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Illustration de poumons avec un motif de puzzle, et d'une personne en blouse blanche tenant une pièce de puzzle dans une pince médicale.
La découverte du gène de la mucoviscidose, en 1989, a conduit à des traitements et à la survie à long terme des patients. Shutterstock

Résoudre le casse-tête de la mucoviscidose et de ses traitements, une percée digne d’un prix Nobel

La date limite de proposition de candidats - sur invitation seulement - pour le prix Nobel de physiologie ou de médecine, fixée au 31 janvier, est désormais passée.

Outre les avancées liées aux vaccins contre la Covid-19 qui sauvent de vies, plusieurs autres candidatures de personnes dont les travaux ont permis d’importantes découvertes en physiologie ou médecine seront soumises à l’évaluation du comité de sélection des prix Nobel 2022. Sur la liste des nominés pourraient figurer les noms des chercheurs ayant identifié le gène impliqué dans la mucoviscidose (aussi appelée fibrose kystique) et mis au point les médicaments utilisés pour traiter cette affection. Grâce à eux, cette maladie décrite pour la première fois en 1938 n’est plus de nos jours une cause de décès quasi certaine pour les enfants qui en sont atteints.

C’est au Canada, et plus précisément à Toronto, que la recherche sur la mucoviscidose a connu une percée majeure en 1989, lorsque le gène et la mutation - responsable de la fibrose kystique ont été identifiés par le généticien Lap-Chee Tsui, en collaboration avec le biochimiste Jack Riordan et le médecin et généticien Francis Collins, alors chercheur à l’Université du Michigan. Aujourd'hui, le Canada est le chef de file mondial dans le traitement de la fibrose kystique : l’âge médian de survie des patients souffrant de cette maladie y est de 52 ans.

Une maladie due à la mutation d’un seul gène

La fibrose kystique affecte la fluidité des sécrétions des poumons, du pancréas, du foie, des glandes sudoripares et d’autres organes, les rendant plus épaisses et plus collantes. L’anomalie génétique récessive à l’origine de la maladie est causée par une mutation au niveau d’un seul gène. Tsui avait initialement découvert, en 1989, que ce gène mutant était abrité dans un segment du chromosome 7.

Une femme tenant un enfant portant un masque facial nébuliseur pour inhaler des médicaments
Lorsque la maladie a été identifiée pour la première fois en 1938, la fibrose kystique a tué la plupart des patients en bas âge. Maintenant, beaucoup vivent dans la cinquantaine. (Shutterstock)

Collins développé une méthode innovante pour cibler cette zone et réduire l'ADN en fragments. Puis il a utilisé des marqueurs de cartographie génétique pour déterminer quelles séquences d'ADN abritaient le gène de la fibrose kystique. À l’aide de ces marqueurs, l’équipe a récupéré dans des cellules provenant de glandes sudoripares de patients les fragments d’ADN correspondant au gène.

Les glandes sudoripares des patients atteints de mucoviscidose sont incapables de réabsorber les sels lors de la transpiration. Riordan a utilisé ces échantillons de tissus, facilement accessibles chez les malades, pour développer des cultures ex-vivo de cellules de glandes sudoripares. L’ARN extrait de ces cellules a ensuite été utilisé pour obtenir une copie d’ADN, exactement comme nous le faisons aujourd’hui avec les tests RT-PCR destinés à détecter la présence du coronavirus qui cause la Covid-19.

Le séquençage de cet ADN correspondant à l’ARN provenant de cellules de glandes sudoripares de malades a permis aux chercheurs de déduire la séquence du gène présente chez les patients. Grâce à l’informatique, ils ont ensuite déterminé quelle protéine cette séquence permettait de produire. Les protéines sont constituées de longues séquences d’acides aminés. Ces travaux ont permis à Tsui, Riordan et Collins de déduire que ladite protéine était constituée de 1 479 acides aminés.

Comparaison des protéines séquencées

Les chercheurs ont également appliqué l’ingénieux design de leur expérimentation à des cellules de glandes sudoripares isolées chez les parents de patients atteints de mucoviscidose (donc des cellules non malades). En comparant la séquence d’acides aminés de la protéine provenant de patients souffrant de mucoviscidose à celle de la protéine normale provenant de leurs parents, les chercheurs ont découvert que toutes deux ne différaient que par un seul acide aminé (la phénylalanine). Celui-ci était absent de la protéine mutante. Cette mutation est majoritairement impliquée dans la fibrose kystique, puisqu’elle concerne environ 70 % des malades.

Lap-Chee Tsui, Lauréat du Temple de la renommée médicale canadienne 2012.

La fonction de la protéine ainsi découverte était inconnue à l’époque. Cependant, certains indices révélaient qu’elle présentait une similitude avec d’autres protéines capables de transporter des substances, y compris des ions, à l’intérieur et hors des cellules. Aujourd’hui, on sait que cette protéine fonctionne comme un canal permettant aux ions chlorure de quitter les cellules.

