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Au delà des manifestations sur les frais de scolarité, le profond malaise des universités sud-africaines

Manifestations d'étudiants à Johannesburg. Pontsho Pilane/The Daily Vox

Les universités sud-africaines manquent de moyens. Ce n’est ni une hypothèse, ni une opinion : c’est un fait que même le ministère de l’Éducation supérieure et de la Formation confirme. Aujourd’hui, les étudiants en ont assez. Et c’est pourquoi ils organisent depuis plusieurs jours des manifestations dans tout le pays, allant parfois jusqu’à bloquer l’ensemble des campus et des routes environnantes.

L’étincelle qui a déclenché cette récente vague de manifestations s’est produite à Johannesburg, à l’université du Witwatersrand, aussi appelée Wits. J’y travaille et je siège à son Conseil en tant qu’élu du personnel enseignant. Avec les deux représentants étudiants, nous avons récemment voté contre une augmentation de 10,5 % des frais d’inscription proposée par l’université. Nous avons été mis en minorité, mais la hausse a tout de même été temporairement suspendue grâce aux manifestations étudiantes.

Un impossible numéro d’équilibriste

Pourquoi avons-nous été mis en minorité ? Tout d’abord, de nombreux membres du Conseil, bien que sensibles aux conséquences de cette augmentation pour les étudiants, se sentent pieds et poings liés par l’obligation statutaire d’équilibrer le budget de l’université. Pourtant, cette contrainte légale ne tient compte ni de la hausseimportante du nombre d’étudiants, ni de la baisse significative des financements publics.

D’autre part, si la plupart des membres du Conseil pensent que cette augmentation est la seule solution pour éviter de passer dans le rouge, certains préfèrent espérer que de potentiels financements privés permettront de garder l’institution à flot pendant quelques années. Mais Wits est déjà l’université sud-africaine recevant le plus de fonds privés et nous devons rester réalistes quant aux ressources disponibles.

Rien n’est à attendre non plus du gouvernement, comme Blade Nzimande, le ministre de l’Éducation supérieure et de la Formation, l’a clairement fait entendre dans son discours de clôture d’une récente conférence sur l’éducation. Il a d’ailleurs ajouté qu’il s’inquiétait de voir que les universités n’aient pas encore adopté de mécanismes de résolution des contentieux. Le message est clair.

Il est pourtant essentiel que chaque Sud-Africain, à l’intérieur ou à l’extérieur du système d’éducation supérieure, ait une vision claire des tenants et des aboutissants du financement des universités du pays.

Un cocktail explosif

En effet, de nombreux étudiants entrant à l’université sont certes brillants, mais insuffisamment préparés par les écoles des townships ou des zones rurales qu’ils ont fréquentées. Et cette situation ne fait qu’aggraver le manque de moyens des établissements universitaires en faisant peser sur eux des coûts supplémentaires. Elle limite aussi la capacité des étudiants à travailler à temps partiel : si devez étudier deux fois plus pour réussir à vos examens, devoir travailler en plus vous placera rapidement en situation d’échecs.

Issus d’écoles privées ou d’établissements publics confortablement dotés, les étudiants de la nouvelle classe moyenne noire sont souvent mieux préparés à l’université. Mais leurs familles subissent généralement une forte pression financière en dépit d’un transfert intergénérationnel de richesse limité. Quant aux familles récemment entrées dans la classe moyenne, elles doivent le plus souvent continuer à aider des membres de leur famille élargie.

Dans le même temps, le système d’aides étudiantes, appelé NSFAS (National Student Financial Aid Scheme), n’offre des prêts ou des bourses qu’aux étudiants dont les familles ont des revenus inférieurs à un certain seuil. Résultat : les étudiants de la classe moyenne noire connaissent généralement desdifficultés financières importantes.

De plus, dans les universités les plus cotées, comme à Wits, on assiste à un problème supplémentaire. En effet, le coût des études y dépasse la bourse la plus élevée offerte par le NSFAS. La différence peut aller jusqu’à près de 3 000 euros (40 000 rand) par an : une somme que les familles les plus pauvres ne peuvent assumer. Or, jusqu’à l’année dernière, Wits pouvait compléter les bourses de ses étudiants les plus pauvres grâce à ses fonds propres.

Éducation à deux vitesses

Mais la réduction croissante des financements publics, ainsi que les changements de certaines dispositions du NSFAS, ont rendu cela impossible. Un membre de la direction m’a d’ailleurs confié qu’en 2015 Wits avait laissé partir plus de 3 000 étudiants qui répondaient à nos critères académiques, mais ne pouvaient réunir les fonds nécessaires. Wits et d’autres universités deviennent ainsi de fait des institutions privées. Elles ne reconnaissent plus la réussite intellectuelle, mais la réussite sociale. Or une éducation à deux vitesses ne peut que renforcer les différences dans un pays déjà divisé.

Car de nombreux étudiants noirs subissent également un fort isolement culturel, même si l’on en parle peu. Nés sous la démocratie, on les appelle des « born frees ». Ils étudient pourtant dans des universités qui n’ont pas encore su se transformer totalement.

Ce phénomène est présent partout. Pas uniquement dans les enclaves blanches de Stellenbosch, dans la province du Cap occidental, ou à l’université de Potchefstroom, dans la province Nord-Ouest. Or ce fossé culturel nourrit le ressentiment des étudiants défavorisés et contribue à créer la situation explosive à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Et si les révolutions culturelles ont leur dynamique propre, l’argent reste bien le nerf de la guerre : la transformation des universités restera impossible tant que la seule réponse sera de réduire les financements de l’éducation supérieure.

En définitive, l’acceptation résignée par les directions et les conseils des universités des financements insuffisants octroyés par le gouvernement nous a menés dans le mur. Nous devons toutefois garder espoir que cette nouvelle génération d’étudiants sera entendue.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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