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Une ville est submergée par les inondations.
La ville de Beledweyne, en Somalie, sous l'eau suite à une inondation. Abuukar Mohamed Muhidin/Anadolu/Getty Images

Transfert des fonds climatiques vers les zones de conflit : un argument en faveur de la collaboration avec les groupes armés et les communautés locales

Les pays fragiles et en proie à des conflits sont parmi les plus vulnérables au changement climatique et les moins bien préparés pour y faire face. Ils sont largement exclus des programmes d'adaptation au climat et des financements.

Cela s'explique en partie par le fait que les fonds sont acheminés par l'intermédiaire des gouvernements nationaux, qui peuvent ne pas être en mesure de travailler dans des zones touchées par un conflit ou échappant à leur contrôle.

Les civils comme les groupes armés sont de plus en plus préoccupés par le changement climatique. Cependant, la communauté internationale ne fait pas grand-chose pour remédier à son impact dans ces zones vulnérables.

Notre Dame Global Adaptation Initiative a identifié 25 pays comme étant les plus vulnérables au changement climatique et les moins préparés à s'adapter à son impact. Parmi eux, 15 ont été durement touchés par des conflits. Cette liste comprend la Somalie, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et l'Afghanistan.

Par nature, les zones en proie à des conflits sont dotées de structures gouvernementales faibles ou inexistantes. L'approche actuelle de l'adaptation au climat ne tient pas compte des acteurs non étatiques et des communautés locales qui pourraient travailler plus efficacement dans ces régions.

À l'occasion de la réunion sur le climat COP28 à Dubaï, la question de l'adaptation au changement climatique dans les zones de conflit a fait la une de l'actualité. Un projet de déclaration de la présidence de la COP appelle à une action immédiate et à un financement urgent pour ces communautés vulnérables. Le texte n'est pas juridiquement contraignant, mais il va plus loin que toutes les déclarations précédentes de la COP sur les impacts climatiques dans les zones de conflit.

J'ai passé plus de dix ans à étudier les conflits et les insurrections. En collaboration avec des collègues de l’Institut du développement d'Outre-mer) et de l’Institut universitaire de hautes études de Genève, j'ai fait des enquêtes sur l'échec des institutions multilatérales à inclure les zones de conflit dans leurs programmes d'adaptation au climat.

Nous avons examiné la littérature existante sur ce sujet. Nous avons identifié les lacunes dans les efforts d'adaptation au climat et les mécanismes de financement qui fonctionneraient dans les zones de conflit. Nous plaidons pour une collaboration avec les communautés locales et la société civile, ainsi que pour l'engagement des groupes armés non étatiques.

Le fossé entre les conflits et le climat

Les pays touchés par un conflit reçoivent beaucoup moins de fonds pour l'adaptation au climat. Ils reçoivent environ un tiers du financement climatique par habitant par rapport aux pays sans conflit. Les programmes d'adaptation et les mécanismes de financement ne sont pas conçus pour les zones en conflit ou celles qui échappent au contrôle de l'État.

Dans certaines régions, des groupes armés non étatiques ont pris le relais. Au Myanmar, l’Union nationale karen gère ses propres départements axés sur la conservation des terres, des forêts et de la faune. Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a intégré des clauses relatives à la protection de l'environnement dans ses codes de conduite internes. En Somalie, Al Shabaab a imposé des amendes pour l'abattage des arbres et a même interdit les sacs en plastique.

Ailleurs, comme au Sahel, les groupes armés exploitent les facteurs environnementaux du conflit pour la propagande et le recrutement.

Les groupes armés s'arrogent la protection de l'environnement pour un ensemble de raisons complexes. (Pour la plupart d'entre eux, cela renforce leur légitimité auprès des populations locales, qui ont désespérément besoin d'être soulagées de l'impact du changement climatique.

Lorsque c'est le cas, cela peut ouvrir la voie à des interventions d'adaptation au climat. Les groupes armés contrôlent des territoires importants, souvent riches en ressources naturelles. Leur participation peut s'avérer essentielle pour prendre des mesures climatiques à grande échelle. Nous savons également que les groupes armés qui cherchent à obtenir le statut d'État ou d'autres formes de légitimité sont souvent prêts à se conformer aux normes internationales pour obtenir une reconnaissance positive.

En résumé, il existe un potentiel inexploité pour sauver des vies et atténuer l'impact du changement climatique dans les zones contrôlées par des groupes armés.

Nos recherches suggèrent que cet engagement peut contribuer à la construction de la paix et à la réduction de la violence. Le changement climatique est souvent dépeint comme un facteur de conflit ou comme un “multiplicateur de menaces” dont les effets vont de la pénurie de ressources au déplacement des populations. Mais l'engagement avec les acteurs armés sur l'environnement et le changement climatique peut également servir d'élément constitutif de la paix.

C'est particulièrement vrai dans des pays comme la Colombie, où les facteurs environnementaux ont contribué au conflit. Les questions relatives à l'environnement et aux ressources sont un aspect souvent négligé de la préparation des pourparlers de paix.

Le travail sur le climat dans les zones qui échappent au contrôle de l'État pose des dilemmes éthiques, juridiques et pratiques. Par exemple, certaines lois qui interdisent le soutien matériel aux groupes terroristes désignés peuvent entraver ou compliquer les efforts d'aide.

Il existe toujours un risque que les groupes armés ne plaident en faveur des ces normes que pour la forme ou que collaborer avec eux puisse involontairement les renforcer et les légitimer davantage.

En outre, contrairement à leurs homologues gouvernementaux, les groupes armés et les communautés de ces régions peuvent ne pas disposer des capacités techniques nécessaires pour comprendre les complexités écologiques liées à l'adaptation au climat.

Traiter les impacts climatiques hors du contrôle de l'État

Ces risques doivent être gérés avec prudence. Mais le besoin urgent d'adaptation l'emporte sur les inconvénients potentiels.

Les acteurs de l'adaptation climatique n'ont pas besoin de s'engager directement auprès des acteurs armés. Les autorités coutumières, les humanitaires et les artisans de la paix locaux peuvent servir d'intermédiaires, en veillant à ce que les interventions soient appropriées et acceptées par tous.

L'adaptation au climat dans les zones de conflit nécessite une approche différente. Au minimum, il faut aller au-delà des gouvernements nationaux et de collaborer directement avec les communautés touchées par les conflits. Cela signifie également, dans une certaine mesure, déléguer la prise de décision aux communautés elles-mêmes.

L'augmentation du financement de la lutte contre le changement climatique dans les régions en conflit devrait être une priorité. L'intérêt tardif de la COP28 pour les zones touchées par les conflits est le bienvenu, mais il est loin d'être suffisant. Cette reconnaissance doit être suivie de changements concrets en matière de politique et de financement, adaptés aux défis posés par le travail dans les zones de conflit et les zones échappant au contrôle de l'État.

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