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Directrice d'école devant une bibliothèque
Les personnels de direction, s'ils doivent faire face à des obstacles nombreux, bénéficient d’une large autonomie dans leurs fonctions. Shutterstock

Diriger un établissement scolaire à l’ère post-Covid : des risques psychosociaux qui persistent

Au printemps 2023, alors que la pandémie Covid-19 passait à l’arrière-plan des préoccupations mondiales, le Baromètre I-BEST (International barometer of education staff) s’est penché sur le vécu professionnel et le bien-être des personnels de l’éducation à travers le monde. Parmi les 26 000 participants issus de quatre continents, près d’un millier étaient des chefs d’établissements scolaires, essentiellement en France, en Espagne et en Argentine.

Les personnels de direction des écoles, des collèges ou des lycées assurent au quotidien les missions administratives et pédagogiques indispensables au bon fonctionnement de la structure placée sous leur responsabilité, rendant ainsi l’environnement propice à l’apprentissage des élèves qui la fréquentent. Ces professionnels doivent faire face à des contraintes spécifiques : charge importante de travail et horaires irréguliers, omniprésence de problèmes notamment d’ordre relationnel, isolement lié à la position, etc.


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La pandémie Covid-19, en plaçant les personnels de direction en première ligne dans l’organisation aussi bien des périodes d’école à la maison que de retour sur site, a encore renforcé les défis du métier. Mais alors, en 2023, quels sont les facteurs de risques psychosociaux auxquels sont soumis ces personnels et comment vont-ils au décours de la crise sanitaire ?

Des risques psychosociaux bien présents

Les personnels de direction des établissements d’enseignement qui ont participé au baromètre I-BEST 2023 exerçaient presque tous dans l’enseignement public. Dans l’échantillon français, 80 % y exerçaient dans le premier degré. Dans les échantillons espagnol et argentin, les personnels de direction du second degré (cheffes et chefs d’établissement) étaient un peu plus représentés : 51 % et 35 % des échantillons respectivement.

Au regard des sex-ratios des échantillons de répondants, le métier de personnel de direction des établissements d’enseignement dans ces 3 pays apparaît largement féminisé avec plus de deux tiers de femmes, et même près de 9 sur 10 en Argentine. On remarque tout de même que la présence masculine augmente avec le niveau d’enseignement.

Constat partagé par les personnels de direction des trois pays enquêtés : le volume de travail est important et le stress omniprésent. Au moins deux tiers des personnels de direction qualifient d’assez ou de très stressant leur métier (respectivement 86 % en France, 78 % en Espagne et 67 % en Argentine) et ce ressenti est significativement moins favorable que celui de leurs collègues enseignants (73 % des enseignants en France, 65 % en Espagne et 46 % en Argentine).

Champs : Personnels de direction des établissements d’enseignement et personnels enseignants en France (n=545 et n=9595 respectivement), en Espagne (n=112 et n=2723) et en Argentine (n=312 et n=1782)
Figure 1. Facteurs de risque psychosociaux évalués par les personnels de direction des établissements d’enseignement ayant participé au baromètre I-BEST 2023 en France, en Espagne et en Argentine, et comparaison avec les collègues enseignants. I-BEST 2023 RES/FESP

En moyenne, un personnel de direction travaille plus de 40 heures par semaine, de l’ordre d’une cinquantaine d’heures hebdomadaire en France dans le second degré par exemple. D’ailleurs, le sentiment de déséquilibre vie professionnelle/personnelle est largement répandu pour ces personnels (Figure 1).

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Si les facteurs d’intensité du travail sont bien présents dans le métier, les personnels de direction semblent a contrario bénéficier d’une bonne autonomie de travail, avec une très large majorité des répondants qui la qualifie de « bonne » ou du moins de « relative ». En France tout de même, 1 personnel de direction sur 6 considère avoir peu ou pas d’autonomie au travail et la fréquence de cette opinion négative contraste défavorablement avec celle de leurs collègues enseignants (Figure 1).

Plus préoccupant : l’exposition des personnels de direction des établissements d’enseignement à la violence professionnelle. En France, 1 personnel de direction sur 2 a été victime de violence au travail dans les 12 derniers mois, là où 1 enseignant sur 3 déclarait déjà avoir été victime. Pour les personnels de direction en Espagne et Argentine, la violence au travail semble moins courante qu’en France, et à peu près aussi fréquente que celle rapportée par les personnels enseignants de ces pays, mais reste non négligeable : 18 % de personnels de direction victimes dans l’année écoulée en Espagne et 26 % en Argentine (Figure 1).


