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Copyright, droit d’auteur : quel statut juridique pour l’IA dans la création audiovisuelle ?

Grève des écrivains et des acteurs devant le Netflix Building, à Hollywood, en juillet 2023. Shutterstock

Une grève de plusieurs mois, conduite par les scénaristes et les acteurs, a gelé les activités créatrices de l’univers du cinéma hollywoodien. Et si les scénaristes sont de retour au travail après un accord trouvé la semaine passée, 160 000 acteurs, cascadeurs ou danseurs n’ont toujours pas obtenu satisfaction et poursuivent le mouvement. Les professionnels des petits et grands écrans affichent notamment leurs craintes de voir leurs intérêts juridiques et financiers saccagés par l’irruption de l’intelligence artificielle (IA). Que celle-ci clone leur voix ou utilise leur image sans leur consentement ni sans qu’ils ne soient rémunérés pour cela, tel est ce que les acteurs redoutent par exemple.

Certes, la génération d’œuvres par l’IA présente encore des limites mais il faudra tôt ou tard répondre juridiquement à la problématique. À la faveur de ce mouvement d’ampleur, il est opportun de se poser deux questions dans une approche de droit comparé, afin de tenter de balayer certains « fantasmes » juridiques et judiciaires au bénéfice de la réalité technique : Quel est le régime juridique des œuvres cinématographiques ? Quel régime juridique pour l’intelligence artificielle ?

Le schéma français du droit d’auteur se distingue de celui du copyright, et c’est en creusant ce qui les différencie que l’on peut mieux aborder les questions environnant le statut juridique de l’intelligence artificielle. Son développement a donné lieu à une multitude de réflexions dont le contenu est souvent d’une précision juridique inversement proportionnelle à sa quantité. Pour faire émerger des éléments rigoureux et fiables de solutions, il convient de revenir aux principes essentiels, substantiels du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

Qu’est-ce qu’une œuvre audiovisuelle ? Quels sont ses auteurs ?

En France, le CPI range sous la bannière « œuvres audiovisuelles » une large palette de productions, des œuvres cinématographiques aux émissions télévisuelles. Cela rappelle, par ailleurs, le long débat sur le statut des programmes de télé-réalité et de leurs participants.

Il reconnait également comme coauteurs de l’œuvre de nombreux contributeurs. Le juriste y distingue deux catégories. On retrouve d’une part, celle des auteurs des œuvres originaires adaptées, non tombées dans le domaine public (si un film est par exemple tiré d’un roman). Ils sont, sans exception possible, considérés comme coauteurs de l’œuvre audiovisuelle.

Le CPI mentionne d’autre part une liste de professionnels présents dans le processus de création (scénaristes, auteur du texte parlé ou de l’adaptation, compositeur d’une bande originale, réalisateur), une liste non-exhaustive : la jurisprudence montre en effet que la qualité d’auteur peut être accordée à d’autres intervenants démontrant l’originalité de leur création. Maquilleurs, costumiers, concepteurs d’effets spéciaux peuvent ainsi parfois s’en prévaloir. Les professions citées dans la codification, par ailleurs, peuvent être exclues du cercle des coauteurs si leurs interventions ne remplissent pas la condition d’originalité. Il faut enfin souligner que certains justiciables se verront accorder la qualité d’auteur sur leur seule contribution (par exemple la création des costumes), mais se verront refuser la qualité de co-auteur sur l’œuvre audiovisuelle dans son ensemble.

Le CPI répertorie, en outre, un certain nombre de contrats spéciaux listés par le Code qui participent à la vie des entreprises de créations artistiques et culturelles. Parmi ceux-ci, le contrat de production audiovisuelle, qui découle de la nature juridique spécifique de cette œuvre.

Quid du producteur ?

Le droit distingue deux types d’œuvres à plusieurs auteurs : les œuvres de collaboration et les œuvres collectives. Dans les œuvres collectives, une personne morale peut être investie de la titularité des droits d’auteurs, contrairement aux œuvres de collaboration. Ainsi, un débat violent, tant technique que philosophique, s’est-il noué autour de la qualité de l’œuvre audiovisuelle : soit l’œuvre audiovisuelle est une œuvre collective, et donc le producteur-personne morale (une société de production par exemple) peut être investi de la titularité du droit d’auteur, soit l’œuvre audiovisuelle est une œuvre de collaboration, et donc le producteur-personne morale est définitivement exclu de cette qualification.

