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Le Soleil photographié depuis le Solar Dynamics Observatory de la NASA. Les couleurs sont fausses, puisque la photo est prise dans les régions de l'ultraviolet extrême (du spectre électromagnétique) NASA/SDO (AIA)

Comment le Soleil nous réchauffe

Le Soleil nous envoie environ 1 kilowatt d’énergie sur chaque mètre carré de la surface terrestre, ce que savent les utilisateurs de panneaux solaires. Cela suffit pour faire fonctionner 100 ampoules Led de 10 watts. Cette énergie nous arrive sous forme de photons. Une faible partie correspond à la gamme visible, c’est celle qui est perçue par la rétine de l’œil ; les autres photons se répartissent entre infrarouges, ultraviolets, rayons X et gammas… Autant de noms qui désignent des gammes d’énergie différentes, dont certaines nous réchauffent, d’autres nous éclairent, d’autres détériorent les molécules ou provoquent les coups de soleil… Mais comment naissent ces photons ?

Les premiers calculs d’énergie solaire

Longtemps, on s’est demandé d’où venait l’énergie du Soleil – pourquoi notre astre brûle-t-il ? Le scientifique du XIXe siècle Hermann von Helmholtz, promoteur du principe de conservation de l’énergie, considéra d’abord le modèle d’un Soleil composé de charbon qui brûle. Connaissant l’énergie spécifique de combustion et l’énergie totale émise par notre astre, il en déduisit un temps de vie d’environ 5000 ans. Bien trop petit par rapport à tous les âges astrophysiques déjà connus à l’époque ! La boule de charbon incandescent n’était donc pas la bonne réponse. Aucune réaction chimique n’étant capable d’expliquer la luminosité du Soleil, Helmholtz fit l’hypothèse d’un effondrement gravitationnel : c’est la contraction d’un corps massif sous l’effet de sa propre attraction. Il évalua à 80 mètres par an le rétrécissement du Soleil nécessaire pour produire son énergie. Il estima alors que le Soleil pouvait être vieux de 20 millions d’années. Le compte n’y était toujours pas !

À son tour, Kelvin s’attaqua au problème. Il émit l’hypothèse d’un bombardement de météorites. Faisant une hypothèse plausible sur l’énergie des objets impactant le Soleil, il trouva que cette solution était acceptable, mais le processus aurait dû affecter la rotation de la Terre. Il la rejeta et revint à l’idée de contraction gravitationnelle. Améliorant les calculs d’Helmholtz, il obtint un âge de 60 millions d’années.

On sait aujourd’hui que l’âge du Soleil se monte à 4,6 milliards d’années, les calculs étaient donc très loin du compte. La solution correcte devait venir au siècle suivant, le XXe, d’un domaine totalement inconnu à l’époque : la physique nucléaire.

La fusion nucléaire

Il fallut attendre Hans Bethe dans les années 1930 pour comprendre que l’énergie solaire résulte d’une transmutation nucléaire qui a lieu au cœur même de notre astre, là où la densité de matière est suffisamment forte pour « coller » entre eux des protons. Le Soleil est constitué de ces particules primaires, qui peuvent fusionner selon un processus commençant par la réaction : p + p → d + e+ + νe

Ici, d désigne l’assemblage d’un proton et d’un neutron, appelé deuton. Les réactions s’enchaînent en cascade pour aboutir à une fusion globale entre 4 protons qui forment un noyau d’hélium (composé de 2 protons et 2 neutrons) accompagné de 2 positrons (antiélectrons) et 2 neutrinos, notés ν. En même temps, cette réaction libère une énergie de 28 MeV (4,5 10 -12 Joules en unité du système international), qui sera émise sous forme de photons.

Ce processus met en œuvre l’équivalence masse-énergie selon la fameuse formule d’Einstein E = mc2. En effet, 4 protons « pèsent » davantage qu’un noyau d’hélium. Ainsi de la masse se convertit en énergie, qui est libérée dans le processus. On calcule que 5 grammes de combustible nucléaire donnent autant d’énergie qu’une tonne de charbon.

Vérifier la théorie en détectant les neutrinos

Comment vérifier ce qui se cache au centre même du Soleil ? Avec la production d’énergie, il devrait y avoir émission de neutrinos – peut-on les détecter ? À partir de la luminosité reçue, il est assez facile de calculer le flux attendu de ces particules. Le résultat est remarquable : 1038 neutrinos sont produits chaque seconde, ce qui se traduit par un flux arrosant la Terre de 60 milliards de neutrinos par seconde et par cm2.

Mesurer ce flux de neutrinos prouverait que la fusion nucléaire est bien à l’origine de l’énergie solaire. Problème, il est excessivement difficile de capturer des neutrinos. Ce sont des particules fantômes qui traversent la matière sans presque laisser de trace. Pourtant la chasse débuta, et dès les années 1960, Ray Davis construisit une vaste piscine, pleine de 600 tonnes d’un liquide chloré, enterrée dans une mine d’or du Dakota du Sud.

Un neutrino interagissant dans le liquide transforme un atome de chlore en un atome d’argon radioactif. L’argon radioactif vit en moyenne 37 jours, et peut être détecté via sa désintégration radioactive. Dans le Dakota, le liquide était analysé tous les 10 jours environ ; il fallait rechercher un à un les noyaux intéressants noyés dans 600 tonnes de liquide. Or la mesure trouvait de l’ordre d’un argon tous les trois jours quand le détecteur avait été dimensionné pour en recueillir un par jour. L’opiniâtre recherche dura plus de 30 ans, jusqu’aux années 1990, mais les mesures restèrent déficitaires, deux tiers des neutrinos du Soleil ne répondant pas à l’appel.

