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À la veille des présidentielles, Marine Le Pen pourrait causer la surprise. Et si elle emportait le 2ᵉ tour ?

Marine Le Pen, un peu courbée, les mains tendues, parle, avec un auditoire derrière elle
La candidate d'extrême droite Marine Le Pen prend la parole lors d'un événement au nord de Paris, le 14 mars, 2022. Son élection à la présidence française, impensable il y a quelques semaines, devient possible à mesure que les sondages se resserrent. (Ludovic Marin, Pool via AP, File)

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen se hisse à la seconde place avec 23 % des intentions de vote selon les derniers sondages, tandis qu’Emmanuel Macron est crédité de 27 %.

Si les marges d’erreur des sondages et l’incertitude liée au taux de participation laissent encore planer un suspense, la candidate d’extrême droite affrontera vraisemblablement au second tour le président sortant.

Le duel entre l’un et l’autre ne devrait être remporté qu’avec une courte avance par Emmanuel Macron. Selon le dernier sondage Ipsos datant du 4 avril, le président sortant obtiendrait 54 % des voix, contre 46 % pour Marine Le Pen. Avec les mêmes joueurs, lors des dernières présidentielles de 2017, les sondages étaient alors moins favorables à Marine Le Pen : elle recueillait environ 35 % des intentions de vote.

Emmanuel Macron a finalement gagné l’élection avec 66 % des voix, mais le duel qui s’annonce cette année risque d’être plus serré. La campagne de l’entre-deux tours – avec son lot de défections, de consignes de vote et donc de reports de voix, mais surtout le traditionnel débat entre les candidats — aura une forte incidence.

Professeur adjoint en science politique, je suis spécialiste en études européennes. La France appartient à mon champ d’expertise. J’y analyse les discours publics autour du thème du pluralisme, mais également la place qu’occupent les minorités nationales, en Alsace, en Bretagne et en Corse, au sein du processus de décentralisation.

Des gens passent devant des affiches électorales
Des gens passent devant des affiches de campagnes d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, à Paris, le 6 avril 2022. Les derniers sondages sont serrés entre les deux candidats, et la grande inconnue demeure le taux d’abstentionnisme. (AP Photo/Michel Euler)

Recentrage et dé-diabolisation

Lors de cette campagne électorale, Marine Le Pen a probablement eu raison de miser sur des thèmes comme le pouvoir d’achat, la famille et l’État fort, plutôt que les thèmes classiques de l’extrême droite comme l’immigration et la place de l’islam en France. Concurrencée par la radicalité d’Éric Zemmour, qui lui prive d’un électorat important, ce recentrage lui est toutefois profitable depuis la guerre en Ukraine.

En effet, Éric Zemmour n’a pas tant perdu de points - il est sous les 10 % - par sa proximité avec Vladimir Poutine (Marine Le Pen est également proche de Moscou, quoiqu’elle s’en distancie ces jours-ci) que par les thèmes qu’il défend. En effet, sa détestation du multiculturalisme et de l’immigration ne semblent plus pertinentes tandis que l’électorat d’extrême droite affiche sa solidarité avec les réfugiés ukrainiens.

Eric Zemmour
Le candidat d’extrême droite Éric Zemmour prend la parole à Paris, le 27 mars 2022. Son radicalisme et son caractère belliqueux a avantagé Marine Le Pen dans cette frange de l’électorat. (AP Photo/Michel Euler, File)

Qui plus est, l’effet drapeau — phénomène par lequel l’opinion publique se range derrière les institutions — aura été autant profitable à Emmanuel Macron pour accroître son avance dans les sondages qu’il a permis à Marine Le Pen de disqualifier Éric Zemmour. En effet, la personnalité de son concurrent est perçue comme belliqueuse et clivante, tandis que Marine Le Pen s’est employée à adoucir son image.

Cette stratégie de dé-diabolisation qu’elle théorisé elle-même — cherchant alors à rendre l’extrême droite proche des préoccupations du plus grand nombre et lissant son image pour faire oublier les périodes sombres de son histoire — lui permettrait donc de se qualifier pour le second tour.

Et si Marine Le Pen l’emportait ?

Alors que les équipes de campagne de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron s’y préparent, les commentateurs de la vie politique anticipent également la possibilité que Marine Le Pen devienne présidente de la République française.

