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Éducation nationale : de quoi le collège est-il malade ?

Le collège serait-il l'« homme malade du système éducatif », selon les mots du ministre de l'Education ? Shutterstock

Depuis la création du « collège unique » en 1975, le collège est régulièrement apparu comme le « chaînon manqué » du système éducatif. S’il est sorti des radars politico-médiatiques ces cinq dernières années, le nouveau ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye vient de le remettre au premier plan, déclarant dans une interview au Midi Libre le 18 septembre que l’on « doit maintenant s’attaquer au collège car c’est l’homme malade du système éducatif ».

Comme symptômes maladifs, il a surtout évoqué les résultats des élèves en mathématiques et en langues. Ce qui ne manque pas de surprendre, car même si les résultats ne sont effectivement pas bons, ce n’est pas la première fois que l’on peut le constater, tant s’en faut. Mais, dans le passé, ces résultats au niveau du collège n’ont pas suscité beaucoup d’émotions ou de réactions, au contraire de ceux en lecture, orthographe ou histoire au niveau du primaire qui, eux, ont à plusieurs reprises défrayé la chronique.

Faudrait-il voir dans ce nouvel intérêt, pour les mathématiques, l’effet en retour des diatribes passionnées sur la nouvelle place des mathématiques lors de la réforme des lycées ? Et, pour les langues, y aurait-il un lien avec l’annonce, en juillet dernier, que l’évaluation des compétences en langues étrangères deviendrait dès 2025 une option de l’étude internationale PISA ?


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Toujours est-il que cette évocation du « collège, homme malade du système éducatif », a de nouveau agité ceux qui considèrent le « collège unique » sous le prisme d’une maladie « autoimmune », à condamner sans appel et par principe, et ceux – fort différents – qui pensent plutôt que le « collège unique » n’a pas vraiment été institué de façon cohérente, et jusqu’au bout du projet. Pour les uns, cette création n’avait pas lieu d’être, et il faudrait la supprimer. Pour les autres, la création n’a pas été assez loin dans sa logique et il faudrait au contraire l’approfondir et la consolider, voire la refonder car souffrant d’une maladie congénitale.

Des critiques qui datent

C’est le président de la République Valéry Giscard d’Estaing qui a voulu ce collège envers et contre tout ; voire contre tous, à commencer par certains de ses proches. Dès le 25 juillet 1974, il déclarait publiquement :

« Le premier objectif, c’est l’élévation du niveau de connaissance et de culture des Français […]. On peut se poser la question de savoir si, à côté de l’obligation de scolarité jusqu’à seize ans, il ne faudrait pas imaginer une autre obligation qui serait de donner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal ».

Mais les expressions « savoir minimal » ou « savoir minimum » employées par Valéry Giscard d’Estaing sont vite comprises ou retournées par les oppositions politiques ou syndicales dans le sens de « minimiser les savoirs ». Même certains de ses proches se distinguent par leur opposition de principe au « collège unique », en des termes très virulents. Jean-Marie Benoist, pourtant candidat UDF (le parti de Giscard d’Estaing) aux législatives de 1978, a accusé dans un ouvrage intitulé La génération sacrifiée cette réforme d’« aller vers le règne de l’uniformité, digne des démocraties populaires […]. Cela se traduit par la culpabilisation de tout aristocratisme, de tout élitisme dans le savoir : raccourcir ce qui dépasse, ce qui excelle, voilà le mot d’ordre ».

Le collège, un chantier perpétuel ? (Historique des réformes, INA Politique).

Paul Guth, le professeur de lettres de Giscard d’Estaing en classe de troisième s’est joint au concert de condamnations sans appel dans sa Lettre ouverte aux futurs illettrés, parue elle aussi en 1980, allant jusqu’à accuser la réforme de « lavage de cerveau ». C’est François Bayrou, pourtant l’un des principaux lieutenants de Valéry Giscard d’Estaing à l’UDF et ministre de l’Éducation nationale d’Édouard Balladur, puis de Jacques Chirac, qui a lancé le slogan : « collège unique, collège inique » lors de la rentrée 1993, et le mot d’ordre « passer du « collège pour tous » au « collège pour chacun ».

