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Un groupe majoritairement composé de jeunes femmes est assis par terre
Des manifestants pour le droit à l'avortement participent à une veillée à la bougie pour la liberté reproductive et le droit à l'avortement devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, le 26 juin 2022. (AP Photo/Gemunu Amarasinghe)

Annulation de l’arrêt Roe : ce que vous devez savoir sur la décision de la Cour suprême concernant l’avortement

Après un demi-siècle, le droit constitutionnel des Américaines à se faire avorter a été annulé par la Cour suprême.

L’arrêt Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization, rendu le 24 juin 2022, est lourd de conséquences. La Conversation a demandé à Nicole Huberfeld et Linda C. McClain, spécialistes du droit de la santé et du droit constitutionnel à l’université de Boston, de commenter la situation et la suite des événements.


Qu’a décidé la Cour suprême ?

La Cour suprême a décidé, par une majorité de 6 contre 3, de confirmer l’interdiction de l’avortement après 15 semaines de grossesse dans le Mississippi. Ce faisant, les juges ont annulé deux importants arrêts protégeant l’accès à l’avortement : Roe c. Wade, en 1973, et Planned Parenthood c. Casey, en 1992.

L’opinion de la Cour, rédigée par le juge Samuel Alito, affirme que la Constitution ne mentionne pas l’avortement. La Constitution ne garantit pas non plus le droit à l’avortement en vertu d’un autre droit, le droit à la liberté.

L’opinion rejette l’argument de Roe et Casey selon lequel le droit constitutionnel à la liberté inclut le droit à la vie privée d’une personne qui choisit de se faire avorter, de la même manière qu’il protège d’autres arrêts concernant des comportements sexuels intimes, comme la contraception et le mariage. Selon l’opinion, l’avortement est « fondamentalement différent », car il détruit la vie du fœtus.

L’approche restrictive de la Cour à l’égard du concept de liberté constitutionnelle est en contradiction avec la position plus large qu’elle a adoptée dans l’arrêt Casey, ainsi que dans une affaire historique du mariage pour tous, le cas Obergefell c. Hodges de 2015. La majorité a toutefois déclaré que rien dans son opinion ne devrait affecter le droit des couples homosexuels à se marier.

L’opinion d’Alito a également rejeté le principe de droit de « stare decisis », ou règle du précédent. Les partisans du droit à l’avortement soutiennent que les arrêts Casey et Roe auraient dû être maintenus, car, selon les termes de l’arrêt Casey, les droits génésiques donnent aux femmes la capacité à « participer de manière égale à la vie économique et sociale de la Nation ».

L’arrêt ne signifie pas que l’avortement est interdit dans tous les États-Unis. Les débats sur sa légalité se dérouleront désormais dans les législatures des États, où, comme l’a noté Alito, les femmes « ne sont pas dépourvues de pouvoir électoral ou politique ».

Les États seront autorisés à réglementer ou à interdire l’avortement sous réserve uniquement de ce que l’on appelle la démonstration du « bien fondé ». Il s’agit d’une norme inférieure au critère du « fardeau indu » de Casey. En vertu du critère du fardeau indu de Casey, les États ne peuvent pas promulguer de restrictions qui constituent des obstacles importants pour les personnes souhaitant avorter. Désormais, les interdictions relatives à l’avortement seront présumées légales tant qu’il existe un « bien fondé » permettant au législateur de croire que la loi sert les intérêts légitimes de l’État.

Dans une dissidence vigoureuse, les juges Stephen Breyer, Elena Kagan et Sonia Sotomayor ont critiqué l’approche restrictive de la Cour en matière de liberté et ont contesté son mépris du stare decisis et des conséquences de l’annulation de Roe et Casey sur la vie des femmes aux États-Unis. Les dissidents ont déclaré que la décision aurait pour effet « de restreindre les droits des femmes et leur statut de citoyennes libres et égales ». Ils ont également exprimé leur profonde inquiétude quant aux répercussions de la décision sur la capacité des femmes défavorisées à accéder aux services d’avortement aux États-Unis.

Où s’inscrit cette décision dans l’histoire des droits génésiques aux États-Unis ?

C’est un moment extrêmement important. La décision de la Cour a permis d’accomplir ce que les défenseurs des droits génésiques craignaient depuis des décennies : elle a supprimé le droit constitutionnel à la vie privée qui protégeait l’accès à l’avortement.

Cette décision est le fruit de plusieurs décennies de gestation. Il y a trente ans, lors du débat sur l’affaire Casey, de nombreux spécialistes du droit croyaient que la Cour était sur le point d’annuler l’arrêt Roe. À l’époque, la Cour comptait huit juges nommés par des présidents républicains, dont plusieurs avaient déclaré être prêts à casser la décision par des opinions dissidentes.

Au lieu de cela, les attributaires républicains Anthony Kennedy, Sandra Day O’Connor et David Souter ont confirmé Roe. Son cadre a été révisé pour permettre une plus grande réglementation des États tout au long de la grossesse et le critère d’évaluation de ces lois a été assoupli. En vertu du critère d’examen strict de Roe, toute restriction du droit à la vie privée permettant d’accéder à un avortement doit être « étroitement adaptée » pour servir un intérêt « impérieux » de l’État. Mais le critère de « fardeau indu » de Casey a conféré aux États une plus grande latitude pour réglementer l’avortement.

Même avant l’arrêt Casey, les opposants à l’avortement au Congrès avaient considérablement restreint l’accès des femmes défavorisées et des membres de l’armée à l’avortement en imposant des limites à l’utilisation des fonds fédéraux pour payer de tels services.

