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Au Japon, les enseignements de la victoire électorale de l’inamovible parti libéral-démocrate

Un homme en imperméable vert tient un prospectus à l'effigie de  Kishida Fumio
Tract de campagne de Kishida Fumio, le nouveau premier ministre du Japon. Saitama, 30 octobre 2021. Behrouz Mehri/AFP

Ce 31 octobre, les législatives japonaises se sont soldées par une nouvelle victoire du Parti libéral-démocrate (PLD), formation conservatrice qui a été au pouvoir quasiment sans discontinuer depuis 1955.

Un peu plus d’un mois plus tôt, le 29 septembre, le PLD avait élu son président et un régime parlementaire conduit en principe le chef du parti majoritaire à devenir ensuite premier ministre. Cette élection interne avait été remportée par Kishida Fumio (selon l’ordre japonais : nom de famille suivi du prénom).

La victoire de cet ancien ministre des Affaires étrangères (2012-2017) âgé de 64 ans, devenu premier ministre le 4 octobre après le vote de la Diète (le parlement), a permis au PLD de faire remonter sa cote de popularité. Elle n’en était pas moins parmi les plus basses qu’un premier ministre nouvellement nommé ait jamais connues (inférieure à celle du début de mandat de son prédécesseur Suga Yoshihide).

Cette relative désaffection de la population à l’égard du parti au pouvoir s’explique en grande partie par la crise sanitaire et le creusement consécutif des inégalités, en dépit des mesures adoptées par le gouvernement pour maintenir l’économie à flot durant cette phase (l’aide distribuée n’a pas été, comme en France, proportionnée au salaire ; ainsi, les bas revenus ayant reçu autant que les revenus aisés, on peut considérer que l’aide distribuée au Japon l’a été de manière plus égalitaire).

La gestion de la crise du coronavirus par Yoshihide Suga, le précédent chef du PLD et premier ministre, a fait perdre de sa popularité au parti. Ici à Tokyo lors d’une allocution sur la gestion de la pandémie, le 30 juillet 2021. Issei Kato/AFP

Une campagne sur fond de débats économiques et sociaux

La crise sanitaire a frappé un Japon convalescent. Sous Abe Shinzô (2012-2020), le salaire minimum, indexé sur l’inflation, a augmenté de 2,7 % par an en moyenne entre 2013 et 2019. De plus, en octobre 2019, pour contrebalancer l’impact de l’augmentation de la TVA, des mesures de redistribution ont été prises en faveur des personnes à faibles revenus. Néanmoins, les salaires dans leur ensemble n’ont pas crû ou très peu, et la reprise de l’inflation entre 2013 et 2015 a affecté le pouvoir d’achat : la classe moyenne souffre et s’appauvrit. Le retour de la déflation a pesé sur la croissance à partir de 2017. Elle aura été d’environ 3,8 % en 2021 – un rythme accéléré par l’effet « redémarrage » de la sortie de crise – mais est tributaire de l’activité internationale (la consommation et les investissements manquant d’entrain). De ce fait, les électeurs se disaient plus intéressés par les questions économiques avant cette campagne qui a vu les partis afficher leurs différences.

La campagne des législatives opposait principalement le PLD et le Parti bouddhiste, partenaires depuis 1999, aux deux premiers partis d’opposition que sont le Parti démocrate constitutionnel Rikken (centre gauche, héritier des démocrates qui ont gouverné de 2009 à 2012) et le Parti communiste (PCJ). Ces deux partis d’opposition, pour la première fois, avaient fait en sorte de ne pas se faire concurrence pour optimiser leurs résultats.

Le programme du PLD – et ceux de ses adversaires

Durant la campagne, Kishida a évoqué un « nouveau capitalisme » et une lutte accrue contre les inégalités (plus prononcées qu’en France selon l’OCDE, annoncé des tests PCR gratuits et des certificats de vaccination électroniques pour améliorer la lutter contre le coronavirus. Sur la transition énergétique, le PLD, confirmant sa ligne, s’est dit favorable au maintien d’une part nucléaire importante dans le mix énergétique du pays – pour atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 46 % d’ici 2030.

Le Rikken appelait au vote d’une enveloppe budgétaire de 30 000 milliards de yens (environ 250 milliards d’euros) pour aider les personnes défavorisées ; à une réduction temporaire à 5 % du taux de TVA (dont il avait posé le principe d’une augmentation progressive à 10 % en accord avec le PLD, en 2012) ; à une exonération temporaire de l’impôt sur le revenu pour les personnes disposant de moins de 10 millions de yens (soit 80 000 euros) par an ; à une hausse de la taxation des revenus financiers des classes supérieures. Par ailleurs, il veut voir les énergies représenter 100 % du mix énergétique d’ici à 2050.

