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« Lorsqu’il s’agit d’apprendre, voir les autres se tromper est plus bénéfique que de se tromper soi-même. » YouTube

Comment apprendre des erreurs des autres

The Conversation France travaille en partenariat avec l'émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L'une des auteures de cet article, Martine Meunier, a parlé de ses recherches dans l'émission du 17 juin 2016 avec Aline Richard, journaliste science et technologie pour The Conversation France. Réécoutez leur intervention, à 15'35".

Les humains, comme la plupart des animaux, vivent en présence quasi constante de leurs congénères. L’un des avantages de cette vie en société, c’est la possibilité d’apprendre en observant les erreurs des autres. Cette méthode alternative d’apprentissage est d’autant plus importante qu’elle vient compenser un piètre talent à corriger nos propres erreurs.

Notre vie est un défilé incessant de choix : que prendre au petit-déjeuner, quel chemin adopter pour aller travailler, quel plat choisir au restaurant, quelle lessive acheter, quelle voiture choisir, pour qui voter, qui épouser, etc. Intuitivement, nous sommes convaincus que ces choix sont exclusivement déterminés par nos préférences, et que celles-ci reflètent des marqueurs stables de notre personnalité. On prend du café au petit-déjeuner parce qu’on préfère le café au thé depuis toujours. Ce qui est beaucoup moins intuitif, c’est que l’inverse arrive aussi. Nos choix modifient nos préférences.

On se félicite d’avoir fait le bon choix

Le psychologue Jack Brehm l’a découvert dès 1956. Cela arrive quand nous sommes contraints de choisir entre deux plats, deux voitures, ou deux partenaires, a priori équivalents. Dans ce cas, le choix déclenche une réévaluation inconsciente de nos valeurs. Le plat, la voiture ou le partenaire sélectionné prend de la valeur à nos yeux, alors que le plat, la voiture ou le partenaire rejeté en perd. On se met à aimer ce que l’on a choisi. Et ce changement est visible jusque dans notre cerveau dont la région du plaisir modifie sa réponse aux deux alternatives, immédiatement après le choix, comme l’a montré la neuroscientifique Tali Sharot et ses collègues en 2009.

Changer ses préférences pour les accorder à nos choix est un mécanisme très pratique qui nous permet de rester confortablement en accord avec nous-mêmes. Comme le renard de la fable de La Fontaine qui, immédiatement après avoir renoncé à atteindre de savoureux raisins, change brutalement d’avis et les juge trop verts :

Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des Raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galand en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?

Le renard et les raisins. Milo Winter, 1919/Wikipédia

Le revers de la médaille, cependant, c’est que ce mécanisme nous incite à persister dans nos erreurs. Si le renard avait, à l’inverse, réussi à atteindre des raisins trop verts, il se serait sûrement mis à les trouver fort savoureux. C’est ainsi que nous gardons une voiture malgré une succession de réparations ruineuses au lieu de la changer, que nous continuons un business qui ne tient pas ses promesses de rentabilité, ou que nous restons dans un couple qui ne marche plus.

L’erreur du Concorde

La faute en partie à cette préférence créée par notre choix initial. L’éthologiste de l’Université d’Oxford, Richard Dawkins, a baptisé ce biais décisionnel « l’erreur de jugement du Concorde » en référence à l’entêtement avec lequel les gouvernements britannique et français ont continué à investir dans le supersonique malgré son échec commercial prévisible.

C’est là que le fait de vivre avec d’autres comme nous, et de pouvoir observer leurs erreurs, prend toute son importance. La France et le Royaume-Uni restent les seuls pays à s’être engagés dans un programme d’avion supersonique commercial. Pourvu que le choix soit fait par un autre, il semble que les nations, comme les individus, soient parfaitement capables de tirer toutes les conséquences d’une erreur. On ne voit pas la poutre dans notre œil, mais on voit la paille dans l’œil du voisin.

Quand il s’agit des autres, nous ne sommes plus aveuglés par la préférence créée par le choix initial. Nous avons démontré en 2012 que, lorsqu’il s’agit d’apprendre, voir les autres se tromper est plus bénéfique que de se tromper soi-même. Et qu’il s’agit là d’un mécanisme ancien, hérité de l’évolution, que nous partageons avec les animaux, en particulier avec nos lointains cousins, les singes macaques.

Dans notre étude, hommes et singes avaient deux essais pour découvrir lequel, parmi deux objets quelconques et équivalents, renfermait une récompense (une pièce de monnaie pour les uns, un bonbon pour les autres). Dans cette tâche simple qui utilise la mémoire automatique, hommes et singes sont assez intelligents pour déduire que si l’objet A ne dissimule pas de récompense, alors celle-ci est cachée sous l’objet B.

Notre expérience sur les erreurs. Elisabetta Monfardini et Martine Meunier, Author provided

Au premier essai, soit les participants faisaient eux-mêmes une erreur, soit ils observaient l’erreur d’un compagnon familier. Après avoir observé un compagnon se tromper d’objet, les singes atteignent 67 % de réponses correctes, les hommes 78 %, bien mieux que le hasard dans les deux cas. La machine s’est grippée lorsqu’il s’est agi d’apprendre de sa propre erreur. Lorsque les sujets sont face à leurs propres erreurs et qu’ils tentent un deuxième essai, les performances chutent à 33 % de réponses correctes pour les singes, et les hommes font à peine mieux avec 51 %.

En d’autres termes, les singes répètent leur propre erreur deux fois sur trois, alors que les hommes la répètent une fois sur deux « seulement ». Le développement exceptionnel du cortex préfrontal chez l’homme, la région du cerveau qui prend les décisions, diminue donc l’impact de ce biais décisionnel ancien laissé par l’évolution. Mais il ne parvient pas à le supprimer. Ces résultats révèlent tout le poids que peut prendre la préférence créée par le choix, même chez les êtres intelligents et en général plutôt rationnels que sont les primates, qu’ils soient humains ou non humains.

Ces résultats nous encouragent à prendre conscience du pouvoir de nos choix à créer des préférences qui, si elles nous évitent d’être en désaccord avec nous-mêmes, ne sont pas toujours bonnes conseillères. Ce biais ancien hérité de l’évolution souligne que nous devrions considérer nos préférences avec circonspection quand elles ne concernent pas des choses très importantes dans notre vie et, en cas de doute, pratiquer une observation attentive des erreurs des autres pour voir nos choix sous un autre jour.

Appliquer cette règle dans le domaine de l’éducation est certainement prometteur : mis en condition d’observer et d’apprendre des erreurs du groupe, élèves et étudiants pourraient ainsi progresser. Une initiative récente dans cet esprit : la « twictée », où les élèves échangent entre eux les corrections orthographiques.

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