Grâce à ces ions chlorures, la surface des poumons, du pancréas, des glandes sudoripares et du foie, ainsi que les reins et l’appareil reproducteur masculin, demeure recouverts de sécrétions fluides, qui ne provoquent pas d’obstruction.

Percées thérapeutiques

Les patients et les membres de leurs familles ont été à l’avant-garde du processus qui a mené à ces découvertes. Les parents impliqués ont été tout à la fois les avocats de la cause de leurs enfants, leurs aidants, et ils ont également fourni les tissus qui ont rendu possible cette découverte scientifique. Au-delà de l'amélioration du diagnostic et de la prise en charge des patients, une autre avancée a été la mise au point de médicaments pour traiter la mucoviscidose. Ces nouvelles thérapies ont eu un effet spectaculaire, doublant l’espérance de vie des malades, qui aujourd’hui devenir adulte et vivre plus longtemps.

Deux types de médicaments sont disponibles : les potentialisateurs et les correcteurs. Les potentialisateurs aident la protéine produite par le gène impliqué dans la mucoviscidose à maintenir un canal fonctionnel pour les ions chlorure, ce qui contribue à baigner de sécrétions fluides la surface des poumons et d’autres organes.

Les médicaments correcteurs stabilisent quant à eux la protéine mutante. Il faut savoir que celle-ci est plus fragile que la protéine normale, ce qui fait qu’elle est la cible de la machinerie impliquée dans le « contrôle qualité » cellulaire, qui l’évacue comme un déchet (elle est détruite par le protéasome, sorte de système d’évacuation des déchets de la cellule). Les correcteurs augmentent la stabilité des protéines mutantes, permettant à une quantité suffisante d’entre elles d’échapper à la destruction et d’atteindre la surface des cellules.

La combinaison des médicaments correcteurs (qui permettent à la protéine mutante d’accéder à la surface des cellules des poumons, du pancréas, du foie et des glandes sudoripares) et des médicaments potentialisateurs (qui maintiennent ouvert le canal ionique) permettent à la protéine déficiente de remplir sa fonction malgré tout.

Dans les poumons, les canaux chlorure permettent de maintenir la fluidité du mucus. Si tel n’était pas le cas, les bactéries infectieuses s’y accumuleraient et empêcheraient le fonctionnement normal des poumons, compromettant la respiration.

Au cœur des organes : La mucoviscidose.

Fait remarquable, le gène responsable de la mucoviscidose a été découvert sans que l’on sache quel rôle cellulaire jouait la protéine qu’il codait. De même, les médicaments utilisés pour traiter cette maladie ont été mis au point sans connaître leur mode d’action précis.

Des milliers de laboratoires dans le monde ont contribué à mettre en lumière le fonctionnement des protéines telles que celles impliquées dans la formation des canaux chlorure, leur mode de fabrication, la façon dont la machinerie cellulaire de contrôle de la qualité est capable de détecter une modification aussi subtile que la perte d'un seul acide aminé pour cibler les protéines mutantes en vue de leur dégradation, les conséquences de la fragilité accrue qui résulte de cette perte d’acide aminé, ou encore le fonctionnement des médicaments potentialisateurs et correcteurs… C'est toute la splendeur de la recherche scientifique fondamentale qui est ici révélée.

Applications de ces découvertes

Les conséquences de la percée de Tsui, Riordan et Collins en 1989 ont rapidement dépassé les limites du domaine de la mucoviscidose. Forts de leur preuve de concept qui a mené à l’identification du gène de la fibrose kystique, ils ont proposé en 1990 d’appliquer cette méthode à l’ensemble du génome humain.

Collins a quitté l’Université du Michigan pour piloter ce projet « génome humain » en tant que directeur de l’Institut national de recherche sur le génome humain aux « National Institutes of Health » (NIH) des États-Unis. En 2009, il a été nommé au poste de directeur général du NIH, qu’il a occupé jusqu’en décembre 2021.

Les découvertes de médicaments destinés à lutter contre la mucoviscidose ont été dues au talent de chercheurs du secteurs académiques et de l’industrie des biotechnologies, lesquels ont non seulement mis au point les processus de fabrication, mais aussi élucidé les mécanismes d’action. Ces efforts remarquables se poursuivent : en janvier 2022, une équipe a publié des résultats décrivant le mode d’action de deux médicaments correcteurs.

Le fait qu’aujourd’hui encore, de nouvelles découvertes résultent des percées réalisées par Tsui, Riordan et Collins témoigne de leur importance et de leur pertinence pour la recherche scientifique et médicale. L’allongement considérable de l’espérance de vie des personnes atteintes de mucoviscidose témoigne quant à lui de la portée de ces découvertes pour les patients et leurs familles.


John Bergeron remercie Kathleen Dickson en tant que coauteure et Michel L. Tremblay (Université McGill) pour la lecture du texte final.

This article was originally published in English

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