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Donald Trump face à « l’Etat profond »

Le Président Trump sur la base aérienne d'Andrews (Maryland), le 15 mars 2017. Nicholas Kamm/AFP

Alors que la violente charge contre Donald Trump publiée anonymement dans le New York Times a fait grand bruit à Washington, nous republions un article paru l'an dernier, mais qui reste pleinement d'actualité, sur les résistances au sein de l'administration face à l'imprévisible locataire de la Maison Blanche.


La récente accusation lancée par le président Trump, qui accuse Barack Obama de l’avoir placé sur écoute pendant la campagne présidentielle, a été démentie par les services de sécurité américains. La réalité des faits n’est pas encore établie et, dans le monde de la « post-vérité » où se meut la nouvelle administration, sans doute n’est-ce pas le principal. Trump veut avant tout allumer un contre-feu et détourner l’opinion américaine des multiples révélations sur la teneur des relations que lui et son entourage ont, semble-t-il, entretenues avec la Russie. Car la nouveauté est là : dans l’étendue des « fuites » aujourd’hui distillées par l’administration américaine et qui déstabilise le nouveau Président.

Conflit de légitimités

Ces « fuites » révèlent les fortes tensions qui existent aujourd’hui entre Donald Trump et ceux qui sont censés mettre en œuvre sa politique. De manière emblématique, le département d’État apparaît ainsi largement marginalisé par le nouveau Président. Certes, la pratique de ces « fuites » est ancienne. Le ministère de la Défense a, au début de la présidence Obama (2008-2016), distillé dans la presse les éléments qui montraient la nécessité pour le Président, comme toujours hésitant, d’augmenter les effectifs américains en Afghanistan. Cette pression de l’appareil d’État a même fait dire au Président Eisenhower (1952-1960), à la veille de quitter la Maison Blanche, qu’il était confronté à un véritable « complexe militaro-industriel », partisan de durcir la « Guerre froide » avec l’URSS.

Mais le niveau et l’intensité des « fuites » sont tels aujourd’hui qu’ils évoquent, pour certains analystes, le spectre de « l’État profond ». Malgré la pratique du « spoil system », qui permet le renouvellement des postes de direction à la tête de l’État américain, ou plutôt à cause des retards pris dans la nomination de ces nouveaux dirigeants (environ 4 000 postes sont concernés), Trump serait ainsi confronté à une administration rétive à ses initiatives, voire à une « communauté du renseignement » décidée à les contrer.

Ce « deep state » renverrait aux pratiques d’États bien éloigné du modèle démocratique américain. On songe, par exemple, au Pakistan où les élites militaires (l’establishment) se considèrent, depuis 1947, comme les détenteurs d’une légitimité supérieure à celle des autorités civiles, notamment pour fixer la politique étrangère.

La Turquie, plutôt que le Pakistan

Sur le fond, il est indéniable qu’une bonne partie de l’État américain est hostile, et pour de souvent bonnes raisons (l’Ukraine étant la plus visible), au rapprochement avec la Russie envisagé par Trump. En affaiblissant la position du Président, même s’il reste aujourd’hui populaire auprès de sa base électorale républicaine, cet « État profond » peut sans doute ralentir la mise en œuvre de la politique de conciliation esquissée par le nouveau locataire de la Maison-Blanche. Mais il est douteux qu’il puisse y parvenir sur le long terme de la présidence. L’« État profond » pakistanais n’a réussi à garder la main qu’en renversant les pouvoirs civils pendant la moitié de sa courte histoire, au point qu’on a pu dire que, si dans la plupart des pays, l’État avait une armée, au Pakistan l’armée avait un État.

Aux États-Unis, comme dans les autres pays démocratiques, il sera difficile pour l’administration de freiner les initiatives, si hasardeuses qu’elles soient, d’une nouvelle majorité politique. Un coup d’État, comme celui qu’a réalisé « l’État profond » égyptien en 2013 contre le Président Morsi, est inimaginable outre-Atlantique. La logique démocratique, qui contraint l’administration à suivre la pente de l’exécutif, devrait au contraire provoquer un inévitable alignement, à l’exemple de la Turquie où, après avoir résisté de nombreuses années à la remise en question du modèle kémaliste par l’AKP du Président Erdogan (jusqu’au coup d’État raté de 2016), les institutions ont fini par céder.

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