Menu Close

Quand l’odorat influence l’insuline : une clé pour mieux comprendre l’obésité ?

Deux souris dont une obèse.
Chez les souris obèses, le système d'activation de l'insuline via l'odorat ne fonctionne pas. Crwr/Shutterstock, CC BY-NC-SA

À table ! Notre vie est rythmée au quotidien par trois repas journaliers qui apportent l’énergie nécessaire à nos cellules pour leur fonctionnement. Alors qu’elle semble être automatique et facilement régulée au premier abord, la prise alimentaire pendant les repas est régie par des mécanismes cérébraux et corporels complexes et encore méconnus. Pour une régulation harmonieuse du niveau d’énergie, un ensemble de signaux nerveux et hormonaux met en communication dans les deux sens le cerveau et le reste du corps, notamment les organes importants pour la régulation du niveau d’énergie corporelle comme le pancréas, le tissu adipeux, le foie ou les intestins.

Il est connu que ces signaux internes, dont l’insuline, fonctionnent mal dans les cas de maladies métaboliques telles que l’obésité ou le diabète de type 2. En plus de ces signaux internes, l’alimentation est fortement marquée par les stimulations sensorielles externes (senteurs, saveurs, couleurs et formes, textures et sons dans la bouche) qui sont intégrées par le cerveau pour bien appréhender les aliments ingérés. Dans ce contexte, nous étudions au laboratoire les mécanismes qui lient la perception des odeurs aux modifications métaboliques du corps, notamment à la régulation de l’insuline. Nous venons de découvrir, chez la souris, l’existence d’une nouvelle voie de communication entre le cerveau et le reste du corps, plus précisément, entre le système olfactif et le pancréas : le fait de détecter une odeur de nourriture à jeun déclenche la production d’insuline.

Revenons à table, ou plutôt à la dizaine de minutes qui précèdent notre entrée à table ou notre arrivée à la cantine. Quand le corps est en manque d’énergie, typiquement quand nous sommes à jeun avant midi, nous sentons le vide de notre estomac et un attrait pour tous les aliments, surtout ceux chargés en énergie, en sucres et/ou en gras.

La digestion est préparée par le corps bien avant le repas

À jeun, on dit souvent qu’on salive à l’idée de manger un bon repas. Mais cette salive n’est pas essentiellement liée à une envie de manger, mais plutôt à la préparation des enzymes de digestion dans la bouche pour commencer à découper au niveau moléculaire la nourriture qui sera mise en bouche quelques minutes plus tard.

Pendant cette phase précédant d’une dizaine de minutes le début du repas, appelée aussi phase céphalique, notre métabolisme énergétique corporel se prépare à l’arrivée du repas, c’est-à-dire, vu du corps, à une forte quantité d’énergie dans un temps très bref, notamment sous forme de sucres, ce qui va perturber notre glycémie (pensons aux shoots d’énergie des fast foods). Or notre taux de glucose sanguin, comme notre température ou notre tension artérielle, doit être maintenu constant : on parle d’homéostasie glucidique. Un excès de glucose sanguin, défini comme hyperglycémie chronique, représente une rupture de cette constance et mène le patient adulte à un diabète de type 2. Cette pathologie qui touche plus de 3 millions de Français est une des conséquences les plus fréquentes de l’obésité, qui touche, elle, 17 % de la population adulte.

Comment l’organisme peut-il diminuer la glycémie, ou, mieux, se préparer à la diminuer ? C’est l’insuline, une hormone pancréatique qui a ce rôle clé : une fois libérée dans le sang, elle induit une diminution des taux de glucose en agissant sur un ensemble de tissus cibles, comme les muscles, le foie ou le cerveau. Cette hormone est également libérée pendant la phase précédant le repas, la phase céphalique, à des quantités moindres que pendant le repas, mais elle reste essentielle à la préparation du corps à l’arrivée de fortes quantités d’énergie. Quelques études ont montré que les stimulations sensorielles sont considérées comme signaux déclencheurs pour la libération anticipatoire et préparatoire d’insuline, mais les mécanismes cérébraux provoquant cette libération n’étaient pas connus jusqu’à présent.

Découverte d'une nouvelle voie de régulation métabolique

Nous avons reproduit au laboratoire la scène de l’attente de la cantine chez des souris au poids normal ou en situation d’obésité (sous régime hypercalorique, gras et sucré, un peu comme au fast food). Nous avons présenté une odeur d’aliment attrayant, un cookie odorisé au beurre de cacahuète, à ces souris qui avaient appris avant le test à associer l’odeur au cookie avec cet aliment qui a du goût, on dit aussi un aliment palatable. Nous avons alors mesuré la quantité d’insuline circulante chez les souris en prélevant une petite goutte de sang. Nous avons observé que la présentation de l’odeur alimentaire avant l’arrivée du cookie a pour conséquence d’augmenter l’insuline en phase céphalique chez les souris au poids normal, mais qu’elle est inefficace chez les souris obèses. Ces dernières ne sont pas donc pas en situation de se préparer correctement au niveau métabolique à l’ingestion d’une nourriture très chargée en calories.

