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Emmanuel Macron, retour d’Égypte

Emmanuel Macron devant le temple d'Abu Simbel, le 27 janvier 2019. Ludovic Marin/ AFP

Emmanuel Macron a, avec son voyage égyptien fin janvier 2019, effectué son plus long déplacement dans un pays de la région depuis son accession à l’Élysée. Il inscrit celui-ci dans un ensemble de stratégies à la fois symbolique, politique et économique cruciales pour les relations diplomatiques françaises au Proche-Orient. Très attendu sur la question des droits de l’homme, la presse internationale et nationale a souligné l’attitude volontariste du Président français, malgré une situation toujours aussi préoccupante.

De Napoléon à Macron, une fascination française

En se rendant aux temples d’Abou Simbel, Emmanuel Macron a cherché à inscrire sa visite dans l’héritage des relations franco-égyptiennes : celui des expéditions scientifiques et archéologiques de Napoléon Bonaparte à la fin du XVIIIe siècle, des découvertes de Champollion au début du XIXe siècle, mais aussi de l’œuvre des grands égyptologues français du XXe siècle, comme Christiane Desroches Noblecourt qui participa au sauvetage des monuments de Nubie.

Cette mise en scène convoque des symboles et un imaginaire qui diffèrent avec ceux de ses deux derniers prédécesseurs pour s’inscrire dans la continuité de Jacques Chirac.

Jacques Chirac avec Hosni Moubarak au Caire, le 25 octobre 1996. Gérar Fouet/AFP

Pour sa première visite en Égypte, en avril 1996, Jacques Chirac avait fait le choix de visiter les Pyramides avant de prononcer un célèbre discours à l’Université du Caire, se tournant vers l’avenir en s’adressant à la jeunesse égyptienne.

En décembre 2017, Nicolas Sarkozy avait débuté son séjour égyptien par une visite privée, d’abord à Louxor, puis dans une luxueuse villa de Charm El Cheikh. Quant à François Hollande, il s’était rendu une première fois à l’inauguration du nouveau canal de Suez en août 2015, puis une seconde fois, en avril 2016, il avait visité le chantier du métro du Caire.

Symboliquement, Emmanuel Macron a choisi de valoriser l’Égypte « éternelle », pour se détourner de l’Égypte « actuelle » controversée. Cette communication avait déjà été utilisée lors de son déplacement en Inde en mars 2018 : il s’était rendu au Taj Mahal pour vanter « la force de l’Inde […] à marier les religions ».

Au Caire, il a aussi cherché à mettre en évidence « l’Égypte de demain », en se rendant avec le Président al-Sissi sur le chantier de la future capitale administrative qui mobilisera de nombreuses entreprises françaises dans le domaine des transports, de l’énergie et de l’eau.

La sécurité et « en même temps » les droits de l’homme

Attendu sur le dossier des droits de l’homme, Emmanuel Macron a composé avec l’exercice imposé de la diplomatie française : allier réalisme et idéalisme.

En conférence de presse, il a réaffirmé la priorité française pour la stabilité du régime égyptien :

« La sécurité et la prospérité de l’Égypte sont de la plus haute importance stratégique pour la France ».

L’utilisation du terme « stabilité » à plusieurs reprises, renoue avec le leitmotiv qui a longtemps guidé la politique française dans l’ensemble de la région, avant les Printemps arabes. Le maintien des régimes autoritaires était une condition à la sécurité nationale de la France et de ses intérêts. Cette politique trouvait ses meilleurs alliés auprès des « Pinochet arabes » pour qu’ils contrôlent les débordements de la « rue arabe » et luttent activement contre le terrorisme islamiste.

Cependant, Emmanuel Macron n’a pas été le digne héritier de « l’ancien monde », monde qui prévalait avant les soulèvements des Printemps arabes de 2011. Il a affirmé que sa conception de la stabilité impliquait le développement d’une société libre :

« La stabilité et la paix durable vont de pair avec l’État de droit et les droits de l’homme. […] Une société civile dynamique et active reste le meilleur rempart contre l’extrémisme. […] Les meilleurs esprits ont besoin de liberté. Ils ont besoin de pouvoir dire pour faire ».

