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Cannabis en pharmacie : en Uruguay, le droit de consommer en toute sécurité

Manifestation pro-cannabis à Montevideo, le 5 mai 2017. Miguel Rojo/AFP

La vente légale de cannabis certifié par l’État est imminente en Uruguay. Après trois ans et demi de conception et de mise en place du modèle de légalisation (votée en décembre 2013), les usagers de cannabis pourront enfin acheter un produit en toute sécurité. Ce mercredi 19 juillet 2017, 16 pharmacies mettront à disposition deux variétés de cannabis, ajoutant ainsi une nouvelle voie d’accès légale à la substance pour un usage ludique. Jusqu’ici, les deux autres consistaient en la culture pour son usage personnel et la culture en association (ou club), sans but lucratif.

Cette politique est d’autant plus intéressante à examiner que l’Uruguay est le premier pays au monde à penser la légalisation du cannabis au niveau national, et ce au moment où d’autres États se posent sérieusement la question, notamment le Canada qui envisage la légalisation dès l’an prochain.

L’exemple uruguayen suscite, par ailleurs, de la curiosité du fait de sa dimension conservatrice au regard des modèles mis en place dans quelques États étasuniens : les autorités de Montevideo essaient en effet de rendre l’usage de cannabis « aussi ennuyeux que possible », pour tenter de dissuader les usagers potentiels, en même temps qu’elles sortent la substance de l’illégalité.

Mais en quoi consiste, au juste, ce modèle uruguayen ?

Un changement de paradigme sur les drogues

De nombreux commentateurs font de l’ex-guérillero et ancien Président (de 2010 à 2015) « Pepe » Mujica le père de la régulation du cannabis dans un pays considéré comme progressiste par nature. Ce n’est que partiellement vrai. Quand Mujica a donné son feu vert, son idée était de séparer les marchés des substances elles-mêmes pour que l’État contrôle mieux le marché du cannabis, et ainsi puisse lutter contre la délinquance et plus généralement contre l’insécurité générées par les drogues « dures ». Jusque-là, la proposition uruguayenne n’est pas très éloignée de celle mise en place aux Pays-Bas dans les années 1970, avec cependant un changement notable par rapport au modèle néerlandais : la légalisation de la production.

« Pepe » Mujica, le président de l’Uruguay. Vince Alongi/Flickr, CC BY

L’originalité du modèle uruguayen est liée au long débat sur la légalisation du cannabis qui a eu cours en Uruguay. En effet, c’est la conjonction entre des groupes d’usagers de cannabis, des parlementaires sensibles à la légalisation et des responsables publics favorables à une approche fondée sur la santé publique et les droits humains qui a forgé un modèle original vis-à-vis des drogues. La loi uruguayenne reconnaît l’autonomie des adultes et leur droit à consommer une substance en toute sécurité. Autrement dit, à trouver un cannabis de qualité sans s’attirer les foudres de la police (articles 3 et 4 de la loi). Cette philosophie explique l’amplitude et le progressisme du modèle uruguayen.

Un cannabis certifié par l’État

Le but de la loi a été de rendre accessible le cannabis sans l’assimiler pour autant à un produit inoffensif. Ainsi, le gouvernement a restreint le nombre et la quantité de cannabis qu’une personne peut se procurer, et a rendu les différentes voies d’accès non compatibles. Pour cela, des registres de consommateurs et de producteurs ont été créés, non sans réticence de la part des premiers, mais avec des dispositions de protection identiques à ceux des données bancaires.

De plus, les seuls points de vente autorisés en Uruguay sont les pharmacies, plus pour leur capacité à « sécuriser » certaines substances que par leur côté symbolique qui essaie de dissuader la consommation.

Les trois modes d’accès au cannabis ont été pensés pour répondre à des demandes différentes, avec notamment le choix de la parité du prix du cannabis légal avec celui du marché noir – soit 1,15 dollar le gramme. Ainsi, les consommateurs qui n’ont pas les moyens financiers et/ou logistiques de produire chez eux ou en club peuvent se procurer cette substance avec un meilleur rapport qualité-prix.

Au final, toute personne adulte résidant en Uruguay peut accéder à un produit de qualité, traçable et certifié par l’État, le tout à un prix raisonnable.

Le projet à l’épreuve du réel

Les limites du modèle uruguayen sont liées à sa mise en œuvre. L’État a autorisé une production à des taux de THC proches de 2 % : autrement dit, le cannabis disponible sur le marché n’aura pas beaucoup d’effets psychoactifs. En gros, le cannabis étatique ne « défoncera » pas. Selon le gouvernement, deux variétés seront disponibles : une indica qui a plutôt des effets de relaxation corporelle, et une sativa qui agit plutôt sur le cerveau. Mais les taux de THC restent identiques. Deux autres variétés devraient être disponibles prochainement, avec des taux un peu plus élevés. Toutefois, les informations distillées par le gouvernement à ce sujet ne sont pas très claires.

Les variétés proposées par le gouvernement risquent de décevoir les consommateurs, et donc de mettre en péril le passage à la légalité. Pour des variétés de cannabis plus fortes, le gouvernement mise sur le choix des consommateurs de se tourner vers la production individuelle ou en club. Mais la question du prix revient sur la table : pour des personnes disposant de ressources limitées, le choix de la production reviendra toujours plus cher que le marché noir. De plus, une zone grise risque d’apparaître avec des producteurs légaux qui partageraient ou vendraient (illégalement) du cannabis avec des effets plus prononcés.

Manifestation à Montevideo, le 5 mai 2017, en faveur de l’adoption de la loi sur la régulation du marché du cannabis. Miguel Rojo/AFP

À ceci s’ajoute une méfiance générale vis-à-vis de la légalisation qui commence à se faire sentir dans tout le pays, et qui trouve une résonance certaine sur l’arène internationale. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le président Tabaré Vázquez, cancérologue, a affiché son opposition au cannabis. De nombreuses pharmacies ont refusé d’adhérer au système. Seules 16 d’entre elles ont accepté de vendre le produit, ce qui ne garantit pas l’offre du produit sur tout le territoire national et rend même difficile l’écoulement des quatre tonnes de cannabis en stock actuellement. De plus, de nombreuses perquisitions policières ont été signalées par des producteurs pourtant dûment enregistrés et respectueux de la législation.

Les leçons à venir de l’Uruguay

Les défis sont grands et l’expérience uruguayenne doit faire ses preuves. Mais les problèmes résultant de la légalisation du cannabis semblent davantage liés à sa mise en œuvre qu’aux problèmes provoqués par la substance elle-même. Alors que la consommation de cannabis en Uruguay est en augmentation depuis 2001, la légalisation n’a pas provoqué d’explosion de la consommation. Aussi, une grande campagne de prévention a été mise ne place par l’organe régulateur de la substance, l’IRCCA, et aucune publicité de la substance n’est tolérée.

Le suivi et l’évaluation du nouveau dispositif devront mettre l’accent sur la capacité du pouvoir politique à répondre à ces limites et, surtout, aux effets inattendus de leurs choix. Alors que de nombreux pays se posent la question de modifier la législation sur le cannabis, telle la France qui réfléchit à la question de la contraventionnalisation, les leçons de l’expérience grandeur nature menée en Uruguay permettront peut-être de sortir de l’impasse suscitée aujourd’hui par la « guerre contre la drogue ».

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