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Abandonner l’euro : quand les fêtards auront dessaoulé…

Le bon vieux franc ? Blowing Puffer Fish/Flickr, CC BY

La perspective d’un abandon de l’euro devient une perspective de moins en moins iconoclaste à mesure que le résultat des élections présidentielles progresse dans l’inconnu. Quel que soit notre sentiment de citoyen vis-à-vis de la monnaie européenne, il y a des réalités qu’on ne peut ignorer, sauf dans des discours trompeurs ou des procès en sorcellerie.

En effet, si les avantages hypothétiques d’un abandon de la monnaie européenne sont loin d’être avérés, les inconvénients et les coûts financiers sont en revanche, bien prévisibles. Regardons quelques conséquences, et rapprochons-les d’expériences vécues dans de telles circonstances

Vie quotidienne : une double monnaie en France ?

Bien des pays européens qui n’ont pas adopté l’euro voient les deux monnaies circuler quotidiennement (Europe centrale, Balkans, Chypre…). On achète le pain en monnaie locale, on mène les transactions plus importantes en euro. Où est la souveraineté ? Le risque de fuite vers l’euro sera hémorragique et insupportable dès les premières rumeurs de dévaluation. Je reçois mon salaire en francs, je le convertis en euro pour défendre mon pouvoir d’achat, et me protéger des crises. Pareil pour mon épargne.

Mes commerçants, mes fournisseurs, surtout les étrangers, demandent à être payés en euro. Un taux de change fixe franc-euro n’est en rien une solution. La souveraineté comptable, un objectif politique ? La moindre rumeur de fragilité réveillerait la fringale des spéculateurs. Nous serions seuls pour nous défendre.

En septembre 1992, La Grande-Bretagne de Margareth Thatcher a dû capituler au bout de cinq jours face aux spéculateurs. La livre fut dévaluée de 20 %. L’arrogance de la Dame de fer l’avait conduit à intégrer le SME sous réserve qu’une livre soit égale à trois deutschemark, un taux insoutenable que les partenaires européens ont dû supporter et défendre, avant de renoncer. Les Français et les Allemands devaient acheter la devise britannique pour soutenir sa valeur à un cours surévalué.

Pensez-vous que les pays de l’euro auront cette bienveillance pour la France ? La sortie de la zone euro nous conduira nécessairement à un contrôle des changes comme celui que l’on a connu en 1982, auquel Pierre Beregovoy avait réussi à mettre fin en 1992. Ce contrôle pénalisera sans doute les ménages les plus faibles comme ce fut le cas en Grèce en 2010. Les ménages les plus aisés, aidés par certaines banques avaient délocalisé leur épargne et leur patrimoine.

Rembourser la dette actuelle de 1 600 milliards d’euros ?

Bureau de change avec des francs. Nathal/Flickr, CC BY-SA

Il faut être naïf pour penser qu’on pourra la rembourser à sa valeur nominale par des francs qui auront été dévalués de 15 % ou 20 %. « C’est du droit français » ( !) ; la vérité est qu’il n’y a aucun prospectus qui stipule les conditions de remboursement et la faculté de l’État français à rembourser dans une autre monnaie que la monnaie d’émission. On peut être certain que les investisseurs étrangers (et même français) se tourneront vers les tribunaux internationaux.

L’Argentine a fait les frais de la légèreté avec laquelle elle a pris en considération ses créanciers ; s’il faut finir par rembourser notre dette en euro surévaluée en la finançant avec des francs que l’on aura vendus (à qui ?), il faudra déjà supporter la perte de change que nous aurons nous-mêmes créée.

Émettre de nouvelles dettes en francs ? En l’état actuel, nous ne pouvons pas nous passer de financement extérieur pour au moins une dizaine d’années. En 2017, l’état français devra emprunter 185 milliards d’euros. Qui financera ? La banque de France en faisant fonctionner la planche à billets ? Inflation garantie, appauvrissement généralisé programmé. Les statistiques sont claires : 60 % de la dette publique française est détenue par des non-résidents ; pensez-vous qu’ils prendront le risque d’investir dans notre monnaie, étroite, locale, et volatile ? Le bon sens les fera choisir une autre monnaie… à moins que l’on ne propose une rémunération très attractive.

Quelle charge financière à venir ?

La caractéristique d’une monnaie faible est de devoir proposer un taux d’intérêt plus élevé ; si la France émet des dettes en francs (il ne faudra plus espérer en « vendre » en euros…) la charge d’intérêt deviendra vite insoutenable. Tous les pays européens ont profité du parapluie de la monnaie commune. Les dirigeants grecs ont bien pesé la situation. Malgré leur aversion pour les institutions européennes et « le bras armé » qu’est l’euro, ils n’ont pas hésité et ont refusé de revenir à la drachme.

Plus près de nous, en 2010, en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a voulu créer les « MIR » monnaie ivoirienne de résistance jusque avant d’être destitué. Les Ivoiriens avaient bien compris vers quel chaos une telle décision pouvait les entraîner…

Depuis quelques années, la dette française s’accroît sans que la charge d’intérêt progresse car le taux de la dette a continuellement diminué. Malgré cette drogue que constituent des taux très faibles, la charge des intérêts représente le second poste de dépense pour l’État. Si le taux d’intérêt devait augmenter d’un point de taux, la charge d’intérêt progresserait à terme de près de 4 milliards d’euros (convertis en francs) par an…

En conclusion, vouloir abandonner l’euro, ou prétendre que l’on a tout à y gagner relève d’un mensonge opportuniste dont nous aurons tous à payer le prix, ceux qui ont voulu croire aux promesses, mais aussi les autres. L’exemple du Brexit devrait nous inspirer. Quelques bateleurs anglais ont tenu le devant de la scène, jusqu’au vote, pour admettre que bien des chiffres étaient faux et ont abandonné en rase campagne leurs responsabilités. Devons-nous nous résoudre à reconnaître avec Rousseau que la démocratie peut se tromper ?

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