Pour aller plus loin dans la compréhension des mécanismes cérébraux responsables de l’augmentation préparatoire d’insuline en phase céphalique, nous nous sommes intéressés au bulbe olfactif, une structure cérébrale commune à tous les mammifères, qui se trouve entre les deux yeux, juste au-dessus de la base du nez. Cette structure reçoit les informations qui lui proviennent des détecteurs olfactifs que nous avons dans le nez. Elle est aussi une gare de triage des informations olfactives : elle permet de coder les cartes d’identité olfactives et de les distribuer à des centres de traitement de la mémoire, des émotions et du plaisir.

Les neurones de cette structure cérébrale sont très sensibles aux changements des états énergétiques, par exemple, à jeun, ils sont très fortement activés par les odeurs. Mais nous ne savions pas encore si cette structure pouvait réguler le métabolisme énergétique, en contrôlant par exemple les variations de l’insuline. Dans le bulbe olfactif, pour mieux comprendre les mécanismes qui peuvent être à l’origine de la régulation de l’insuline, nous avons ciblé un nouveau système cérébral, celui du GLP-1 (pour Glucagon Like Protein-1). Cette molécule avait été initialement décrite comme une hormone intestinale renforçant la libération et les effets de l’insuline. Elle avait été aussi récemment décrite comme étant synthétisée par des neurones cérébraux, dont ceux du bulbe olfactif, mais son rôle fonctionnel était inconnu.

Par des techniques pharmacologiques ou génétiques, nous avons bloqué l’activité du système GLP-1 dans le bulbe olfactif, ce qui a eu comme effet de diminuer la quantité d’insuline circulante en réponse à l’odeur alimentaire de beurre de cacahuète chez des souris au poids normal. De plus, le blocage de l’activité du nerf vague, qui contrôle la libération d’insuline par le pancréas, induit une diminution de la quantité d’insuline circulante en réponse à une odeur alimentaire chez ces souris.

En réponse à une odeur alimentaire, le système GLP-1 dans le bulbe olfactif, la première structure codant les odeurs dans le cerveau des mammifères, promeut la libération d’insuline par le pancréas. Fourni par l'auteur

Nous nous sommes aussi interrogés sur l’impact du système GLP-1 dans le bulbe olfactif sur la sensibilité olfactive. Dans ce but, nous avons placé les souris en recherche de nourriture aromatisée au beurre de cacahouète sous la litière qui recouvre le fond de leur cage. Pour trouver la nourriture, les souris sont obligées d’utiliser uniquement leur odorat et les souris au poids normal sont très rapides à trouver la nourriture attrayante alors que les souris obèses sont plus lentes, car elles ont des problèmes olfactifs.

Une piste de traitement pour l’humain ?

Mais, si le système GLP-1 dans le bulbe olfactif est activé par une molécule pharmacologique injectée directement dans la structure, les souris obèses se comportent comme des souris normales et n’ont plus leur problème de sensibilité olfactive : elles trouvent très rapidement la nourriture odorisée ! À l’inverse, si l’activité du système GLP-1 dans le bulbe olfactif des souris au poids normal est bloquée, alors elles se comportent comme des souris obèses, sont un peu perdues, et mettent très longtemps à trouver la nourriture odorisée.

Le bulbe olfactif, spécifiquement par l’intermédiaire du système de communication neuronale par le GLP-1, permet de préparer le corps à l’arrivée d’une quantité importante d’énergie en permettant la libération accrue d’insuline par le pancréas. Dans le même temps, ce système est très important pour réguler le niveau de sensibilité olfactive de la souris, permettant donc à la fois, de façon coordonnée, la recherche de nourriture et la préparation métabolique de l’organisme à l’ingestion de nourriture qui va arriver. Ces résultats sont prometteurs pour lancer de nouvelles études chez l’humain afin de connaître le lien entre odorat et insuline chez des sujets au poids normal et des sujets obèses.

Si ce lien cerveau-pancréas par l’intermédiaire de l’odorat est rompu en cas d’obésité, de nouvelles pistes pharmacologiques agissant sur le système GLP-1 du bulbe olfactif pourraient être proposées, notamment par des techniques de reniflage intranasal sans douleur ni contrainte pour le patient.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now