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Bref, il y a tout un passé et un passif de diatribes qui présentent le collège unique comme intrinsèquement « malade », d’une « maladie auto-immune » en quelque sorte. Est-ce que ce sont ces références que Pap Ndiaye a en tête ? Ou la métaphore de la maladie renvoie-t-elle au sentiment que la création du « collège unique » a été manquée ? Le principal promoteur du « collège unique », Valéry Giscard d’Estaing, est lui-même clairement conscient de ce manquement originel, selon ses mots dans une interview au Monde en 2001 :

« Tout le monde devait aller au collège, et tous les collèges devaient être les mêmes.[…]. Le débat doit se concentrer sur cette question : quels savoirs donner à cet ensemble de jeunes, qui constituent un acquis culturel commun […]. Au lieu d’avoir rabattu tout l’enseignement des collèges vers l’enseignement général, les rapprochant des classes de la 6° à la 3° des lycées d’autrefois, en un peu dégradé, il aurait mieux valu en faire une nouvelle étape de la construction du cycle scolaire ».

Socle de compétences

Une vingtaine d’années après, il y a eu une certaine avancée dans le sens du collège unique souhaité par VGE. Le Conseil supérieur des programmes mis en place par le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon en octobre 2013 a été la cheville ouvrière d’une définition du « socle commun de connaissances, compétences et culture », puis de la révision d’un seul tenant des programmes depuis le début du primaire jusqu’à la fin du collège, sous le ministère dirigé par Najat Vallaud-Belkacem.

N. Mons : « Remettre des filières dans le collège unique ferait exploser les inégalités à l’école » (France Culture, 2017).

Mais cette avancée a eu des limites. D’une part, parce qu’il n’y a pas eu la plupart du temps une définition précise de la façon d’évaluer ce qui devait être en priorité acquis par les élèves. D’autre part, parce que la question du « chaînon collège » est restée de fait en déshérence tout au long des cinq années du ministère de Jean-Michel Blanquer qui ont suivi.

Par ailleurs, et bien des années avant, la question de qui devrait encadrer les élèves du « collège unique » a été de fait tranchée en faveur des seuls professeurs de lycée qui se sont imposés de haute lutte à la fin des années 1980, avec le corollaire afférent que le collège reste (sinon dans les faits, du moins selon un idéal implicite) dans la référence culturelle du premier cycle des anciens lycées – c’est-à-dire un « petit lycée », au lieu d’être le dernier cycle ad hoc d’une scolarité obligatoire allongée à 16 ans. Le corps des enseignants issus du primaire supérieur (les « maîtres de cours complémentaires » ou « PEGC », qui existaient dans le « collège d’enseignement secondaire », créé en 1963) est mis en extinction à partir de 1988. Et on ne songe d’aucune façon de recourir au modèle des corps enseignants des lycées technologiques ou professionnels.


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Il y a donc des problèmes de continuité : d’une part entre la fin du primaire et le début du collège, et d’autre part de la fin du collège à l’entrée effective dans la pluralité des lycées. Face à cet imbroglio relatif, on songe le plus souvent à des aménagements plus organisationnels que structurels. Et c’est encore le cas.

D’expérimentations en concertations

La principale organisation de parents d’élèves- la FCPE – souhaite que les élèves de sixième et cinquième n’aient pas plus de quatre enseignants. Le deuxième syndicat de professeurs du secondaire – le SNALC – propose un collège « modulaire » où les élèves seraient regroupés en fonction des difficultés dans certaines matières. Lors de la campagne des présidentielles, Emmanuel Macron a indiqué qu’il fallait faire de la classe de sixième « une liaison efficace avec le primaire » dès la rentrée 2023.

Des expérimentations sont en cours, notamment dans six collèges de l’Académie d’Amiens sous la forme de « sixièmes tremplin ». Les élèves en difficulté ont des séquences supplémentaires en mathématiques ou français. Les liens avec l’école primaire sont renforcés : des professeurs des écoles peuvent même intervenir au collège.

À partir de la cinquième, devrait commencer une expérimentation d’une « demi-journée » par semaine de « découverte des métiers » (une mesure figurant dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron), sous forme notamment de visites d’entreprise et de lycées professionnels, de mini-stages.

Ces expérimentations pourraient se multiplier dans le cadre de la grande campagne de concertation qui doit être menée cet automne dans les établissements en liaison avec leurs partenaires locaux en vue de projets locaux innovants (un budget de 500 millions d’euros leur étant dédié au niveau national). À noter qu’au sein du ministère il n’est pas exclu d’évaluer les programmes existants et voir s’il faut les transformer. Mais dans quel sens ?

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