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Wagner, les conflits et la pauvreté font que le taux de mortalité en République centrafricaine dépasse les niveaux de la crise : mais où est l'aide ?

Vue de dos d'une femme tenant un bébé, debout dans un espace non pavé entre de simples bâtiments.
Une femme dans un centre de conseil pour les victimes de viol à Paoua, à 500 km au nord-ouest de Bangui, en République centrafricaine. Photo : Barbara Debout/AFP via Getty Images

La République centrafricaine (RCA) est l'un des pays les plus pauvres du monde. En 2022, son PIB par habitant était estimé à 491 USD par an.

Cette nation d'environ 5 millions d'habitants est en proie à des troubles politiques depuis une prise de pouvoir violente en 2013. Un “effondrement total de l'ordre public” persiste depuis près de 20 ans. Près de la moitié des campagnes échappe au contrôle du gouvernement.

Pour tenter de reprendre le contrôle, le gouvernement a lancé en 2020 une campagne menée par les mercenaires russes du groupe Wagner. Un rapport documentant les violations généralisées des droits de l'homme en RCA par le groupe Wagner décrit “des campagnes bien planifiées de massacres, de tortures et de viols”. Ce qui reflète généralement le contenu des communiqués de presse et des discours émanant du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.

En conséquence, la RCA connaît aujourd'hui une crise humanitaire aiguë.

L'un des symptômes de cet effondrement est le taux de mortalité élevé du pays. Deux études publiées au cours des deux dernières années ont suggéré que de vastes régions du pays connaissaient un taux de mortalité qui dépasse les seuils d'alerte. L'une était une enquête réalisée par Médecins sans Frontières en 2020 dans la préfecture de Ouaka. L’autre couvrait la majeure partie de la préfecture de Ouham-Pende et a été réalisée avec l'International Rescue Committee en 2018. Les études ont révélé que 4,9 % et 5,0 % des populations étudiées mouraient chaque année.

Ces estimations sont quatre fois plus élevées que l'estimation de mortalité de l'ONU de 1,1 % par an pour 2020 pour la RCA. La plupart des agences, telles que les Centers for Disease Control and Prevention, considèrent le doublement de la mortalité de base comme une crise, et le quadruplement de la mortalité de base est l'un des trois critères utilisés pour définir une famine.

En raison de la discordance entre les mesures récentes de la mortalité et le taux de mortalité officiel, nous avons, en tant que chercheurs en santé publique ayant une expérience de recherche dans les situations de conflit, mené une enquête pour mesurer le taux de mortalité brut de la nation - la fraction de la population qui meurt par unité de temps sans tenir compte du fait qu'il s'agit d'une population jeune ou âgée.

Notre étude a révélé que 5,6 % de la population mourrait en 2022. Il s'agit d'un taux de mortalité stupéfiant, compte tenu de l'ampleur de la souffrance et de l'erreur des statistiques officielles. La plupart de ces décès sont dus au paludisme et à la diarrhée. Nous avons également constaté que la mortalité était nettement plus élevée dans les zones échappant au contrôle du gouvernement.

Les conditions désastreuses dans lesquelles vivent les habitants de la République centrafricaine n'ont suscité que très peu d'intérêt ou de réponse humanitaire de la part du reste du monde. Pourtant, comme le montrent les chiffres de la mortalité, l'aide alimentaire, les programmes de travail et la distribution de semences et d'outils font cruellement défaut.

Ces besoins sont particulièrement importants dans les zones rurales qui échappent au contrôle du gouvernement. Bien que certains acteurs humanitaires fassent de leur mieux pour répondre à la situation, le taux de mortalité au niveau de la crise suggère que les besoins en RCA sont largement insatisfaits.

Mortalité

Nous avons mené une enquête dans deux régions. L'une dans la partie du pays contrôlée par le gouvernement (environ la moitié du pays), et l'autre dans les zones qui échappent en grande partie à son contrôle. Nous avons sélectionné au hasard 40 groupes de 10 ménages chacun.

