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En Afrique, la notion d’hésitation vaccinale est un modèle voyageur

Un homme reçoit une dose du vaccin Covid-19 d'Oxford/AstraZeneca à la clinique Ngor de Dakar, le 2 avril 2021. John Wessels / AFP

La notion d’hésitation vaccinale structure aujourd’hui l’imaginaire de l’échec de la santé publique. Elle s’est même muée en un moteur des politiques de santé publique dans le domaine de la vaccination, sans que soient questionnés les enjeux politiques qui la sous-tendent.

En focalisant l’attention sur des questions de confiance, d’anxiété, la notion d’hésitation vaccinale opère une dépolitisation de la vaccination, détournant l’attention sur des enjeux stratégiques.

Ce constat est particulièrement vrai en Afrique, où l’on ne peut pas importer de facto les comportements occidentaux face à la vaccination. Le continent a une histoire à la fois distincte et spécifique avec les épidémies et les enjeux y sont largement différents.

L’exemple de la crise sanitaire au Niger

Prenons l’exemple du Niger. Ce pays avait déjà connu lors d’autres contextes épidémiques toutes les séquences que nous avons vécues depuis plus d’un an en matière de gestion de la crise sanitaire liée à la Covid-19.

Opérons une marche arrière. Entre 2015 et 2017, le Niger a du faire face à un retour en force des épidémies de méningite dues à la bactérie méningocoque, qui ont entraîné une mortalité élevée. Cette recrudescence avait alors imposé la fermeture des écoles et la mise en place de campagnes de vaccination d’urgence.

Les capacités d’hospitalisation étant saturées, des camps de soins des malades s’étaient établis à la périphérie de Niamey. Dans les rues, la pénurie de vaccins s’était muée en une crise profonde, avec des queues de centaines de mètres devant les pharmacies au petit matin.

La vaccination contre la méningite avait en fait échappé à la capacité étatique et à l’aide humanitaire. Le stock de vaccins national était réduit à la portion congrue, tandis que le groupe coordonnant les commandes de vaccins à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) était rendu impuissant par les industries pharmaceutiques : elles refusaient de réserver des vaccins pour un marché africain peu solvable et des épidémies imprévisibles.

Sous pression, certains pharmaciens avaient donc lancé, sans demande d’autorisation préalable, des commandes de vaccins acheminés par bus depuis le Burkina Faso. De leur côté, les citoyens s’étaient organisés pour faire des achats groupés, afin de protéger les membres de leur famille et leurs voisins, sans attendre l’intervention de l’État. Les prix de vaccins avaient alors grimpé du simple au triple.

Assez rapidement, la découverte de contrefaçons de vaccins de la marque GlaxoSmithKline avait révélé l’existence d’un marché parallèle. La gestion catastrophique de cette crise sanitaire avait conduit à une enquête parlementaire.

Le contexte africain

Ces éléments, on les retrouve en partie dans la crise mondiale actuelle.

Récemment, des saisies de faux vaccins anti-Covid-19 ont ainsi été conduites en Afrique du Sud par Interpol.

On se rend compte ainsi que les incohérences dans la réponse aux épidémies et la stratégie vaccinale peuvent sous-tendre ou pas les comportements des citoyens face aux produits pharmaceutiques, et plus particulièrement face aux vaccins.

Les scandales liés aux méningites n’ont, par exemple, jamais suscité la défiance des Nigériens sur la vaccination en général encore moins sur cette pathologie. Au contraire, les politiques de vaccination contre la polio conduites par l’OMS ont entraîné des boycotts au Nigeria et au Niger, liés au manque de confiance envers les institutions, à la perception du risque et à une critique politico-économique de la campagne d’éradication.

Recourir à la notion d’hésitation vaccinale pour expliquer la montée en puissance de prises de position de la population sur la vaccination révèle donc une méconnaissance et une sous-estimation de l’importance du contexte lié aux enjeux de la vaccination en Afrique.

Cette absence de mise en perspective des contextes, en conjonction avec des simplifications historiques, amène certains à proposer de mesurer la confiance vaccinale par des sondages, comme le suggèrent des travaux menés au Royaume-Uni ou au Canada.

Mais sur le continent, on a du mal à comprendre par quels mécanismes les populations africaines hésitent à se faire vacciner, et qui sont ceux qui repoussent la vaccination.

Souvent, l’hésitation vaccinale constitue une notion fourre-tout et très vague, elle est devenue une sorte de « prêt-à-porter » de la pensée.

À ce titre, l’hésitation vaccinale relève d’un modèle voyageur. Ce concept se réfère à des modèles élaborés par des experts internationaux pour résoudre certaines problématiques de développement, et introduits quasiment à l’identique dans divers pays. Sortis de leurs contextes originels, ces politiques et protocoles s’appuient sur des « mécanismes miraculeux » censés être intrinsèquement efficaces.

Sauf que contrairement au modèle voyageur, l’hésitation vaccinale n’a pas de projet ni de levier d’action. Et que souvent, les arguments qui la sous-tendent sont mouvants et complexes.

Des études à portée limitée

Ainsi, au Sénégal, un sondage sur l’acceptabilité des vaccins contre la Covid-19 mené l’hiver dernier nous apprend qu’« une faible majorité (58,8 %) pense que la vaccination va les protéger personnellement du virus ainsi que leurs proches (57,5 %), ou que cela va réduire leurs risques de contracter la Covid-19 (58 %) ». L’attitude de ces personnes est donc qualifiée d’« hésitation vaccinale ».

