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La mosquée Sidi Bou Makhlouf à El Kef. Photo: DeAgostini/Getty Images

Tunisie : El Kef, l'identité singulière d'une ville riche de son brassage culturel

El Kef, une ville construite sur le versant sud du mont Jebel Dyr, est une ville nichée contre les montagnes du Haut Atlas, dans la région nord-ouest de la Tunisie, à la frontière avec l'Algérie. La brise qui descend de la montagne et parcourt les rues de la ville offre un répit souhaitable contre la chaleur et fait partie de l'identité d'une cité dont les trésors restent largement méconnus du reste du monde.

Malgré l'afflux annuel des visiteurs internationaux en Tunisie pour ses plages ensoleillées et la culture locale, El Kef est rarement incluse dans les circuits touristiques organisés. De même, son magnifique patrimoine naturel et architectural est quasiment absent des publications de recherche académique.

Une cour avec un grand arbre au milieu de vieux bâtiments.
La Médina d'El Kef. Majdi Faleh

La Tunisie n'a pas pleinement reconnu la valeur de la diversité historique et culturelle d'El Kef, ni promu la région en tant que patrimoine international. Les festivals de jazz et de court-métrage de la ville sont encouragés, mais il existe un potentiel inexploité de croissance économique et de tourisme alternatif grâce aux nombreux sites patrimoniaux d'El Kef.

En tant qu'architectes et spécialistes du patrimoine culturel qui enseignons et menons des recherches sur l'Afrique du Nord en général et El Kef en particulier, nous souhaitons mettre en lumière certains de ces trésors nationaux méconnus.

La ville

En raison de sa géographie escarpée, El Kef présente un schéma circulaire unique marquée par des hauteurs différentes qui distinguent les zones urbaines anciennes et modernes. Elle a émergé de l'ancienne cité numide avant de d'être conquise par les Romains et Byzantins, à partir de 241 avant J.-C.. Elle a ensuite été un centre médiéval arabo-islamique (688-689), avant de tomber sous la domination ottomane (années 1700-1800) puis sous le colonialisme français jusqu'à l'indépendance tunisienne. Les dynamiques sociales, économiques et culturelles de cette histoire ont laissé une empreinte tangible sur l'environnement urbain.

Une grande forteresse carrée se profile au-dessus de hauts murs.
La Kasbah d'El Kef, héritage ottoman. Majdi Faleh

Les sites patrimoniaux d'El Kef, dont beaucoup ne sont pas répertoriés, témoignent de siècles de cohabitation religieuse, avec des populations juives, chrétiennes et musulmanes notables ainsi qu'une multitude de courants soufis. La ville abritait le célèbre saint soufi Sidi Bou Makhlouf. Le soufisme, pratique de méditation et de d'ascétisme dans l'islam (at-taṣawwuf), promeut la sagesse divine et l'amour présent pour comprendre Dieu et la nature humaine. L'essor du soufisme dans les années 1500 a encouragé la construction de mausolées, de mosquées et l'émergence de marabouts qui sont aujourd'hui une partie essentielle du paysage culturel d'El Kef.

De son noyau historique médiéval, perché au sommet du Djebel Dyr, aux quartiers contemporains dotés d'un plan en grille, la ville en pente offre une diversité de styles architecturaux mêlant influences méditerranéennes, romaines, byzantines, arabes/islamiques et coloniales.

Une ancienne cour avec une pièce centrale incurvée
Basilique Saint-Pierre. Majdi Faleh

C'est l'histoire qui donne à El Kef son identité singulière. En tant que véritable pôle des arts théâtraux tunisiens, la ville cultive un mélange de patrimoine matériel et immatériel.

Le plateau de Jugurtha

Situé à 1200 mètres d'altitude, le Plateau de Jugurtha (Jugurta), à 70 km au sud d'El Kef, est un important site du patrimoine naturel, couvrant 80 hectares. Il s'agit d'une mesa (montagne au sommet plat) entouré de nombreuses légendes.

La montagne aurait arrêté les Romains dans leur longue guerre contre le roi Jugurta de la Numidie. Le royaume de Numidie est apparu vers le IIIe siècle avant J.-C. dans l'Algérie actuelle et dans certaines parties de la Tunisie et de la Libye. Son roi, Masinissa, a régné entre 201 et 148 av. J.-C.. Il aurait construit sa première forteresse sur la montagne en 200 av.J.-C.

Une montagne en forme de table dans un vaste paysage
Table de Jughurta. Wikimedia Commons

Pendant l'ère des Aghlabides (800-909), la région revêtait une grande importance, une période marquée par la domination de cette dynastie arabe qui avait déjà conquis une partie de l'Italie. Selon d'autres récits, la forteresse a été utilisée par les habitants de la région à l'époque fatimide (909-1171). Les califes égyptiens fatimides étaient connus pour leur soutien aux arts et à l'architecture. Bien plus tard, dans les années 1700, on raconte que des rebelles, menés par Senan, l'un des chefs qui a vaillamment résisté au Bey de Tunis pendant une longue période, se sont emparés de ce rocher étendu pour en faire leur forteresse.


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Jugurta possède de nombreux réservoirs d'eau (mejel) et sa formation géologique particulière conserve les restes fossilisés d'anciennes créatures, dont des requins. Les tombes anciennes offrent un aperçu des pratiques funéraires et des activités commerciales d'il y a longtemps. Des tombes similaires existent dans toute la région d'El Kef.

Jerissa

La ville de Jerissa se trouve à 50 km au sud d'El Kef. Elle se trouvait historiquement sur l'ancienne route entre la cité islamique d'al-Qayrawān (Kairouan) et la vallée du Mzab, en Algérie.

Avec ses bâtiments coloniaux, Jerissa s'est développée autour de la plus grande mine de fer de Tunisie. Autrefois surnommée “Petit Paris” par les colons français, elle était une petite ville cosmopolite, accueillant des mineurs originaires d'Italie, de Malte, d'Espagne, d'Algérie, du Maroc et du Sénégal, et de toutes les confessions religieuses. Quelques éléments architecturaux de l'époque dans cette ville coloniale française subsistent encore aujourd'hui.

Photographie sépia d'une vieille ville, des bâtiments plus importants de part et d'autre et une dizaine de maisons entre elles.
Vue de Jerissa en 1907. Picryl/Wikimedia Commons

L'une des principales ressources de Jerissa est l'antimoine, un semi-métal utilisé dans l'industrie électronique, indispensable au maquillage traditionnel au khôl. Malgré sa riche histoire, Jerissa est aujourd'hui presque oubliée de tous.

Les mesures à prendre

Un plan de développement officiel pour les sites décrits ici - et bien d'autres encore - est indispensable. Il peut contribuer au développement du tourisme. La protection du patrimoine riche et varié d'El Kef renforcerait le potentiel culturel, économique, social et environnemental de la région.

Le tourisme responsable devra refléter une prise de conscience des besoins des communautés locales afin que tous puissent profiter des richesses historiques d'El Kef et de ses environs.

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