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De #PasDeVague aux « stylos rouges », le travail enseignant reprend la une

En janvier 2019, des enseignants impliqués dans le mouvement des “stylos rouges” manifestent pour une meilleure reconnaissance de leur travail. Jacques Demarthon/AFP

Lancé sur Twitter suite à la diffusion par un élève de la vidéo d’une scène de violence en classe, le mot-dièse #PasDeVague s’insurgeait contre l’absence de soutien de la hiérarchie lors des difficultés éprouvées par les enseignants face aux élèves. Quant aux « stylos rouges », ce groupe Facebook né en réaction au silence d’Emmanuel Macron sur la condition enseignante dans sa réponse au mouvements des « gilets jaunes », ils en appellent plus largement à une reconnaissance financière mais aussi symbolique du métier.

Pourquoi les enseignants ont-ils le sentiment que leur travail quotidien est à ce point nié ? Pourquoi l’institution et les syndicats échouent-ils à le revaloriser ? Lorsqu’on les interroge par questionnaire sur les raisons de leur « malaise », comme l’a fait la Direction de l’évaluation et de la prospective en 2004 – une expression consacrée qui n’est pas d’un très grand secours et que je préfère mettre au pluriel – « l’absence de prise en compte des difficultés réelles du métier » est la première raison invoquée.

Déni de réalité

De ces difficultés, le huis clos de la classe est un lieu essentiel car il laisse le plus souvent l’enseignant dans la solitude, devant toutes les cyclothymies relationnelles et des incidents plus ou moins graves à gérer. Mais ce sont aussi, tels que le listent les « stylos rouges en colère », l’envahissement par les tâches administratives, voire les tâches d’évaluation, l’absence d’une médecine du travail, de perspectives de mobilité de carrière.

D’ailleurs, l’appellation choisie, permettant sans doute de mettre un zéro pointé aux politiques actuelles, renvoie bien à une des parts les plus invisibles du travail enseignant : la correction de copies.

L’absence de reconnaissance n’est pas une donne nouvelle et elle a été repérée déjà dans bien des enquêtes sur le métier. Elle se traduit par le manque d’attractivité dont le sociologue Pierre Périer a fait un état des lieux dans un rapport récent. On peut la lire aussi dans le sillage de ce « déni du réel du travail » que Christophe Dejours pointait en son temps comme une cause de souffrance.

Lorsque certains discours rabattent le métier sur le confort statutaire de l’emploi à vie et des vacances, c’est encore une fois cette réalité qui est niée, dans un temps où, de plus, l’augmentation du nombre de précaires dans l’Éducation nationale rend en partie caduque les images trop figées à cet égard. Mais c’est aussi le cas lorsque les enseignants mettent en cause l’encadrement ou plus largement les réformes : la revendication, faite par les « stylos rouges », d’un « délai minimum entre les réformes » en dit long à cet égard, dans sa modération elle-même.

« Réformes sanctions »

Ce qu’il faut interroger alors, c’est la disjonction entre les « solutions » que les réformes prétendent apporter et le travail quotidien. Dans la plupart des cas elles sont vécues comme des problèmes supplémentaires, lorsqu’elles ne le sont pas comme des réformes-sanctions, pour reprendre le mot de Michel Crozier, contre une profession souvent qualifiée d’individualiste, de « résistante à tout changement », au mépris de l’extraordinaire diversité des enseignants et des contextes.

Lorsque les directions d’établissement, les inspections ou les politiques ne s’en rendent pas suffisamment compte, elles participent alors à ce déni de reconnaissance, alors même que des études comme celles de Françoise Lantheaume et Christophe Hélou, montrent que des enseignants peuvent à la fois protester contre des changements conçus en dehors d’eux, et s’en approprier ce qu’ils jugent intéressants à l’échelle de leur expérience propre. Cela n’empêche d’ailleurs pas la reconnaissance de se jouer aussi dans des relations de proximité, avec les chefs d’établissement, les collègues et surtout les élèves.

Récurrente depuis de nombreuses années, la demande d’une baisse du nombre d’élèves par classe peut aussi se lire en lien avec la difficulté croissante à gérer des groupes d’enfants et d’adolescents, rendant caduque les controverses expertes sur la plus-value de cette baisse en termes de résultats.

Cette difficulté n’est pas surprenante dans une société où les relations entre les générations sont plus égalitaires, et donc parfois plus tendues, sans que ces problèmes soient toujours au cœur de réflexions partagées et constructives dans le cadre professionnel, renvoyant chacun à ses émotions et à ses remises en cause ou satisfactions individuelles. En la matière, l’aspect structurellement malingre de la formation des enseignants français ne peut qu’accentuer la situation. La pénibilité de ce métier venant largement des risques d’usure relationnelle, elle s’explique aussi complètement dans ce cadre.

Nouvelles formes de mobilisation

« Pas de vague » et « stylos rouges en colère » font donc réapparaître le travail enseignant, si vite recouvert en France par les débats constants sur l’école, la pédagogie, la laïcité, les réformes elles-mêmes. Bien sûr, ils n’en sont pas une photographie objective, et on peut avoir l’impression que disparaissent tous les enthousiasmes, dynamismes, et espoirs quotidiens d’une profession dont certains membres sont aussi exaspérés d’être décrits seulement au travers de leurs malaises.

Les voilà en tout cas au cœur d’une recherche de mobilisation inédite, sur Internet, qui, au-delà de la concomitance avec les « gilets jaunes » interroge aussi l’état des collectifs enseignants. « Pas de vague » faisait état d’un déficit de soutien par la hiérarchie, sans évocation de l’état parfois fragile de la solidarité enseignante, à l’heure où pourtant l’on ne cesse de parler de travail en équipe. Les « stylos rouges » reprennent beaucoup de revendications syndicales. Par leur existence même, ils sous-entendent toutefois que ces dernières sont insuffisantes.

Les collectifs Internet proposent un autre niveau d’action aussi que celui de l’établissement, qui dans certains cas est également très investi, parvenant à contenir ou prendre en charge les difficultés du métier. On peut remarquer aussi qu’ils s’essayent à construire une convergence entre les degrés, primaire et secondaire à l’heure où bien des réformes et dispositifs échouent à la rendre concrète, où la future réforme Blanquer de la formation pourrait bien la remettre en question, et où les syndicats continuent à s’identifier séparément pour chaque niveau.

Un travail et un métier plus conscients de leurs contours communs, tel pourrait être alors une des conséquences à moyen terme de ces prises de parole, au-delà du ras-le-bol et du désir de donner aux enseignants une vraie place dans l’effervescence sociale et politique actuelle.

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