On ne peut écarter que des violences politiques et sociales émailleront un quinquennat de Marine Le Pen. D’une part, il existe une ultra-gauche en France qui pourrait se radicaliser face à un autoritarisme de plus en plus prégnant. En effet, l’extrême droite n’a jamais caché sa fascination pour la démocratie illibérale en Hongrie, c’est-à-dire un État où le fonctionnement est démocratique, mais l’indépendance de la justice et les libertés civiques sont malmenés.

D’autre part, les tensions sociales se couplent depuis des décennies avec des tensions ethnoculturelles. Il est fort à parier que la coercition pratiquée par un gouvernement ouvertement différentialiste embrase conséquemment les banlieues françaises. Marine Le Pen estime en effet qu’il existe une différence entre les cultures, la culture française étant supérieure à d’autres et l’immigration la menaçant directement. Ainsi, les populations des banlieues — issues des vagues successives d’immigration — peuvent craindre une discrimination systémique.

Enfin, le parti de Marine Le Pen : le RN a des positions jacobines et centralistes, c’est-à-dire le principe d’indivisibilité de la République dans laquelle il n’existe de peuple que le peuple français. Ces positions sont à mille lieues des demandes d’autonomie de l’Alsace, de la Bretagne et de la Corse, mais également des régions outre-mer. Ces dernières verraient dans l’élection de Marine Le Pen le retour à un colonialisme assumé et violent.

Le poids des élections législatives

Ce n’est pas tout de gagner l’élection présidentielle. Les institutions françaises ont cette particularité d’avoir un pouvoir exécutif partagé entre le président et le premier ministre. Si ce dernier n’est pas nécessairement un parlementaire, son gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale (la chambre basse) et le Sénat (la chambre haute).

Emmanuel Macron, tout sourire
Le président sortant, Emmanuel Macron alors qu’il visite la Bretagne, en mars 2022. Sa réélection, assurée il y a quelques semaines seulement, ne l’est plus. (AP Photo/Jeremias Gonzalez)

Dès lors, les élections législatives — qui auront lieu le 10 et le 24 juin — constituent une forme de troisième tour de l’élection présidentielle puisqu’elles assurent une majorité au gouvernement.

C’est là une difficulté pour le RN puisque le scrutin majoritaire uninominal à deux tours ne le favorise guère. En effet, les résultats en 2017 témoignent d’une implantation locale encore balbutiante, puisque le parti n’aura faire élire que 8 députés sur 577.

Le parti d’Emmanuel Macron était encore plus jeune et bien moins implanté en 2017 que le RN aujourd’hui. Et il a pu gouverner en raison de sa majorité aux élections législatives. Il a obtenu l’appui d’une fraction importante du Parti socialiste, du centre droit et de la droite libérale. Autrement dit, le président qui voulait briser les vieilles pratiques politiques, se situer en-dehors du clivage gauche-droite, a finalement dû composer avec la droite parlementaire.

Il est fort à parier que Marine Le Pen, si elle devient présidente, devra s’allier avec une droite conservatrice face à laquelle elle reculera nécessairement sur certaines propositions de son programme jugées trop radicales pour tout un pan de la classe politique sensible aux intérêts du milieu des affaires.

Toute la stratégie de dédiabolisation déployée par Marine Le Pen pendant tant d’années aura alors un écho particulier.

Zones d’ombres

Un peu comme Donald Trump, aux États-Unis, ou le nationaliste Victor Orban, en Hongrie, qui vient de remporter une quatrième victoire d’affilée, certaines politiques auront probablement une connotation d’extrême droite, mais l’institutionnalisation du RN, la résistance des acteurs politiques et du tissu social, entraveront les plus radicales et discriminatoires.

Pourtant, il demeure des zones d’ombre dans cette hypothèse. Par sa fonction, Marine Le Pen pourrait recourir à l’article 16 de la Constitution française, lequel permet de suspendre les institutions en raison de « menace grave et imminente » et de recourir à des pouvoirs exceptionnels. Autrement dit, d’être — du moins temporairement — une dictatrice dans le cadre autorisé de la Constitution.

Ainsi, si Marine Le Pen l’emporte eu second tour, les élections législatives deviendraient extrêmement tendues.

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