Nous avons constaté que le taux de natalité était plus faible et le taux de mortalité nettement plus élevé dans les zones échappant au contrôle du gouvernement. Les familles ont décrit le paludisme, la fièvre et la diarrhée comme les principales causes de décès. La violence représentait 6 % de l'ensemble des décès.

Les gens ont cité l'accès à la nourriture et l'accès aux soins médicaux comme étant leurs plus grands défis. Les ménages ont déclaré avoir pris environ deux fois moins de repas en 2022 qu'en 2020. Seuls 15 % d'entre eux avaient bénéficié des distributions d'aide alimentaire en 2022, malgré les niveaux élevés de malnutrition enregistrés dans le pays.

Ces deux défis interagissent l'un avec l'autre. Les enfants et les autres personnes vulnérables, comme les personnes âgées, qui survivraient normalement à un épisode de paludisme ou de diarrhée, ont besoin de soins médicaux appropriés pour survivre en cas de malnutrition. Or, en raison de la détresse économique et de la violence, la fréquentation des cliniques rurales est généralement en baisse par rapport aux années précédentes.

Le coût des soins de santé est un autre facteur. Certaines ONG fournissent des soins gratuits, mais la plupart de celles qui ont été visitées par notre équipe de recherche demandent une modeste participation aux frais. Bien qu'ils ne soient pas standardisés, ils demandent généralement un montant équivalant à une fourchette d'un demi dollar à un dollar américain, et facturent parfois les médicaments séparément. Les coûts non liés à la clinique, tels que le transport, peuvent être encore plus élevés.

Il s'y ajoute un autre coût : les paiements informels qu'on est obligés d'effectuer lorsqu'on tente de se rendre dans des établissements de soins de santé. De nombreuses personnes ont indiqué que la police ou les soldats rebelles leur demandaient de l'argent pour passer les points de contrôle. Dans la préfecture de Ouaka, où l'organisation caritative Médecins Sans Frontières fournit des services médicaux sans frais d'utilisation. Une personne interrogée nous a raconté que sa fille avait récemment accouché à la maison plutôt que d'aller à l'hôpital, parce que les policiers aux postes de contrôle savaient qu'une femme enceinte serait désespérée et qu'ils lui demanderaient plus que les 500 francs (environ 0,8 USD) habituels pour la faire passer.

Quelles perspectives?

Des taux de mortalité nationaux plus élevés ont été enregistrés en Afrique par le passé. Les estimations suggèrent qu'au moins 500 000 des 7 millions de Rwandais sont morts violemment en 1994. Au cours de la guerre sécessionniste du Nigeria au Biafra de 1967 à 1970, on estime qu'entre 1 et 3 millions de personnes sont mortes. Ces événements ont déclenché une forte accélération de la riposte en matière d'aide humanitaire, de l'aide financière et de l'attention politique.

Notre étude n'a pas pu déterminer l'importance relative des décennies de conflit en cours, de l'extrême pauvreté, des perturbations économiques depuis 2020 ou des efforts de perturbation généralisés du groupe Wagner dans la cause de l'extrême mortalité observée en République centrafricaine.

Néanmoins, il est clair qu'ils contribuent tous au taux de mortalité. Nous n'avons trouvé aucun exemple depuis 1994 d'une nation entière mourant à un taux aussi élevé que celui que nous avons mesuré en RCA en 2022.

Les acteurs humanitaires tirent la sonnette d'alarme depuis plus de dix ans. L'ONU met en garde contre l'insécurité alimentaire extrême depuis deux ans. À la décharge de certaines agences, les ménages font état de distributions de nourriture dans certaines des zones les plus critiques.

Nos conclusions montrent qu'en dépit de ces efforts, l'aide est largement insuffisante. Etant donné que le gouvernement américain a donné à lui seul plus de 330 millions de dollars d'aide à la RCA en 2021 et 2022, on peut se demander si la communauté humanitaire peut faire mieux. En particulier, la communauté humanitaire ignore-t-elle l'une des pires crises humanitaires au monde ?

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