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Ilham Aliyev assisté à l'ouverture du Parc des trophées militaires à Baкou, où sont exposés des équipements pris à l'armée du Haut-Karabakh, le 12 avril 2021. Site de la présidence de l'Azerbaïdjan, CC BY-NC

En Nouvelle-Calédonie, la France dans le viseur de l’Azerbaïdjan

L’Azerbaïdjan a été accusé par le gouvernement français d’ingérences dans le dossier calédonien. Sur quoi ces accusations portent-elles précisément, et comment expliquer l’intérêt porté par le régime d’Ilham Aliev à un territoire situé à 14 000 kilomètres de Bakou ?

Bakou derrière les émeutes de Nouméa

Durant la crise en Nouvelle-Calédonie, différentes preuves ont montré le bras armé de l’Azerbaïdjan dans les tensions du Pacifique. Ainsi lors des manifestations, des Kanaks ont arboré des t-shirts et des drapeaux aux couleurs de l’Azerbaïdjan. Des médias azéris ont même montré des Kanaks brandissant des portraits du despote Ilham Aliev.

Ce lien entre Bakou et les indépendantistes était préexistant à la crise calédonienne. En effet, le Groupe d’Initiative de Bakou (GIB) a été créé en Azerbaïdjan en juillet 2023 pour « lutter contre la colonisation de la France ».

Des conférences et réunions ont été organisées dans ce cadre dans le Caucase, avec des représentants de la Martinique, de Guyane, de Corse, de Polynésie et Nouvelle-Calédonie. En avril 2024, un mémorandum a même été signé entre une élue du Congrès de Nouvelle-Calédonie et le parlement azerbaïdjanais.

L’Azerbaïdjan, une tyrannie corrompue qui donne des leçons de morale

L’Azerbaïdjan est-il un État démocratique qui se préoccupe des injustices dans le monde ? Pas du tout. Rappelons tout d’abord qu’il est classé par Transparency International en 2024 comme l’un des pays les plus corrompus de la planète.

En outre, selon Reporters sans frontières, l’Azerbaïdjan est l’un des pires pays de la planète au niveau des libertés de la presse : 164ᵉ sur 180 pays classés.

Le président actuel (en poste depuis 2003, quand il a succédé à son père Heydar Aliev) et sa famille tiennent l’Azerbaïdjan d’une main de fer depuis 1991 au point que les Aliev ont pu être comparés à des mafieux, aux « Corleone du Caucase ».

L’Azerbaïdjan souhaite mener des opérations d’ingérence contre la France pour trois raisons. D’une part, Bakou veut nuire à la France, co-présidente du groupe de Minsk – une assemblée composée de nations européennes et des États-Unis, créée en 1992 dans le but d’encourager la recherche d’une résolution pacifique et négociée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan lors du conflit les opposant dans le Haut-Karabakh –, Paris ayant pris la défense de l’Arménie lors des derniers événements survenus au Karabakh.

Alors que le peuple arménien est présent au Haut-Karabakh depuis des millénaires, les Arméniens ont été contraints de fuir leurs terres ancestrales face aux forces armées azéries en septembre 2023, après la guerre perdue de 2020.

D’autre part, Bakou souhaite étouffer les critiques multiples visant l’Azerbaïdjan pour le caractère dictatorial, corrompu et corrupteur, et bien sûr colonisateur de son régime. Face aux nombreuses critiques contre les dirigeants azerbaïdjanais dont certaines proviennent de Paris, Bakou utilise une vieille technique de propagande qui consiste à détourner l’attention en attaquant l’accusateur pour que l’on oublie ses attaques répétées contre les droits fondamentaux du peuple arménien.

Enfin, le président azerbaïdjanais a aujourd’hui largement partie liée avec Vladimir Poutine. Le 22 février 2022, deux jours avant d’attaquer l’Ukraine, le dirigeant russe signait un accord avec Bakou, portant notamment sur la vente de gaz russe à l’Azerbaïdjan. Poutine prévoyait déjà les sanctions occidentales et cherchait à les contourner, de même qu’à écouler ses produits via Bakou pour financer son effort de guerre en Ukraine et protéger ses flux d’approvisionnement.

Après deux années de guerre, la Russie est désormais engagée dans une guerre hybride contre les alliés de l’Ukraine. La France, qui soutient Kiev depuis le début, apparaît dès lors comme une cible à fragiliser. Même si des tentatives de déstabilisation sont effectuées directement par les services russes contre la France, il est aussi utile d’utiliser des pays proches de la Russie, comme l’Azerbaïdjan. Poutine a encore reçu Aliev en avril 2024 à Moscou, à l’occasion du retrait des forces d’interposition russes stationnées au Haut-Karabakh et qui n’ont jamais protégé les populations arméniennes.

Réaction française

En déstabilisant la France en Nouvelle-Calédonie, l’Azerbaïdjan espère non seulement réduire l’influence de Paris dans le Caucase mais aussi sur la scène mondiale. En arrière-plan, la Russie joue un rôle ambigu, utilisant l’Azerbaïdjan comme un levier pour affaiblir un pays occidental considéré comme hostile, tout en poursuivant ses propres intérêts géopolitiques.

Face à l’intensification des ingérences étrangères, le Parlement français vient d’adopter une loi articulée autour de trois axes : transparence sur les activités d’influence étrangère, développement du renseignement et sanctions renforcées.

Cette réponse légale est un premier pas louable qui, toutefois, ne suffira sans doute pas à mettre fin aux ingérences étrangères.

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