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Surpoids : le milieu social joue dès l’enfance

Course des enfants à Brest. La promotion de l'activité physique pourrait-elle favoriser une meilleure égalité sociale vis-à-vis des problèmes de poids ? Sylvain Elies/Flickr, CC BY-NC-SA

Adultes comme enfants ne sont pas égaux devant les problèmes de poids, selon leur milieu social. Étant donné que le surpoids est associé à un certain nombre de maladies chroniques comme l’hypertension artérielle ou le diabète, il paraît essentiel de mieux cerner ses déterminants, dont le statut socioéconomique fait partie.

En effet, 16,2 % des ouvriers sont obèses, contre 8,7 % des cadres supérieurs et des professions libérales en France, selon l’enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité de 2012. Des différences sociales de surpoids sont également observées en Grande-Bretagne.

La comparaison entre les deux pays est intéressante : environ 45,5 % des Français contre 61,7 % des Britanniques de plus de 15 ans sont en surpoids ou obèses, selon les chiffres de l’OCDE pour 2014. Cela place la France parmi les pays les moins affectés, alors que la Grande-Bretagne se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.

Identifier la trajectoire des inégalités

Pour mieux comprendre cette association entre milieu social et surpoids chez les adultes, des travaux se penchent sur l’origine des inégalités face au surpoids, en s’intéressant aux enfants. Le taux de surpoids des enfants est assez bas en France puisqu’il s’établit à 15 % en 2010, et relativement élevé en Angleterre où il atteint 22 %. Les chercheurs tentent de décrire l’émergence des inégalités face au surpoids dans la petite enfance ainsi que leur évolution à mesure que les enfants grandissent.

Du point de vue des politiques publiques, identifier l’âge auquel les inégalités face au surpoids apparaissent et s’accentuent (ou s’atténuent) est important pour pouvoir mettre en œuvre des mesures ciblées en direction de certains groupes d’âge, dans le but de limiter les disparités d’origine sociale.

La trajectoire rectiligne des inégalités en Grande-Bretagne

Dans un travail mené sur la Grande-Bretagne, je tire parti des données d’une cohorte, le Millenium Cohort Study (MCS), qui permettent de suivre dans le temps des enfants nés au tournant des années 2000, ainsi que leur famille. Je me concentre sur la période allant de la naissance à l’âge de 10-12 ans.

Alors que beaucoup de travaux doivent se contenter d’utiliser des variables de santé déclarées par les parents, les caractéristiques anthropométriques des enfants (poids, taille, masse grasse…) sont mesurées dans cette cohorte de façon très précise.

Mes résultats soulignent d’abord qu’en moyenne pendant l’enfance, un revenu familial plus élevé va de pair avec un indice de masse grasse inférieur et une probabilité de surpoids plus faible. Les disparités sociales face au surpoids sont significatives dès l’âge de 2-3 ans chez les filles, et de 4-5 ans chez les garçons.

En outre, j’observe que les inégalités sociales face au surpoids, à l’indice de masse corporelle et à l’indice de masse grasse se renforcent à mesure que les enfants grandissent. Ce résultat pourrait signifier que les conditions de vie jouent un rôle cumulatif sur les caractéristiques anthropométriques.

Les particularités du cas français

Dans une autre étude, l’économiste de la Paris School of Economics Pierre-Yves Geoffard et moi-même nous penchons sur le cas français.

Dans les données que nous utilisons, la taille et le poids des enfants sont déclarés par leurs parents ou par les adolescents eux-mêmes, et non pas mesurés. Nos données sont donc sujettes à des biais de déclaration. On peut par exemple imaginer que des parents déclarent pour leur enfant un poids inférieur à son poids véritable, notamment si ce dernier souffre de surpoids. En dépit de ces biais, les données subjectives sont intéressantes en elles-mêmes, dans la mesure où c’est certainement la perception subjective que les parents aient de leur enfant qui fera qu’ils prêteront attention ou pas à son alimentation et à son niveau d’activité physique.

Notre analyse débouche sur deux conclusions. D’une part, un statut socioéconomique favorable joue un rôle protecteur contre le risque de surpoids et d’obésité, et ce dès le plus jeune âge. D’autre part, et de façon plus inattendue, nous observons un renforcement des inégalités socioéconomiques face au surpoids entre la naissance et l’âge de 8 ans, suivi d’un affaiblissement de ces disparités entre 8 et 17 ans.

Cette trajectoire semble être un élément assez robuste, puisque nous l’observons dans deux bases de données distinctes, l’enquête sur la santé et la protection sociale (ESPS) et l’enquête décennale de santé. Cette évolution est clairement différente de ce que l’on observe pour la Grande-Bretagne, où les disparités ne font que se renforcer avec l’âge.

Nous proposons deux interprétations de cette trajectoire observée pour la France. En premier lieu, on peut envisager que la baisse des disparités face au surpoids (déclaré) à partir de 8 ans reflète une véritable baisse des inégalités. Autrement dit, si on utilisait des données mesurées, on trouverait la même trajectoire. Une explication pourrait être que, à partir de 8 ans, les enfants se détachent de l’influence de leur famille au profit de celle de leurs pairs, ou encore que l’activité physique dans le cadre scolaire a un effet égalisateur.

Il est aussi possible que la baisse des disparités au-delà de 8 ans ne reflète aucune baisse réelle, mais résulte des biais de déclaration de la taille et du poids des enfants mentionnés précédemment. Ceux-ci seraient fonction du milieu social et de l’âge des enfants. Dans ce cas-là, la véritable trajectoire pourrait être celle d’un renforcement des disparités au-delà de 8 ans, comme en Grande-Bretagne.

Comprendre la trajectoire du gradient

Ce second scénario me semble le plus plausible, car il est cohérent avec le renforcement des disparités sociales de la santé générale pendant l’enfance en France, qui a été mise en lumière dans un travail antérieur.

Cependant, seule une nouvelle analyse basée sur des données anthropométriques mesurées chez les enfants français permettra de trancher définitivement entre ces deux possibilités. S’il s’avère que la trajectoire avec données mesurées est radicalement différente de celle obtenue sur données déclarées, alors l’importance d’étudier à la fois les variables subjectives (déclarées) et les variables objectives (mesurées) apparaîtra clairement.

Du point de vue de l’action publique, se posera alors la question de la prise en compte des perceptions du surpoids afin de mettre en œuvre des politiques efficaces pour le prévenir. Finalement, ces études sur la France et la Grande-Bretagne poussent à s’interroger sur les mécanismes qui pourraient induire des disparités sociales face au surpoids dès le plus jeune âge puis leur renforcement, jusqu’à 8 ans au moins, dans les deux pays. Des explications à chercher, sans doute, du côté de l’activité physique et de l’alimentation.

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