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femme enceinte dans un bureau de médecin qui porte un masque
Des milliers de femmes migrantes enceintes expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. (Shutterstock)

Quel accès aux soins pour les femmes enceintes migrantes dépourvues d’assurance maladie ?

Au Québec, l’admissibilité à la couverture de santé publique est gérée par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (RAMQ) et dépend du statut migratoire des individus. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens, les résidents permanents et les réfugiés.

Les demandeurs d’asile bénéficient d’une couverture de santé fédérale : le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). Les personnes qui ne sont pas admissibles aux couvertures de santé publiques ni provinciale, ni fédérale, peuvent souscrire à des assurances privées, assez coûteuses. C’est ainsi qu’en 2020, on estimait la présence au Québec de près de 50 000 individus (adultes et enfants) dépourvus de couverture de santé, la majorité vivant à Montréal.

Ces personnes sont communément désignées par le terme de Migrants sans assurance maladie (MSAM). Lorsqu’elles sont enceintes, certaines femmes MSAM renoncent à leurs soins obstétricaux, en raison de leur incapacité à payer des frais médicaux pouvant osciller entre 8 934 $ et 17 280 $. Or, la Société des obstétriciens et gynécologues recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance.

En tant que chercheuse en éthique clinique spécialisée sur la santé des migrants, je me propose de vous informer sur l’existence de ces milliers de femmes qui expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. Mon approche éthique offre une analyse critique du statu quo de la RAMQ, à l’aune des principes de dignité de la personne humaine et de justice sociale.

Portrait de la situation au Québec

Les MSAM sont réparties en trois catégories, selon leur statut administratif au Canada :

  • les personnes en attente de statut à la RAMQ, telles que les Résidents permanents en période de carence de 3 mois ou les demandeurs d’asile en attente de PFSI ;

  • les Résidents non permanents ayant généralement des visas étudiants (à l’exception de ceux originaires des 11 pays européens ayant une entente avec la RAMQ) ou des permis de travail ouverts ;

  • les personnes sans statut qui restent au Québec après l’expiration de leur visa ou à la suite de l’échec de leur demande d’asile.

Au Québec, l’entrée à l’hôpital est théoriquement ouverte à toute personne s’y présentant. Or, lorsqu’une personne ne bénéficie d’aucune couverture médicale et qu’elle souhaite recevoir des services de santé non urgents, elle doit d’abord prouver sa capacité à s’acquitter de la facture qui en découlera. Dans le cas des MSAM, cette facture est de surcroît soumise à la circulaire 03-01-42-07, qui prescrit l’application d’une majoration tarifaire de 200 % à toute personne non affiliée à la RAMQ ayant eu recours à des soins de santé effectués dans des établissements publics. Par exemple, pour un suivi de grossesse et un accouchement, les frais totaux peuvent s’élever à 17 280 $.

femme enceinte fait une échographie
La Société des obstétriciens et gynécologues recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance. (Shutterstock)

Alors que des associations comme Médecins du monde plaident depuis plus de 20 ans en faveur de la mise en place gouvernementale d’une couverture universelle de soins obstétricaux, la RAMQ juge dans son rapport publié en juin 2022 que le statu quo reste une réponse adéquate à la situation de ces femmes.

Préserver la dignité humaine

Il arrive dans certaines situations que des femmes enceintes choisissent de se présenter à l’hôpital à la dernière minute pour minimiser leurs coûts, et passer en urgence en salle de naissance. Dans les cas extrêmes, les femmes décident d’accoucher seules chez elles, au péril de leur vie.

De plus, des recherches ayant examiné les différents dossiers médicaux en services d’obstétriques prouvent que l’absence d’assurance maladie augmente les taux de césariennes dues à des anomalies du rythme cardiaque fœtal et de réanimations néonatales.

Ainsi, d’un point de vue clinique, la mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux apparaît appropriée et efficace pour garantir des conditions d’accouchement sécuritaires et dignes à toutes les femmes et leurs enfants, sans égard à leur statut migratoire.

Loin d’être des touristes

Le dernier rapport de la RAMQ témoigne que ce sont davantage des préoccupations liées au phénomène de « tourisme obstétrique » qui incitent au statu quo, plutôt qu’un regard médical ajusté et humaniste à l’égard de la réalité des femmes enceintes MSAM. Or, ce ne sont pas des touristes, puisque la plupart d’entre elles résident au Québec depuis au moins deux ans et qu’elles ont l’intention de s’y établir.

Par ailleurs, ces femmes contribuent à la société de diverses façons, à commencer par leur travail, notamment au cours de la pandémie de Covid-19. Les travaux de l’Institut universitaire SHERPA ont révélé que les travailleuses migrantes ont été surreprésentées dans les métiers désignés de première ligne. Elles étaient nombreuses à être préposées aux bénéficiaires, vendeuses ou agentes d’entretien ménager.

Ces personnes prennent soin de notre société. La mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux et obstétricaux témoignerait d’une reconnaissance juste de leurs apports économiques, sociaux, culturels, académiques et démographiques au Québec.

Pour garantir la justice sociale

Il est primordial de distinguer les femmes enceintes MSAM des personnes qui voyagent au Canada dans l’unique but d’y accoucher pour garantir l’obtention de la citoyenneté à leurs enfants à naître.

De plus, les limitations d’accès à la RAMQ n’empêchent pas le phénomène de tourisme obstétrical d’exister, bien qu’il demeure marginal.

Pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2021, la RAMQ dénombre 9 917 femmes ayant accouché alors qu’elles n’avaient pas d’assurance maladie. Cette donnée regroupe toutes les femmes, installées ou non dans la province. D’après la RAMQ, il n’existe aucun moyen de distinguer celles qui résident au Québec de celles n’ayant que l’intention d’y accoucher.

Rien ne prouve qu’une couverture universelle de soins de grossesse s’accompagnera inexorablement d’une recrudescence du tourisme obstétrical. En effet, l’accès à cette mesure pourrait par exemple être conditionné par des preuves de résidence.

En revanche, le statu quo génère un accroissement des inégalités d’accès aux soins. Des inégalités aux conséquences cliniques potentiellement lourdes pour les nourrissons en cas de suivi de grossesse inadéquat ou inexistant.

Des exemples à suivre

C’est justement par respect des principes humanistes de meilleur intérêt de l’enfant et de dignité humaine de la femme que des pays dotés d’un système de santé public comme la France, l’Allemagne, et la Finlande, offrent des soins prénataux et obstétricaux gratuits à toutes les femmes, sans discrimination, ni d’égard à leur statut migratoire, légal ou non.

D’autres provinces canadiennes tout aussi concernées par le tourisme obstétrical, comme la Colombie-Britannique et l’Alberta, réduisent leur taux de MSAM en octroyant l’assurance maladie provinciale à toutes personnes détentrices d’un permis d’étude ou d’un permis de travail. En Ontario, le gouvernement finance les soins de grossesse et d’accouchement à toutes les femmes enceintes qui résident dans la province avec un statut légal.

À l’aube des élections provinciales au Québec, nous encourageons le futur nouveau gouvernement à suivre ces modèles inspirants dans l’optique de garantir des droits de la personne fondamentaux, comme la santé, à l’ensemble de la communauté.

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