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Quelles sources de financement pour les PME béninoises du secteur informel ?

Dans les rues d'Abomey au Bénin. jbdodane / Flickr, CC BY-NC

L’idée centrale de cette étude exploratoire est de souligner que le financement des petites et moyennes entreprises (PME) de l’informel est caractérisé, au Bénin, par une large diversité de sources (familles, micro finances, fonds propres, tontines, banques, crowfunding, etc.). Néanmoins les modalités de financement de proximité sont de plus en plus – et c’est un paradoxe – formalisées et traçables éloignant ainsi peu ou prou ces entités de l’informel !

Quelques mots sur le périmètre du secteur informel

Au sens du FMI, le secteur informel englobe les entreprises familiales qui produisent une certaine valeur marchande sans être enregistrées et plus largement, la production souterraine résultant d’activités productives qui sont le fait d’entreprises enregistrées, mais peuvent ne pas être déclarées aux autorités en vue d’échapper à la réglementation ou à l’impôt, ou parce qu’elles sont simplement illégales. Et toujours selon des données récentes du Fonds monétaire international qui a publié un classement qui calcule pays par pays l’importance du secteur informel dans les économies africaines, où sa contribution au PIB s’échelonne entre 25 % et 65 % et où il représente entre 30 % et 90 % de l’emploi non agricole. Ce secteur est donc largement incontournable et à (mieux) valoriser

Comme très souvent en Afrique et, souvent, ailleurs dans le monde, l’importance systémique de la dynamique du secteur informel au Bénin est volontairement et involontairement sous-estimée. De plus, en contradiction avec leur rôle incotournable sur le marché du travail et de l’emploi, les petites et moyennes entreprises, qui sont très souvent de type familial au sens du FMI, sont frappées par deux handicaps principaux.

D’une part, et c’est presque une tautologie, du fait qu’elles interviennent au sein du secteur informel, elles restent en marge du système économique formel et des ses opportunités et coups de pouce institutionnels. D’autre part, leur existence légale n’est de facto pas reconnue, puisque l’article 6 de la Charte béninoise définit ce qu’est une PME et n’accorde justement le qualificatif de PME qu’aux entreprises reconnues comme telles. Outre disposer d’un effectif compris entre 50 et 99 salariés et réaliser un CA HT annuel compris entre (150) millions et deux (2) milliards de FCFA, il faut pour être caractérisé de PME être une entreprise traçable et tracée notamment au moyen de la tenue d’une comptabilité « conforme au système national en vigueur ».

Dès lors, face à un tel paradoxe (importance dans la réalité/inexistence dans les textes) et confronté à la réalité des réparateurs, tailleurs, restaurateurs, livreurs, etc. nous pouvons poser la double question suivante. Peut-on concevoir qu’il existe des entreprises informelles au Bénin ? Si oui, ces entreprises informelles peuvent-elles des PME ? Sinon, comment pouvons-nous qualifier ces entités ? Nous verrons ci-après pourquoi nous répondons oui aux deux premières !

La question des entreprises du secteur informel

Au sens organisationnel, et notamment selon les travaux de A.C. Martinet et A. Silem dans leur lexique de gestion (2003), l’entreprise est une unité économique autonome combinant divers facteurs de production, produisant pour la vente des biens et des services, et distribuant des revenus en contrepartie de l’utilisation.

Plus particulièrement, au sens du droit commercial, l’entreprise peut se définir comme une unité économique reposant sur une organisation pré-établie et fonctionnant autour de moyens de production ou de distribution.

Ces approches nous permettent d’appréhender les organisations rencontrées sur le marché informel, qui achètent pour la revente et/ou qui produisent des biens ou des services pour la vente, comme des entreprises stricto sensu. Ce faisant, nous restons en cohérence avec les travaux de Benjamin N. et Mbaye A. A., (2012) sur « the informal sector, productivity and enforcement in West-Africa ». Les PME de type informel sont donc une réalité économico-organisationnelle et leur contribution est manifeste.

Néanmoins, ces PME informelles rencontrent des difficultés quant au financement de leurs activités quand elles s’adressent aux banques et aux établissements financiers traditionnels. En effet, pour les banques et établissements financiers, la non-capacité des PME informelles à présenter des états financiers et des documents conformes tout comme l’absence ou l’insuffisance de garanties réelles proposées constituent un handicap pour l’accès aux financements bancaires. Cela explique a contrario le recours aux tontines et autres modalités de financement de proximité mobilisant la famille au sens large.

