pu, grâce à un logiciel de retouche d’image, modifier chaque photo grâce pour la faire correspondre en temps réel aux commentaires du patient.

Photos masculines et féminines à côté de l’image générée par ordinateur des distorsions
Images générées par ordinateur des distorsions d’un visage masculin (en haut) et d’un visage féminin (en bas), telles que perçues par le patient VS. A. Mello et al.

Les chercheurs ont ainsi pu, pour la première fois, recréer des visualisations photoréalistes des distorsions perçues par les personnes atteintes de PMO, permettant ainsi de mieux se rendre compte de la façon dont elles voient ceux qui les entourent.

Les distorsions perçues par VS semblaient également être affectées par la couleur. Les chercheurs ont proposé à VS d’observer des visages à travers des filtres plastiques colorés. Ils ont constaté que les filtres verts diminuaient les distorsions par rapport à celles perçues lors d’observations sans filtre, tandis que les filtres rouges les intensifiaient. Ces résultats indiquent que le port de lunettes équipées de filtres colorés pourrait être envisagé afin de réduire les distorsions faciales dans la PMO. Ils suggèrent aussi que la couleur pourrait affecter la manière dont nous percevons la forme des visages.

Que peut nous apprendre la PMO ?

L’accumulation de nouvelles connaissances sur la PMO améliorera probablement notre compréhension des mécanismes impliqués dans la reconnaissance des visages.

À ce sujet, de nombreuses questions demeurent encore sans réponse : comment le cerveau humain se représente-t-il les visages ? Quelles sont les régions cérébrales impliquées ? Il reste encore également beaucoup à apprendre sur la nature spécifique des distorsions qui surviennent dans la PMO : que nous disent-elles du fonctionnement du cerveau ? Pourquoi disparaissent-elles spontanément dans certains cas, mais pas dans d’autres ?

Troublante et fascinante, la PMO est une affection rare. Si vous pensez en souffrir, n’hésitez pas à me contacter (l’auteur de cet article est anglophone, ndlr). Pour finir, rappelons que les personnes qui souffrent de PMO ont conscience que leur vision est différente de celle des autres. Ils ne pensent pas que le monde autour d’eux est réellement déformé.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,700 academics and researchers from 4,947 institutions.

Register now