Il était facile de ne pas accorder une grande confiance dans le résultat de Ray Davis, étant donnée la difficulté de la mesure. Technologiquement plus avancées, deux autres expériences Gallex sous le tunnel du Gran Sasso en Italie et Sage sous la montagne de l’Elbrus en Russie, utilisèrent une méthode analogue, convertissant cette fois le gallium en germanium radioactif. Ces deux expériences mesurèrent elles aussi un déficit de neutrinos par rapport au flux prédit par la théorie ! Elles donnèrent ainsi plus de crédibilité à la réalité de ce déficit, mais il fallut attendre la gigantesque expérience japonaise SuperKamiokande pour convaincre la communauté qu’il ne s’agissait pas d’erreurs de mesure.

L’intérieur de la cuve du détecteur SuperKamiokande, au Japon, en cours de remplissage en avril 2006. Copyright Kamioka Observatory, ICRR (Institute for Cosmic Ray Research), The University of Tokyo

La méthode de détection est différente des précédentes, car SuperKamiokande détecte en temps réel la lumière bleutée émise lors du passage des neutrinos (l’effet Tcherenkov) dans l’immense cuve de 50 kilotonnes – soit 7 fois le poids de la Tour Eiffel – constituant le détecteur et enterrée dans une galerie souterraine. Grosso modo, les neutrinos peuvent interagir sur des électrons de l’eau et les libérer. Ces électrons se propagent alors plus vite que la lumière qui, dans l’eau, voyage « seulement » à 220 000 km/s. Ils donnent un signal lumineux qui suit la direction du neutrino initial. L’expérience SuperKamiokande permet donc de s’assurer que les neutrinos détectés proviennent bien du Soleil qui brille en un point (connu) du ciel. De fait, un fort pic se détache dans la direction recherchée : cela manifeste clairement une production de neutrinos venant de l’intérieur.

Le Soleil imagé via ses neutrinos. Le jaune représente un plus grand flux de neutrinos, détecté par l’expérience SuperKamiokande. Copyright Kamioka Observatory, ICRR (Institute for Cosmic Ray Research), The University of Tokyo

Grâce à une telle étude, SuperKamiokande réussit la gageure d’une « neutrinographie » en temps réel du Soleil : prendre des « photos » du Soleil alors qu’on est enfoui sous la roche, aussi bien de jour que de nuit : très fort !

Et que tout cela fasse un astre dans la nuit !

Victor Hugo, Les Contemplations

Les détecteurs de neutrinos montrent qu’un flux important de neutrinos vient bien du Soleil, ce qui prouve que l’énergie de l’astre provient de la fusion nucléaire. Mais l’énigme prend alors une nouvelle tournure.

Le déficit de neutrinos

Malgré le flux faramineux de neutrinos solaires reçu par le gigantesque détecteur, l’expérience n’en piège que 15 par jour quand on en attend 40. Le déficit se confirmait, mesuré ici à 60 %. Pour l’expliquer, une idée s’imposa, celle d’oscillations.

On connaît 3 types différents de neutrinos. Ceux produits dans le Soleil sont du premier type qu’on appelle neutrinos électroniques, νe. Mais il en existe deux autres types, les neutrinos muoniques et tauiques. Est-il possible que ces types se mélangent lors d’un voyage dans l’espace en troquant leur personnalité ? Les détecteurs utilisés ne détectaient que les νe. Pour prouver l’idée d’oscillations, il fallait piéger les types autres que νe. Ce fut la mission d’un dispositif canadien appelé SNO (Sudbury Neutrino Observatory). Installé dans une mine près de Toronto, le détecteur utilise cette fois comme milieu sensible un kilotonne d’eau lourde. Dans l’eau lourde, D2O, le proton est remplacé par un deuton. Cela permet de nouveaux canaux de réactions pour lesquels tous les types de neutrinos participent – électroniques, muoniques, tauiques.

Une information complète fut obtenue par l’expérience. Le résultat concluait que le flux de neutrinos venant du Soleil est bien en accord avec la prédiction théorique, mais la part des νe seuls n’explique qu’un tiers du total. C’est la preuve flagrante de l’oscillation, deux tiers des neutrinos ont changé de saveur entre leur point de production à l’intérieur du Soleil et leur point de détection sur Terre. Quelle importance ?

L’apothéose des neutrinos

L’oscillation est un changement spontané entre les différents types de neutrinos aussi drastique que la conversion d’une pomme en une poire pendant sa chute dans le verger de Newton ; c’est une mise en scène concrète des relations d’incertitude de Heisenberg. L’oscillation met en œuvre les propriétés les plus subtiles de la mécanique quantique et implique que les neutrinos possèdent une masse non nulle, ce qui n’était nullement évident.

Aujourd’hui et grâce aux efforts conjugués de plusieurs minutieuses expériences, l’oscillation a permis de mesurer des masses extrêmement faibles : elles sont inférieures à un milliardième de la masse d’un proton. Mais on sait par ailleurs que les neutrinos sont des milliards de fois plus abondants que les autres particules de matière d’où la fantastique conclusion : dans le bilan de l’univers les neutrinos, ces particules apparemment si humbles, pèsent autant que toutes les étoiles de toutes les galaxies.

Le Soleil envoie sur Terre une énergie de l’ordre de 1 kW/m2 sous forme de photons, mais il envoie aussi un flux additionnel de 600 000 milliards de neutrinos. Ces derniers transportent une énergie supplémentaire de quelques 10 W/m2. Mais au contraire des photons, ils ne sont pas interceptés par les panneaux solaires et donc leur énergie ne peut pas être captée. Il n’empêche, ces particules ont beau être très discrètes, sans neutrinos, le Soleil ne brillerait pas et nous ne serions pas ici pour en parler.

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