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Derrière l'expression « anti-système »

Montage photo d'inspiration libertarienne. KAZ Vorpal / Flickr, CC BY-SA

La plupart des médias français ont commenté l’élection de Donald Trump en parlant de la victoire du candidat « anti-système ». Mais que cache ce vocable ? La confusion qu’il entretient ne permet-elle pas la transformation d’une critique légitime de nos sociétés en attaque dangereuse contre la démocratie ?

Ne pas nommer les choses, ne pas dire contre quels systèmes les électeurs protestent et ne pas énoncer contre quels systèmes les candidats populistes se battent réellement, c’est entretenir la confusion. Or, c’est la confusion entre des dénonciations populaires sensées et des réponses populistes insensées qui représente un danger pour la démocratie.

Faire l’effort pédagogique de donner un nom aux différents systèmes critiqués c’est, en réalité, faire deux choses :

1) Comprendre les raisons qui nourrissent une juste critique des médias, du capitalisme financier et d’un système représentatif professionnalisé.

2) Analyser comment cette insatisfaction citoyenne est retraduite en une offre populiste qui transforme le désir d’information en attaque contre les journalistes, le besoin de protection économique en sécurité identitaire, l’envie de démocratie participative en autoritarisme charismatique.

Derrière l’appellation « anti-système » semblent se cacher au moins trois critiques très différentes.

La critique du système médiatique

La première est celle du système médiatique. Enfermés dans le spectaculaire, prisonniers de l’urgence, les journalistes et les sondeurs n’éclairent plus l’opinion. Ils défendent les intérêts de ceux qui les emploient, ils se trompent régulièrement (pour cette élection, comme pour celle du traité constitutionnel européen de 2005 ou le Brexit), ils plaident pour un choix que les électeurs rejettent. C’est d’ailleurs un paradoxe peu souligné : la victoire du non comme celle de Trump prouvent que les médias ne font pas l’élection.

La critique populaire ne porte donc pas sur ce que les médias font aux gens, mais sur ce qu’ils ne font plus : éclairer honnêtement l’opinion publique sur la diversité et la complexité du monde. Cette critique, fondée, du système médiatique est très différente de la critique populiste des candidats « anti-système » qui, eux, rejettent l’idée même d’un éclairage négatif sur leur personnalité, puisqu’ils prétendent être la voix du peuple.

Leur critique du système porte sur l’idée même de liberté d’opinion des journalistes alors que la critique des citoyens vise une meilleure information journalistique. Distinction essentielle qui pourtant disparaît, niée par l’emploi du terme « anti-système ».

La critique du système de globalisation financière

La deuxième critique des électeurs mécontents porte, évidemment, sur la globalisation financière qui a provoqué la crise de 2008. Depuis, partout dans le monde, aux USA comme dans l’Union européenne, les citoyens les plus exposés à cette crise réclament plus de protection. Le protectionnisme défendu par les candidats populistes semble répondre à cette demande de sécurité économique.

En réalité, le programme économique populiste – celui de Trump comme celui de Le Pen – est différent de l’aspiration de leur électorat : protection vis-à-vis des pays extérieurs certes mais, simultanément, forte libéralisation à l’intérieur du pays (baisse d’impôts, diminution des charges des entreprises, etc.). Il ne s’agit pas de lutter contre le néo-libéralisme en renforçant un État protecteur, mais d’utiliser la force de l’État au service d’une dérégulation complète du marché intérieur.

Là aussi l’« anti-système » d’imposition des milliardaires populistes (Le Pen, Trump) n’est pas le même « anti-système » que celui de leurs électeurs réclamant moins de concurrence pour plus de justice sociale. Ne pas éclairer cette différence, c’est conforter la manipulation électorale des conservateurs d’extrême droite.

La critique du système représentatif professionnalisé

La troisième critique porte contre un système représentatif professionnalisé à bout de souffle qui semble vouloir transmettre le pouvoir de père en fils (Bush) ou de mari à femme (Clinton). Cet accaparement du pouvoir est contraire à l’idée centrale de la démocratie qui est le gouvernement du peuple par le peuple. Cette critique légitime des dérives actuelles est retraduite en attaque contre l’idée même de démocratie par les candidats populistes.

En voulant représenter, à lui seul, le peuple souffrant, en incarnant, dans un corps unique et bien portant, le corps régénéré de la nation malade, le candidat « anti-système », on le sait depuis les analyses de C. Lefort – vise, en vérité, au rétablissement de l’autoritarisme.

C’est ici que l’utilisation paresseuse du vocabulaire « anti-système » fait le plus de dégât : elle invite des citoyens désireux de combattre les dérives du système représentatif à voter pour des candidats qui combattent le système démocratique lui-même.

Pour toutes ces raisons, il faut abandonner le terme « anti-système ». Les mots sans sens sont les maux qui vident de sens la démocratie.

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