Une situation préoccupante

Néanmoins, la situation des droits de l’homme en Égypte reste très alarmante. Les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les arrestations d’opposants se sont accentuées ces dernières années.

C’est le cas, entre autres, d’Ismaïl Alexandrani, chercheur égyptien en science politique, condamné à dix années de prison alors qu’il travaillait sur le terrorisme dans le Sinaï. La lumière n’a toujours pas été faite sur l’assassinat du jeune chercheur italien Giulio Regeni, il y a trois ans, dont le corps mutilé avait été retrouvé dans un fossé de la périphérie du Caire.

Des missiles de croisière sur le Nil

L’archéologie n’est plus la seule spécialité franco-égyptienne. Depuis cinq ans, elle a fait de la vente d’armes sa marque de fabrique. L’homme clé de la continuité des relations avec l’Égypte est Jean‑Yves Le Drian. Sous le précédent quinquennat, il s’est rendu à quatre reprises au Caire pour négocier les différents contrats d’armement. Depuis sa nomination comme ministre des Affaires étrangères, il a voyagé au Caire à trois reprises : en juin 2017, avril 2018 et juin 2018.

Le montant des contrats d’armement passés avec la République égyptienne s’élève à 2 445 millions d’euros en cinq ans : 41 millions en 2013 ; 17 millions en 2014 ; 711 millions en 2015 ; 922 millions en 2016 ; et 754 millions en 2017, selon le centre de recherche suédois SIPRI.

La France est ainsi rapidement devenue le principal fournisseur du régime, devant la Russie et les États-Unis. Paris a équipé Le Caire de 24 Rafale, 2 Mistral et 173 Sherpa (véhicules blindés légers). Ces achats massifs ont permis à l’Égypte de devenir le troisième plus gros importateur mondial d’armes sur la période, derrière l’Inde et l’Arabie saoudite.

De nombreuses ONG ont alerté sur l’utilisation d’armes françaises contre les manifestants égyptiens. Amnesty International a récemment salué la prise de position franche d’Emmanuel Macron, condamnant l’utilisation de véhicules blindés français pour des missions de police.

A cet armement militaire s’ajoute la vente de technologies de sécurité et de surveillance par des entreprises françaises. Ces contrats n’entrent pas dans la réglementation sur les ventes d’armes. Télérama révélait ainsi, en 2017, qu’une société française, Amesys, avait vendu ces « armes numériques » au régime – des technologies qui lui auraient permis de contrôler et réprimer les opposants.

Le développement de ces nouvelles technologies et de leurs usages répressifs devrait être un enjeu pour le législateur français dans les prochaines années, afin d’adapter sa réglementation sur le commerce d’armes, comme le réclament plusieurs ONG dans un rapport récent.

À la recherche d’une « politique arabe » introuvable

Au cours de ses deux jours de visite en Égypte, Emmanuel Macron a essayé de renouer avec l’esprit de la diplomatie chiraquienne. L’Égypte est le symbole d’une « politique arabe » fantasmée autant que révolue. Elle reste perçue comme le « centre de gravité » de la région.

En étant actif sur la résolution du conflit libyen, dont l’Égypte est un acteur majeur, il cherche à redonner à la France un rôle de médiateur, contrastant avec l’interventionnisme de ses prédécesseurs.

Néanmoins, la diplomatie d’Emmanuel Macron dans le monde arabe manque encore d’une vision globale et cohérente, contrairement à l’image qu’il avait construite lors de sa campagne et des premiers mois de sa mandature : celle d’un candidat voulant rompre avec le passé sur la colonisation algérienne et d’un Président s’impliquant personnellement dans la résolution des crises, comme lors de l’éviction du premier ministre libanais Saad Hariri.

À quelques mois des élections européennes, il semble plus que jamais nécessaire, pour la diplomatie française, de replacer la question du partenariat euro-méditerranéen au cœur, pour construire une politique européenne ambitieuse.

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