En politique étrangère, le PLD a mis en avant l’alliance nippo-américaine ; la sécurité dans l’Indo-Pacifique à travers la « Vision pour un Indo-Pacifique libre et ouvert » ; un alignement sur l’objectif d’augmentation à 2 % du PIB des dépenses de défense fixé par l’OTAN (invoqué parce que les pays européens peuvent servir de norme) ; le renforcement de la défense antimissile, y compris par le développement ou l’acquisition de nouveaux missiles dits « stand-off », déjà programmés, et une amélioration de la capacité de dissuasion.

Les questions militaires, notamment de la place de l’armée japonaise dans la Constitution, furent un sujet important durant la campagne. Akio Kon/AFP

Le Rikken souhaite pour sa part une relation « saine » avec les États-Unis, tout en voyant dans l’alliance nippo-américaine un axe de la politique de défense : il veut réduire l’impact sur les communautés locales des bases américaines au Japon et suspendre le déplacement à Henoko de la base de Futenma (Okinawa) – déplacement qu’il avait pourtant confirmé quand il était au pouvoir (2009-2012) (un thème qu’il n’est pas parvenu à imposer dans la campagne). Il aimerait que le Japon soit observateur dans le cadre du traité d’interdiction de l’arme nucléaire entré en vigueur en janvier 2021. Le Parti bouddhiste (dans la coalition au pouvoir) y est favorable également (la proposition pourrait donc être reprise par le PLD). Il met en outre l’accent sur le multilatéralisme et une diplomatie pacifiste et aimerait voir la Chine s’impliquer « de manière positive » dans les questions internationales. Le PCJ invite (invariablement) à dénoncer le traité de sécurité nippo-américain qu’il juge contraire à la Constitution.

Sur la question de la révision constitutionnelle, sur laquelle chaque parti se positionne, le PLD met en avant plusieurs points, comme la clarification de la constitutionnalité des forces armées (FAD – il s’agirait d’amender l’article 9 pour mentionner leur existence) et du dispositif de crise (équivalent de notre « état d’urgence » dont la constitutionnalité fait actuellement débat). Le Rikken s’est dit hostile à l’insertion d’une telle une référence aux FAD dans la Constitution. Le Parti bouddhiste, quant à lui, admettrait des ajouts au texte constitutionnel, visant à renforcer les garanties en matière de droits et libertés publiques (droit au respect de la vie privée par exemple). Enfin, le PCJ, pacifiste, est favorable à une application de la lettre de l’article 9 (qui dispose que « le Japon renonce à jamais à la guerre »).

Des résultats prévisibles

Dans la Chambre issue des législatives de 2017, la répartition des sièges était la suivante : 281 au PLD, 29 à son allié bouddhiste, 68 au Rikken, 12 aux communistes, mais aussi 38 au Kokumin (démocrates populaires, de centre droit) et 11 au Parti de la Restauration (Isshin no kai, parfois qualifié de populiste) né en 2015.

Avant le scrutin, 45 % des Japonais sondés par la NHK disaient soutenir la coalition au pouvoir, 6 % seulement le Rikken et moins de 3 %, le PCJ – tandis que 36 % des électeurs ne soutenaient aucun parti plus qu’un autre : les choix de dernière minute ont pesé dans un scrutin où le taux de participation a été de 56 % environ (deux points de plus qu’en 2017).

Japon : le premier ministre Fumio Kishida déclare victoire après un scrutin « très difficile » (France 24, 5 novembre 2021).

Le scrutin du 31 octobre 2021 a produit les équilibres suivants : 261 sièges au PLD, 32 au Parti bouddhiste – la majorité reste confortable (293), avec un résultat meilleur qu’escompté (Kishida visait la majorité absolue, située à 233) – 96 au Rikken, 10 au PCJ ; et 41 au Parti de la Restauration, qui progresse au détriment du Kokumin (moins à droite), lequel tombe à 11.

La campagne, au résultat prévisible, aura montré une nouvelle fois les difficultés de l’opposition à trouver sa place dans un paysage politique dont le PLD s’est accaparé le centre et la droite – avec sa maîtrise des rouages électoraux (une association rodée avec le Parti bouddhiste qui tempère son image sur la politique de défense) et sa capacité à entendre le mécontentement et à faire amende honorable (sur la gestion de la crise sanitaire et le retard de la vaccination, par exemple).

Le PLD semble donc toujours parvenir à prendre de court l’opposition (dont les rapprochements électoraux sont tardifs et fragiles). Il continue d’apparaître comme la voix de l’expérience et de la raison face à un Parti démocrate qui fluctue dans ses positions (sur les bases américaines ou la TVA), préconise des mesures coûteuses et apparaît en décalage avec la classe moyenne et la majorité (sur les bases américaines ou les dépenses publiques).

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