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Sur la côte ouest de l’île de Moorea en Polynésie française. Lauric Thiault/Criobe, Author provided

À l’écoute des récifs coralliens

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les récifs coralliens figurent parmi les écosystèmes les plus variés et complexes au monde. On les considère comme des « points chauds » de biodiversité et ils garantissent de multiples bénéfices, que ce soit au niveau de la production alimentaire, du tourisme ou du développement de biotechnologies. Ils sont également essentiels à la survie de nombreuses populations humaines, en assurant notamment la protection des littoraux.

2,1 % des océans sont aujourd’hui préservés dans des aires marines protégées (AMP).

En raison du réchauffement climatique, la fréquence et l’intensité des perturbations naturelles (cyclones ou invasions de prédateurs, comme l’étoile de mer Acanthaster planci) et anthropiques (provoquant l’acidification des océans ou la hausse des températures des eaux) qui touchent ces ensembles uniques ont considérablement augmenté au cours des trente dernières années. Cette situation a entraîné un déclin brutal des populations récifales.

L’acoustique comme indicateur

Pour faire face à ces changements rapides, il devient essentiel pour les gestionnaires des aires marines protégées de bénéficier d’outils de gestion capables de mesurer, rapidement et sur une grande échelle spatiale, la vitesse de dégradation et/ou la capacité de résilience de l’environnement protégé afin de vérifier la pertinence et l’efficacité de la protection. La science s’est ainsi tournée vers de nouveaux moyens d’obtenir de tels indicateurs. L’acoustique sous-marine en fait partie.

C’est dans ce contexte qu’une équipe de chercheurs du Criobe et de l’université de Liège ont étudié le potentiel de l’acoustique sous-marine sur l’île de Moorea, en Polynésie française. Ils se sont ainsi interrogés sur la capacité de l’acoustique sous-marine à déterminer la biodiversité d’un environnement. Dans le milieu terrestre, on a montré que les forêts dégradées présentaient un « paysage acoustique » moins varié, du fait de communautés animales modifiées.

Peut-on appliquer ce concept de « paysage acoustique » au milieu marin ? Et si oui, peut-il nous apporter des renseignements sur la santé des récifs coralliens ?

Pose de l’hydrophone pour écouter le corail. Cécile Berthe/Criobe, Author provided

Le « monde du silence », c’est du passé

Le « monde du silence » de Cousteau est bien loin, et l’on sait depuis près de quarante ans que la vie sous-marine est bruyante. Bien sûr, il y a le bruit des vagues, des vents et des mouvements tectoniques, qui forment ce qu’on appelle la géophonie. Mais le vivant n’est pas en reste : quand on l’écoute, la biophonie – ou les sons produits par les organismes vivants – sait se faire entendre !

Il y a les sons produits par les animaux qui se nourrissent et claquent des dents ou des pinces, comme les crevettes, les crabes ou les poissons-perroquets. Il y a aussi les poissons qui chantent – les poissons demoiselles, les poissons papillons, les poissons soldats – et qui communiquent entre eux, grognant, qui râlant, ou frottant leurs nageoires pour montrer leur mécontentement ou leur intérêt.

Le son du Dascyllus aruanus (demoiselle à queue blanche) (vidéo Criobe).

Cet environnement sonore est déjà bien connu du monde scientifique, qui a étudié son importance en démontrant, par exemple, que les jeunes crustacés et poissons utilisent ces bruits pour trouver un habitat favorable.

Les avantages du suivi acoustique

L’enregistrement acoustique offre de nombreux avantages dans la récolte de données en milieu sous-marin. Tout d’abord, c’est une méthode non-intrusive. Une fois l’hydrophone posé, la présence humaine n’est plus nécessaire. Ensuite, par sa capacité à rester sous l’eau plusieurs jours, l’hydrophone permet d’enregistrer de jour comme de nuit, dans une eau claire ou trouble, parfois à grande distance pour les sons les plus forts. L’hydrophone est donc capable d’enregistrer les bruits émis dans une zone plus importante que la zone pouvant être couverte par un observateur.

À l’écoute de la biodiversité sous-marine. Cécile Berthe/Criobe, Author provided

Nous avons la capacité d’entendre les fréquences comprises entre 20 et 20 000 Hertz. Dans le milieu corallien, les poissons émettent bien des sons compris entre 20 Hz à 2 000 Hz et les crustacés entre 2000 à 10 000 Hz. Nous sommes donc capables d’entendre le bruit généré par le récif en général. Mais les logiciels d’analyse acoustique sont plus fins que l’oreille humaine et permettent, par exemple, de distinguer les sons des différentes espèces de poissons demoiselles qui présentent des différences bien trop infimes pour l’homme.

Ce que nous « dit » le récif

Pour écouter le récif corallien de Moorea, les chercheurs ont placé des hydrophones à différents endroits sur la pente externe de l’île : la moitié des instruments dans des aires marines protégées, l’autre moitié dans des zones non protégées.

L’île de Moorea étant un site d’étude depuis plus de 40 ans, sa biodiversité sous-marine est bien connue et son recouvrement corallien régulièrement suivi. Les chercheurs se sont concentrés sur deux éléments, issus des études en milieu terrestre : le niveau sonore et la complexité des fréquences sonores enregistrées. Le niveau sonore fournit des informations concernant l’abondance d’organismes vivants, tandis que la complexité sonore informe sur la diversité parmi ces organismes. Après quatre mois d’enregistrements, les chercheurs ont écouté ce qu’ils ont enregistré et l’ont comparé avec leur connaissance du milieu.

Le résultat ? Plus le recouvrement corallien est important, plus le récif est bruyant. Traduction : plus le récif possède d’habitats naturels formés par les colonies coralliennes, plus il possède d’organismes vivants occupant ces habitats. Et plus il y a d’organismes vivants, plus il y a de bruit. La boucle est bouclée !

L’étude a par ailleurs démontré un niveau sonore plus élevé la nuit, appuyant ainsi l’avantage de l’utilisation de l’acoustique dans le suivi sous-marin, puisque ces données n’auraient pas pu être collectées avec un suivi traditionnel par observation visuelle. Et ce n’est pas tout : ce récif présente également une complexité acoustique élevée. Plus les poissons sont nombreux, plus les sons enregistrés sont variés.

Les eaux polynésiennes abritent une grande variété de corail : au premier plan, des bénitiers logés dans un corail favia ; au fond, des poissons demoiselles dans un corail pocillopora. Lauric Thiault/Criobe, Author provided

Avantage aux aires marines protégées

Ce nouveau suivi, combinant deux éléments clés (niveau et complexité acoustique) a démontré deux choses : oui, l’acoustique sous-marine permet d’identifier un environnement sain. Et oui, les aires marines protégées de Moorea sont efficaces. En effet, le suivi, effectué dans quatre AMP de l’île et quatre zones non protégées, a clairement permis de différencier les deux.

Les AMP de Moorea présentent distinctement une plus haute biodiversité acoustique grâce à leur paysage corallien en bonne santé. L’avenir du suivi acoustique dans le milieu corallien semble donc prometteur, pouvant révéler des modèles écologiques à de larges et fines échelles, produisant un ensemble de données fiables qui sera à inclure dans des plans d’action et de prises de décision permettant de réduire la vulnérabilité des habitats marins face aux changements globaux.

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