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Agriculture : la diversité des acteurs, un atout pour construire un nouveau modèle en France

Les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) font partie de ces propositions alternatives qui ont gagné en popularité avec la crise sanitaire. Loïc Venance / AFP

Circuits courts, relocalisation des productions alimentaires, gestion des terres, besoin de main-d’œuvre agricole… Ces thématiques n’ont jamais autant fait l’actualité que depuis le début de la crise sanitaire. Aucun média n’est en reste pour trouver des exemples de producteurs proches des consommateurs, ici une association pour le maintien d’une agriculture paysanne, ou AMAP, ailleurs un marché paysan, là encore des maraîchers bio installés sur des terrains mis à disposition par une collectivité territoriale…

Ces initiatives donnent à voir les inconvénients du modèle agricole conçu dans les années 1960. Caractérisé par une recherche de productivité et de réduction des coûts grâce à des économies d’échelle ou à la standardisation des produits, il affiche des limites d’ordre économique, qu’il s’agisse du faible revenu des agriculteurs ou de la dépendance aux marchés extérieurs. Elles sont aussi d’ordre social, puisque les emplois restent de qualité faible, et écologique en impactant la qualité des écosystèmes. Le besoin d’une transition des systèmes agricoles semble ainsi de plus en plus manifeste. Qui, cependant pour la porter ?

Des actions collectives variées

Il existe un ensemble d’organisations plus ou moins connues et plus ou moins anciennes regroupées sous le sigle Onvar (pour Organismes nationaux à vocation agricole et rurale) tout à fait en mesure d’accompagner ces transformations. Rien de commun en apparence entre des organisations bien implantées comme La Coopération agricole et d’autres, plus discrètes, comme Terres de Liens ou Accueil Paysan, si ce n’est leur capacité à imaginer les agricultures de demain, voire à porter un projet politique en raison même de leur diversité.

En encourageant ces organisations aux côtés des chambres d’agriculture et des instituts techniques, les pouvoirs publics pourraient faire faire émerger la diversité des agricultures capables de répondre aux attentes des citoyens en termes de type de produits, d’environnement et de conditions sociales de production.

D’autant que l’agriculture se trouve à la croisée des chemins au moment où se discutent à Bruxelles une nouvelle politique agricole commune (PAC), qui suscite des inquiétudes chez les agriculteurs, et un nouveau programme national de développement agricole et rural (PNDAR).

De nombreux agriculteurs demandent plus de justice alors que l’Union européenne dessine sa nouvelle politique agricole commune. Jean‑François Monier/AFP

Sur ces thématiques, l’intérêt de nos travaux se situe à un double niveau. D’un point de vue technique, ils conçoivent de nouvelles façons de produire à un niveau plus local, avec une dimension plus collaborative. D’un point de vue stratégique, ils aident à la fois à imaginer la politique de demain, à partir de la diversité des modes de pensée, et sa mise en œuvre en faisant usage de nouveaux outils.

Transformer les systèmes agricoles et alimentaires, c’est faire évoluer tout un système qui va des aspects fonciers jusqu’aux choix de commercialisation en passant par les pratiques productives et la qualité des produits. Aussi innovantes soient-elles, les initiatives individuelles ne peuvent ainsi engager l’agriculture française dans une transition à grande échelle qu’en s’insérant dans des démarches collectives.

Les réseaux InPACT et Trame constituent à ce sujet de bons exemples d’une vision collective du développement agricole et rural.

Les associations locales des InPACT régionaux développent des actions très variées comme des projets d’espaces tests agricoles, le suivi d’annonces foncières ou encore le développement de circuits courts. Chacune de ces actions nécessite de mettre en lien plusieurs parties prenantes : consommateurs, collectivités territoriales et tous les acteurs de l’alimentation. De façon complémentaire, le pôle InPACT national conduit des actions sur l’installation et la transmission des exploitations agricoles, sur la souveraineté technologique des agriculteurs ou sur les systèmes alimentaires locaux afin de permettre un développement des compétences aux niveaux individuel et collectif.

Trame réunit six réseaux associatifs en lien avec le machinisme agricole et le transfert de connaissances. Il assure une fonction de centre de ressources qui apporte un appui aux travailleurs du secteur. La plus-value spécifique apportée par un tel réseau réside dans le renforcement de l’autonomie des collectifs locaux.

Tous ont développé de réelles expertises sur des thématiques peu traitées ailleurs : accompagnement des agriculteurs en difficulté, renforcement de l’autonomie des exploitants, valorisation des savoir-faire locaux…

Une « conflictualité créatrice »

Malgré tout, les Onvar gardent des cœurs de métiers distincts et des visions stratégiques voire politiques différentes. Trame se sent plus proche des syndicats majoritaires quand InPACT rejoint davantage la minorité. L’ensemble des Onvar se retrouve cependant régulièrement sous forme de réunions.

Ces différences qu’ils cherchent à dépasser animent même, selon leurs dires « une conflictualité créatrice ». Ils partagent avant tout un savoir-faire en matière d’ingénierie sociale et d’accompagnement humain. Tous recherchent la promotion de modèles agricoles spécifiques et à être force de propositions pour la prochaine PAC.

À l’heure actuelle, la transformation des systèmes agricoles et alimentaires pâtit de partenariats limités entre les trois principaux types acteurs concernés, à savoir les chambres d’agriculture, les instituts techniques des filières agricoles et les Onvar.

Plusieurs raisons à cela. Peut notamment être invoqué le développement des appels à projets dans le cadre du PNDAR qui peut placer ces acteurs en situation de concurrence dans un contexte de ressources financières rares. Il s’agit aussi de souligner la faiblesse des moyens, notamment humains, des Onvar. Par ailleurs, alors qu’une majorité d’Onvar soutient des visions alternatives pour le secteur, les récentes élections consulaires ont réaffirmé la place des instances traditionnelles à la tête des chambres d’agriculture.

Pour autant, les experts du développement rural considèrent que cette diversité des modèles agricoles reste nécessaire pour aboutir à une transition réussie. Celle-ci demeure porteuse de potentiels d’expérimentation tout en répondant aux exigences de stabilité des approvisionnements.

D’ailleurs, le futur PNDAR 2022-2027 partira largement de ce postulat en articulant soutiens récurrents aux structures et appels à projets. Les Onvar y semblent en mesure de faire valoir une légitimité sur des thématiques devenues incontournables comme les circuits courts, le travail en agriculture ou la gestion du foncier.


Anne-Sophie Barbarot, secrétaire générale adjointe de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) Auvergne-Rhône-Alpes, a co-rédigé cet article.

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