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Toutefois, lorsqu’elles sont considérées « en général », les relations qu’entretiennent les personnels de direction avec les différents membres de la communauté éducative sont évaluées très positivement, et cette opinion tend à être meilleure que celle exprimée par leurs collègues enseignants. Ainsi, le taux de satisfaction des personnels de direction est presque de 100 % concernant la relation avec les élèves et dépasse 90 % pour la relation avec les parents et les autres membres du personnel respectivement. La relation avec la ligne hiérarchique prête à un peu plus de réserve, en particulier en France. Les personnels de direction apparaissent y plébisciter un meilleur soutien de la part des supérieurs, y compris sur les questions de qualité de vie au travail.

Champs : Personnels de direction des établissements d’enseignement en France (n=545), en Espagne (n=112) et en Argentine (n=312)
Figure 2. Aspects de la relation hiérarchique évalués par les personnels de direction des établissements d’enseignement ayant répondu au Baromètre I-BEST 2023 en France, en Espagne et en Argentine. I-BEST 2023 RES/FESP

Selon le pays, un bien-être contrasté

Concernant les aspects motivationnels tels que les possibilités de formation, les opportunités de carrière et le niveau de salaire, l’avis des personnels de direction apparaît assez favorable en Argentine, intermédiaire en Espagne et plus négatif en France (Figure 3). Comparés aux enseignants, les personnels de direction semblent un peu plus satisfaits de leurs opportunités de carrière et de leur salaire.

Si, dans les trois pays, une grande majorité des personnels de direction considèrent que leur métier n’est pas valorisé dans la société (93 % en France, 81 % en Espagne, 71 % en Argentine), cette opinion négative des personnels de direction reste toutefois légèrement moins répandue que parmi leurs collègues enseignants.

Figure 3. Facteurs motivationnels au travail évalués par les personnels de direction des établissements d’enseignement ayant répondu au Baromètre I-BEST 2023 en France, en Espagne et en Argentine, et comparaison avec les collègues enseignants. I-BEST 2023 RES/FESP

Qu’en est-il globalement de la satisfaction au travail des personnels de direction ? En Espagne et en Argentine, elle se maintient, avec plus de 7 personnels de direction sur 10 qui choisiraient le métier si c’était à refaire. En France, avec seulement la moitié des personnels qui choisiraient de nouveau ce métier, la satisfaction apparaît entamée.

En cohérence, les indicateurs de bien-être généraux des personnels de direction indiquent une situation préoccupante en France, intermédiaire en Espagne et plus favorable en Argentine, que l’on s’intéresse au bien-être subjectif, ou encore à la santé mentale.

Figure 4. Indicateurs de bien-être évalués par les personnels de direction des établissements d’enseignement ayant répondu au baromètre I-BEST 2023 en France, en Espagne et en Argentine, et comparaison avec les collègues enseignants. I-BEST 2023 RES/FESP

Notamment, le bien-être subjectif des personnels de direction apparait particulièrement fragilisé en France, avec au moins un personnel sur 2 qui se situe sur la partie inférieure d’une échelle à 8 degrés (Figure 4). La santé psychologique est non seulement préoccupante en France, mais aussi en Espagne, avec plus de 4 personnels de direction sur 10 qui ressentent souvent, très souvent ou toujours, des sentiments négatifs tels que l’anxiété ou la dépression dans ces deux pays (Figure 4).

Au final, dans trois pays aux conjonctures, cultures et systèmes éducatifs divers, les personnels de direction apparaissent exposés à des risques psychosociaux significatifs. Le bien-être subjectif des personnels de direction est néanmoins plus contrasté selon le pays. En décrivant ces situations à partir de données récentes, I-BEST contribue à identifier des voies d’améliorations tenant compte de la réalité du terrain. En particulier, les facteurs et organisations dans les pays où les indicateurs de bien-être sont les plus favorables représentent autant de pistes à considérer pour les pays où de fortes marges de progression existent.


Remerciement : le Réseau Éducation et Solidarité et tous ses partenaires pour la mise en œuvre d’I-BEST ; Nathalie Billaudeau pour les statistiques et les figures ; Nathalie Billaudeau, Pascale Lapie-Legouis, Karim Ould-Kaci, Ange-Andréa Lopoa et Morgane Richard pour la relecture de l’article.

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