Un aperçu de nos données et résultats

Notre question est donc, que peut alors faire le dirigeant de cette entité familiale pour financer son projet ? Concrètement, il peut se tourner vers les modes de financement dits de proximité comme les fonds propres, la famille ou les tontines (valorisées pour leurs durées) mais cela va dépendre à la fois de son profil et de son appétence.

Intéressons-nous aux profils types de ces dirigeants même s’ils sont bien évidemment mouvants et liés à leur environnement et contexte. Nous pouvons pour cela mobiliser les travaux de Marchesnay publiés à partir de 1991 qui font cohabiter les PIC (pérennité-indépendance-croissance) et les CAP (Croissance-Autonomie et Pérennité). Les PIC sont plutôt mus par une logique d’actions essentiellement patrimoniale et vont privilégier l’autofinancement (fonds propres) pour la pérennité. Les CAP vont, eux, plutôt rechercher la croissance et l’opportunisme donc ils vont valoriser l’autonomie et l’agilité de la décision (micro finance).

Mobilisons à présent, les données empiriques collectées pour dégager les résultats ci-après. Pour ce faire, nous avons administré un questionnaire en présentiel puis procédé à un traitement des réponses avec le logiciel épidémiologique EPI INFO 7 issues de 200 dirigeants auxquels nous avons proposé de financer leur entreprise avec 4 à 5 millions de FCFA obtenus par combinaison de cinq modalités ou sources (notées de 0 % à 100 %) de financement usuel :

  • Apports tontine 41,97 %

  • Apports fonds propres 30,20 %

  • Apports des familles 26,47 %

  • Apports microfinance 19,65 %

  • Apports des banques 14,15 %

De plus, en analysant les combinaisons déclarées, nos résultats montrent que les dirigeants dans leur majorité acceptent peu de recourir aux augmentations de capital par apport extérieur. Certains (32,89 % soit un sur trois) refusent ce mode de financement qui est perçu comme fragilisant leur devenir. En cela ils sont majoritairement de type PIC avec une expertise technique.

De même, nous notons la bonne évolution de la capacité à épargner des dirigeants des PME qualifiées d’informelles (tontines en forte hausse) et leur capacité d’appropriation croissante des technologies de l’information (tontines numériques, plate forme de micro finance et/ou crowfunding). Enfin, notons l’évolution des besoins de financement exprimés par ces entreprises en rapport avec l’évolution des stocks sur trois ans et plus généralement la qualité formelle des dossiers présentés.

Quelles perspectives ?

Il se dégage de cette étude que les financements de proximité (la famille, l’ethnie, le village, la communauté religieuse, la corporation professionnelle) ou les financements participatifs influencent positivement la pérennisation des PME informelles et donc leur performance commerciale, organisationnelle mais également sociétale dans la mesure où elle fixe de l’emploi et de l’activité.

En effet, par ces financements souples mais pérennes, elles arrivent à constituer les stocks de marchandises pour la revente (entreprises commerciales), des stocks de matières premières à transformer (entreprises de transformation) et recherche de nouveaux postes ou marchés (stratégie de croissance). De plus, les PME informelles accroissent mécaniquement leur capacité à épargner et par conséquent à mobiliser et absorber des ressources. Nous pouvons souligner au final que la disponibilité des financements au travers des modes de financement observés impacte positivement la pérennité des entreprises cibles. La relation informelle qui existait entre agent à capacité de financement et agent à besoin de financement se renforce, se pérennise et paradoxalement se formalise (via les technologies mobiles type téléphonie/Internet de e-paiement qui sont mobilisées) contribuant ainsi à rendre encore plus ténue cette distinction entre formel et informel

Entre légalité et accommodation

Ainsi, les perspectives d’évolution à moyen terme pour les PME informelles sont à rechercher du coté du « gros-informel » (cas des Entreprises de transformation et de production artisanale) et de la formalisation (cas des Entreprises des métiers de BTP et de certaines Entreprises commerciales dont certaines sont déjà sous-traitant des Entreprises formelles).

Pour le cas particulier des nombreuses PME qui restent en porte à faux avec les textes en vigueur et l’impératif de compatibilité traçable, seul un arbitrage judicieux entre la légalité et la légitimité permettra d’adopter une attitude cohérente. Il s’agit en effet de combiner les principes affichés de la Nouvelle Gestion Publique (celle qui veut « offrir des services de qualité aux citoyens aux meilleurs coûts ») tout en acceptant les arrangements locaux..

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