La jurisprudence a tranché : une œuvre audiovisuelle ne peut qu’être une œuvre de collaboration, chassant ainsi impitoyablement le producteur-personne morale du cercle des élus. Sauf à ce que le producteur qui serait une personne physique lui aussi démontre son apport original.

Afin, néanmoins, de reconnaître l’importance de l’apport financier (non négligeable) du producteur dans la construction d’une œuvre audiovisuelle, le législateur leur a accordé, personnes physiques comme morales, le bénéfice du contrat de production audiovisuelle :

« Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d’une œuvre audiovisuelle, autres que l’auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte, sauf clause contraire […] cession au profit du producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle. »

Ainsi, si les droits moraux (c’est-à-dire ceux qui protègent les intérêts non économiques comme le respect du nom de l’auteur) ne peuvent pas revenir aux producteurs, il n’en va pas de même des droits patrimoniaux. Dans un souci de logique économique, ce contrat emporte donc la présomption de cession des droits patrimoniaux des auteurs au bénéfice des producteurs. Ce mécanisme n’étant pas d’ordre public, les parties prenantes peuvent choisir d’effacer ce dispositif, ce qui est rarement le cas.

Par ailleurs, le producteur bénéficie d’une intervention prégnante à l’étape du final cut :

« L’œuvre audiovisuelle est réputée achevée lorsque la version définitive a été établie d’un commun accord entre, d’une part, le réalisateur ou, éventuellement, les coauteurs et, d’autre part, le producteur. »

Toutefois, cet alinéa doit être lu à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation soulignant le caractère d’ordre public de ce mécanisme en déclarant nulle toute clause conférant le pouvoir exclusif de décision à la société de production.

Et concernant le statut de l’IA

À partir de ces éléments, il est possible de tracer un tableau comparatif des distinctions entre le droit d’auteur et le copyright. Ces lignes permettront de rappeler en la matière du droit comparé du régime des œuvres audiovisuelles une décision importante : l’arrêt rendu par la Cour de cassation au profit des ayants droit du réalisateur John Huston concernant la diffusion en version colorisée de son film « Asphalt Jungle » (« Quand la ville dort » dans sa version française).

En l’espèce, le droit du copyright reconnaissait à Ted Turner, titulaire du catalogue des films comportant ce grand classique, la possibilité de le divulguer en version colorisée. À l’opposé, les magistrats français affirmèrent que le droit d’auteur devait s’appliquer sur la diffusion sur le territoire français de toute œuvre de l’esprit, ce qui permettait, au nom du droit moral de l’auteur, de s’opposer à sa colorisation qui n’entrait pas dans les choix artistiques et esthétiques du réalisateur lors du tournage.

Au cœur de ces mécanismes se pose enfin la question : quel statut juridique pour l’intelligence artificielle ? Dans le maquis des écrits le rapport rédigé par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique en date du 27 janvier 2020 apporte les seuls éclaircissements fiables.

Quatre propositions de traitement juridique y sont formulées : la création d’un droit d’auteur spécial inspiré des droits voisins du droit d’auteur, l’utilisation du modèle de l’œuvre collective, la création d’un droit voisin réservé à la personne divulgatrice de l’œuvre générée par l’IA et la création d’un droit sui generis réservé au producteur de l’IA. Le document rappelle également que l’IA est un outil entre les mains de l’humain et que le droit d’auteur doit rester attaché à celui-ci.

La question juridique n’avait-elle d’ailleurs pas été ouverte il y a un certain temps par le statut des créations assistées par ordinateur ? À ce jour, sans une vraie réponse législative cohérente, (mais complexe) la voie contractuelle de l’autonomie de la volonté reste la seule logique. En attendant le jour et l’heure où l’IA pourra penser, créer par elle-même, le législateur devra penser à qualifier sa personnalité juridique en tant que vrai sujet de droit. Et cela sera digne de la meilleure œuvre de science-fiction qu’Hollywood pourrait nous donner. Avec ou sans IA.

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