Au cours des dernières années, les États ont adopté de nombreuses restrictions à l’avortement qui n’auraient pas survécu au critère plus rigoureux d’« examen strict » de Roe. Malgré cela, nombre de ces limitations imposées par les États ont été invalidées par les tribunaux fédéraux en vertu du critère du fardeau indu, notamment l’interdiction d’avorter avant la viabilité du fœtus et les lois dites « TRAP » – targeted regulation of abortion provider (régulation ciblant les prestataires d’avortement) – qui rendaient plus difficile de maintenir les cliniques ouvertes.

La promesse du président Donald Trump de nommer des juges « pro-vie » dans les tribunaux fédéraux – et sa nomination de trois juges conservateurs à la Cour suprême – a finalement rendu possible l’objectif des opposants à l’avortement légal : annuler Roe et Casey.

Que se passera-t-il ensuite ?

Même avant Dobbs, la possibilité d’accéder à l’avortement était limitée par un ensemble de lois disparates à travers les États-Unis. Les États républicains ont des lois plus restrictives que les États démocrates, les personnes vivant dans le Midwest et le Sud étant soumises aux contraintes les plus sévères.

Treize États disposent de lois dites « de déclenchement » qui restreignent considérablement l’accès à l’avortement. Celles-ci entreront bientôt en vigueur, maintenant que la Cour suprême a annulé les arrêts Roe et Casey, et ne nécessitent qu’une certification du procureur général de l’État ou une intervention d’un représentant de l’État.

Neuf États sont dotés de lois antérieures à Roe qui n’ont jamais été supprimées et qui limitent ou interdisent de manière considérable l’accès à l’avortement. Au total, près de la moitié des États restreindront l’accès à l’avortement par le biais de diverses mesures telles que l’interdiction d’avorter à partir de six semaines de grossesse – avant que de nombreuses femmes ne sachent qu’elles sont enceintes – et la réduction des raisons d’avorter, par exemple en interdisant l’avortement en cas d’anomalie du fœtus.

Par ailleurs, 16 États ainsi que le District de Columbia protègent l’accès à l’avortement de diverses manières, notamment par des lois, des amendements constitutionnels ou des décisions de la Cour suprême de l’État.

Aucun des États qui limitent l’accès à l’avortement ne criminalise actuellement l’action de la personne enceinte. Au contraire, ce sont les prestataires de soins de santé qui sont menacés de poursuites civiles ou pénales, y compris la perte de leur permis d’exercer la médecine.

Certains États ont entrepris de créer des « zones sûres » où les femmes peuvent se rendre pour avoir accès à un avortement en toute légalité. Certaines personnes provenant d’États très restrictifs se rendent déjà dans des États comme le Massachusetts.

La décision de la Cour peut également conduire à une action fédérale.

La Chambre des représentants a adopté la Loi relative à la protection de la santé des femmes, qui protège les prestataires de soins de santé et les femmes enceintes souhaitant avorter, mais les républicains du Sénat ont bloqué le vote du projet de loi. Le Congrès pourrait également reconsidérer le remboursement limité au titre de l’assurance médicale Medicaid pour un avortement, mais une telle législation fédérale semble aussi avoir peu de chances d’aboutir.

Le président Joe Biden serait en mesure d’utiliser son pouvoir exécutif pour demander aux agences fédérales de revoir les réglementations existantes afin de garantir le maintien de l’accès à l’avortement dans le plus grand nombre d’endroits possible. Les républicains du Congrès pourraient tâter le terrain quant à l’interdiction de l’avortement à l’échelle nationale. Bien que ces efforts risquent d’échouer, ils sont de nature à semer la confusion chez des personnes déjà vulnérables.

Qu’est-ce que cela signifie pour les femmes qui cherchent à se faire avorter en Amérique ?

Les grossesses non désirées et les avortements sont plus fréquents chez les femmes démunies et les femmes de couleur, tant aux États-Unis que dans le reste du monde.

Les recherches révèlent que les gens ont recours à l’avortement, qu’il soit légal ou non, mais que dans les pays où l’accès à cette pratique est limité ou interdit, les femmes sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé, tels que des infections, des saignements excessifs et des perforations utérines. Celles qui doivent mener leur grossesse à terme risquent davantage de subir des décès liés à la grossesse.

L’accès à l’avortement par État résultant de cette décision signifie que de nombreuses femmes devront parcourir de plus grandes distances pour obtenir un avortement. Or, moins de personnes y auront recours en raison de leur éloignement, en particulier les femmes à faible revenu – un fait que la Cour suprême elle-même a reconnu en 2016.

Mais depuis 2020, l’avortement par médicaments – une posologie de deux comprimés, un de mifépristone et un de misoprostol – est la méthode la plus courante d’interruption de grossesse aux États-Unis. C’est la pandémie de coronavirus qui a accéléré ce changement, car elle a poussé la Food and Drug Administration à rendre les avortements par médicaments plus accessibles en autorisant les médecins à prescrire les comprimés par télémédecine et en permettant leur envoi par la poste, sans consultation en personne.

De nombreux États qui restreignent l’accès à l’avortement tentent également d’empêcher l’avortement par médicaments. Mais la tâche s’avère ardue pour dissuader les prestataires de services de télésanté d’envoyer des comprimés par la poste. De plus, puisque la FDA a approuvé ce traitement, les États contrediront la loi fédérale, ce qui créera un conflit susceptible d’entraîner d’autres litiges.

L’annulation par la Cour suprême d’un droit reconnu depuis 50 ans place les États-Unis dans la catégorie des pays minoritaires, dont la plupart s’orientent vers la libéralisation. Néanmoins, même si l’avortement est considéré par beaucoup comme un soin de santé essentiel, nul doute que le combat culturel se poursuivra.

This article was originally published in English

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