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À quoi sert l’école si Google nous dit tout ?

La Fac dans votre poche? successo images/www.shutterstock.com

Vous ne vous rappelez pas le nom des deux éléments que Marie Curie a découvert ? Ou qui a remporté les élections au Royaume-Uni en 1945 ? Ou encore à combien d’années-lumière le soleil se trouve de la terre ? C’est simple, demandez-le à Google.

Il suffit aujourd’hui de faire un clic sur sa souris ou de tapoter sur son smartphone pour avoir un accès permanent aux informations de toutes sortes. Cela a radicalement changé nos rapports avec les autres, mais aussi notre façon de nous informer ou même d'organiser notre vie. Si tout se trouve en ligne, quel est donc l’intérêt à passer des années à apprendre à l’école et à l’université ? Bientôt, peut-être, une fois que les enfants auront appris les rudiments de la lecture et de l’écriture, on peut imaginer qu’ils iront faire leur éducation sur internet, avec des moteurs de recherche comme Google, à chaque fois qu’ils veulent savoir quelque chose.

Certains théoriciens de l’éducation britanniques ont fait valoir qu’on pourrait supprimer les enseignants, les salles de classe, les manuels scolaires et autres conférences et laisser simplement les étudiants chercher eux-mêmes leurs informations sur internet. Des idées qui remettent en question le système éducatif traditionnel, basé sur la transmission du savoir entre enseignant et élève. Bien sûr d’autres mettent en garde contre les dangers de cette nouvelle approche, en soulignant l’importance de l’enseignement et du contact humain.

Ce débat sur la place à donner à la recherche en ligne dans l’éducation n’est pas nouveau. Mais alors que l’on pense trop souvent aux façons de prévenir le plagiat ou la tricherie des étudiants quand ils s’en remettent aux tablettes ou smartphones, avec l’obsession de « l’authenticité » du cursus universitaire ou scolaire, nous omettons un élément déterminant.

Curateurs de contenu numérique

Dans la recherche que j’ai récemment conduit, en regardant notamment la façon dont les étudiants rédigent leurs travaux et devoirs, j’ai découvert en effet qu’il s’agissait souvent d’écrits empruntés à l’Internet, mais que cela n’est pas aussi négatif que nous pourrions le penser. En réalité, grâce à l’utilisation prolifique du Web, les étudiants ont recours à un certain nombre de pratiques sophistiquées, pour à la fois rechercher, modifier et évaluer de façon critique les contenus qu’ils dénichent ainsi. Grâce à un examen attentif, minute par minute, de ces pratiques, j’ai pu conclure qu’ils produisent en fait de nouveaux contenus. Ceux-ci doivent être mieux compris puis intégrés dans de nouvelles formes d’enseignement et d’évaluation.

Ces nouvelles pratiques en ligne permettent notamment de rassembler une multitude d’informations à partir d’une multitude de sources, comme Google et les autres moteurs de recherche, dans ce que j’appelle une forme de « curation du contenu numérique ». Curation dans ce sens-là signifie que les étudiants utilisent un contenu déjà existant sur le web afin de produire de nouveaux contenus qui sont le produit d’une réflexion intellectuelle sur un thème ou un autre, créant ainsi une nouvelle expérience pour ceux qui lisent leurs travaux.

Leçons sur la façon de chercher. Les étudiants via bikerider Londres/Shutterstock

Une partie de ce processus nécessite le développement d’un regard critique quant au contenu recherché en ligne, qui passe par la capacité à détecter des articles sans intérêt, ce que l’on appelle en anglais « crap-détection », tout en trouvant son chemin au milieu de la jungle des informations disponibles. Ce parcours intellectuel est essentiel dans toute notion de « curation d’information », alors que les plus jeunes utilisent de plus en plus le Web comme une extension de leur propre mémoire .

Les étudiants doivent commencer par comprendre que le contenu sur le Web est déjà sélectionné et organisé selon les critères de Google et des autres moteurs de recherche, à travers l’algorithme Page Rank par exemple, mais aussi grâce à d’autres indicateurs. La curation dès lors correspond de facto à la gestion de contenus écrits par d’autres et oblige à une discussion avec les auteurs si les étudiants ont des questions. C’est une nouvelle sorte de « littérature numérique ».

Grâce à la connectivité omniprésente, la curation a en fait déjà trouvé sa place au sein des environnements éducatifs. Il est maintenant nécessaire de mieux comprendre comment ces pratiques de recherche en ligne et ces nouveaux types d’écriture peuvent être incorporés dans l’évaluation des étudiants.

Comment évaluer ces nouvelles compétences

Alors que les processus d’évaluation des étudiants se focalisent généralement sur la production d’un contenu « authentique », ils pourraient également prendre en compte ces nouvelles pratiques de curation. Si l’on imagine par exemple un travail à rendre comme une sorte de portfolio numérique, on pourrait exiger des étudiants qu’ils identifient les informations en ligne sur un thème particulier, qu’ils les organisent de manière intelligible et les présentent selon une trame narrative, tout en citant leurs sources, afin de défendre un argument ou même une thèse.

Parvenir à résoudre des problèmes en faisant la synthèse d’un grand nombre d’informations disponibles sur le Net, souvent en collaboration avec d’autres étudiants, et explorer les différentes manières pour aboutir au résultat désiré, sont des compétences clés dans l’économie du XXIe siècle, basée sur l’information. Comme la Chambre de commerce de Londres l’a souligné, nous devons nous assurer que les étudiants diplômés possédant ces compétences puissent bien s'intégrer dans le monde du travail.

Mes recherches montrent que beaucoup de jeunes sont déjà des experts-curateurs en puissance grâce à leur seule activité quotidienne sur l’Internet et aux stratégies qu’ils mettent eux-mêmes au point pour rédiger leurs travaux. Les enseignants et professeurs doivent donc mieux comprendre ces pratiques afin les prendre en compte et de les incorporer dans leurs techniques d’évaluation.

À l’ère du « tout information », les techniques éducatives doivent évoluer. Et se préoccuper moins des textes « authentiques » écrits par un étudiant pour se concentrer sur l’apparition d’une nouvelle littérature numérique, résultat de toute la palette d’informations produites par un réseau global accessible d'un seul clic.

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