Pourtant sur la même période, une enquête conduite par le CDC Afrique sur quinze pays dont le Sénégal donne des tendances plus contrastées, et ses auteurs reconnaissent que les opinions fluctuent selon les périodes.

Pour saisir quelques limites de l’approche par sondage, soulignons le problème posé par la formulation des questions. Dans la plupart des langues parlées en Afrique de l’Ouest, il n’existe pas de terme pour différencier le vaccin de la seringue – ce qui en dit long sur la perception du paradigme préventif biomédical.

Les études ethnographiques classiques en Afrique de l’Ouest, fondées sur les idiomes des personnes interrogées et sur leur perception de la prévention, ont montré que les vaccins, quelle que soit la maladie contre laquelle ils sont conçus, sont perçus comme pouvant atténuer la maladie et ne garantissent pas que l’individu ne puisse pas s’infecter par la suite.

Or, l’étude menée au Sénégal laisse penser que les sondés estiment que les vaccins anti-Covid-19 ne les protègent que partiellement en raison d’un manque de confiance dans ces vaccins. Ce manque de confiance serait dû aux doutes ou « infox » propres aux vaccins anti-Covid-19 suggèrent les auteurs. En fait, il est plutôt lié au manque de référence à l’univers conceptuel des sondés !

Durant mes dix années de recherche sur la vaccination et les stratégies vaccinales en Afrique, que ce soit contre la méningite, les pneumocoques ou d’autres cibles du programme élargi de vaccination (PEV) de l’Organisation mondiale de la Santé, j’ai pu constater que ces interprétations se reflètent aussi dans le milieu médical, notamment infirmier, surtout au Burkina Faso.

Il est donc important de considérer que ces sondages, qui s’appuient sur du déclaratif, reflétant très peu les contextes particuliers, ont leurs limites. La confiance y demeure non problématisée, comme si elle allait de soi. L’étude est destinée uniquement à des acteurs citoyens, comme si, d’emblée, les États et les institutions technocratiques portant les projets de vaccination étaient dignes de confiance.

Enfin, ces études échouent à rendre compte des situations en dehors de l’Europe, où le modèle virologique d’explication des maladies infectieuses est en compétition avec des conceptions magico-religieuses du corps et de la santé.

Voir au-delà de l’épouvantail de l’hésitation vaccinale

Des campagnes de communication onéreuses, aux mains de cabinets de consulting ou d’influenceurs d’opinion, ne permettront pas de régler le problème.

Pour y parvenir, une piste pourrait être de refonder le contrat social sur le modèle préventif de la maladie : en réintroduisant d’une part les séances d’éducation sanitaire dans les centres de santé, et en concevant d’autre part une éducation thérapeutique qui inclue le personnel médical.

Il s’agit aussi de faire preuve d’une plus grande transparence et d’équité, que ce soit dans la recherche, le développement des vaccins prioritaires pour les populations locales, les essais cliniques, ou encore les choix effectués par les investigateurs, le tout de manière inclusive et démocratique en s’appuyant sur les leviers de projets d’engagement communautaire.

Les sondages doivent être considérés pour ce qu’ils sont : à savoir, des opinions, dont ni la temporalité et ni les variations spatiales ne sont prises en compte. Sans compter qu’ils passent sous silence la majorité écrasante prête à accepter le vaccin, à condition qu’existe un cahier des charges accessible sur les questions de sécurité.

De fait, le tournant technofinancier pris par la vaccinologie depuis les années 2000 donne du crédit aux exigences citoyennes sur la sécurité des produits vaccinaux. En effet, quelques nouveaux vaccins, comme le vaccin antipaludique Mosquirix, confèrent une protection historiquement faible (environ 30 %). Dans ce contexte, il est légitime d’interroger les évolutions des normes d’efficacité et l’agenda de la santé globale afin de garantir la protection des populations, la transparence sur ces produits et leur place dans le dispositif préventif préexistant. Les mécanismes régissant la recherche, le développement, la production et l’introduction des vaccins, notamment les nouveaux produits arrivant sur le marché, sont peu connus du public.

Dans une situation culturelle donnée, les sondages ne disent rien des véritables enjeux structurels d’une politique vaccinale. Désincarnés, ils omettent le contexte politique, social, pharmaceutique et des enjeux d’inégalité d’accès aux soins.

De l’intérêt des enquêtes ethnographiques

Il ne s’agit bien entendu pas de sous-estimer les risques liés aux théories du complot et au scepticisme à l’égard de la vaccination. Ceux-ci peuvent conduire à des attitudes de repli contre les vaccins, au vandalisme ou à des violences contre les personnels et infrastructures de santé quand une réponse épidémique ou une campagne vaccinale est mise en place.

Il importe toutefois de faire la part des choses entre conspirationnisme et appréhensions légitimes des populations. Il faut aussi mesurer le rôle joué par la surmédiatisation des poches de résistance à la vaccination.

C’est la force des enquêtes ethnographiques que de ne pas partir à la chasse aux opinions. Tout au contraire, elles procèdent d’un vécu aux côtés des acteurs de terrain, d’un apprentissage et d’une compréhension de leur langue, pour pénétrer dans l’univers cognitif et représentatif des personnes enquêtées. Et ce, sans oublier de mettre en avant le contexte, l’univers des soins, dans un monde complexe.

Nous devons faire en sorte que l’hésitation vaccinale ne domine pas les enjeux plus urgents et prégnants de la vaccination en Afrique, notamment les questions de développement de capacité industrielle et de propriété intellectuelle.

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