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Un ordinateur et des feuilles de calcul
Après un premier échec entrepreneurial, il faut avoir une stratégie avant d'aller voir son banquier. Pxhere, CC BY

Entrepreneurs, ne mentez pas à votre banquier après un échec

Sur plus de 50 000 entrepreneurs connaissant, chaque année, une liquidation judiciaire en France, la plupart ne se relanceront pas dans une nouvelle aventure entrepreneuriale ou revoient leurs ambitions à la baisse dans le cadre d’un nouveau projet. Ce phénomène est symptomatique du regard porté sur l’échec dans notre pays. On assiste effectivement à une forte stigmatisation des entrepreneurs concernés : fournisseurs, clients et société civile prennent leurs distances avec celui qui est marqué du sceau de la défaillance. Cette discrimination entrave leur accès aux ressources financières nécessaires pour donner vie à de nouveaux projets. Plusieurs études, dont la nôtre décrivent ainsi une réticence des acteurs bancaires à financer un entrepreneur ayant connu l’échec, qui plus est dans leur établissement.

Malgré le poids des normes sociales et bancaires, certains entrepreneurs ayant connu un échec parviennent pourtant à relancer une affaire et convaincre un banquier de les accompagner. En l’occurrence, ils obtiennent l’ouverture d’un compte et, surtout, l’octroi d’un prêt (sur des montants souvent limités). Comme nous l’indiquions dans cet article des études ont montré que les établissements de crédit dépassent parfois le premier regard porté sur une expérience passée malheureuse.

L’analyse relationnelle de l’accès au financement ouvre deux pistes pour les entrepreneurs. D’une part, ils doivent s’orienter vers une banque capable de dépasser le stigmate de l’échec entrepreneurial. D’autre part, ils doivent endosser l’habit du « rebondisseur », à travers un projet et une communication sur cette nouvelle affaire capable d’emporter la confiance du banquier.

Au-delà des garanties financières que peut apporter le dirigeant (ex. : apport, cautionnement, autres sources de revenus, assurance BPI), la qualité de l’entrée en relation avec le conseiller bancaire est prépondérante. Ce point est d’autant plus crucial dans les relations avec les TPE, qui ont rarement la possibilité de fournir une information transparente et structurée pour rendre compte de leur activité. Les asymétries d’information qui en résultent ont longtemps sonné le glas des relations entre le banquier et l’entrepreneur en difficulté. Certains entrepreneurs en rebond ont pourtant su aménager les conditions nécessaires pour créer un climat de confiance avec le banquier. Dans une [recherche publiée, en 2023, dans la Revue Interdisciplinaire, Management, Homme & Entreprise, nous cherchons ainsi à identifier les clés d’un storytelling post-échec entrepreneurial réussi dans le contexte français. L’article donne aux entrepreneurs des clés pour communiquer avec leurs banquiers afin de dépasser les difficultés qu’ils ont connues précédemment.

Cette étude se fonde sur l’interview de 15 banquiers, provenant de 10 établissements différents, et de 11 entrepreneurs. Nous avons également sollicité l’expertise d’une consultante spécialisée dans le financement d’entreprises, qui a élaboré un dispositif novateur au sein de l’association 60 000 Rebonds – le parcours « envol » – visant à faciliter la connexion entre les entrepreneurs ayant traversé une liquidation judiciaire et les professionnels bancaires.

Notre recherche révèle que les chargés d’affaires sont plus ou moins compréhensifs face à une demande de financement faisant suite à un échec entrepreneurial selon leur background (leur formation, leur expérience, leurs compétences, etc.) et leur bienveillance. Ce qui suscite toutefois un intérêt particulier, au-delà des traits personnels des banquiers, c’est la manière dont la confiance peut être instaurée lors de l’initiation d’une relation commerciale.

Être honnête ça paie

Malgré l’abrogation des indicateurs 040 et 050 de la Banque de France, les chargés d’affaires parviennent toujours aisément à obtenir des informations sur les antécédents de liquidation judiciaire d’un entrepreneur. Ces données sont effectivement accessibles par divers moyens, tels que des recherches simples sur Google, la consultation de la radiation des entreprises sur le registre du commerce et des sociétés via le site societe.com, l’accès à la base de données Infogreffe, ou encore l’obtention d’un extrait KBis délivré par le greffe du tribunal de commerce.

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Malheureusement, certains entrepreneurs ignorent cette réalité et essayent de dissimuler leur liquidation judiciaire, dans l’espoir de faire la meilleure impression possible auprès de leur conseiller bancaire (d’autres vont même jusqu’à utiliser un prête-nom). Pourtant, pour bénéficier d’une seconde chance, le dirigeant doit impérativement faire preuve d’honnêteté et aborder, dès le début de la relation, son échec professionnel antérieur. Un manque de transparence à ce sujet se révèle ainsi rédhibitoire, compromettant l’établissement d’une base de confiance essentielle entre le banquier et son client professionnel.

De plus, cacher son passé c’est interdire de montrer sa capacité de rebond. En effet, le chargé d’affaires se soucie de la manière dont l’entrepreneur est sorti de son échec passé vis-à-vis de son précédent partenaire bancaire. Plus précisément, ce qui retient son attention, c’est que l’entrepreneur ait réussi à honorer ses engagements financiers. Le fait d’avoir apuré son passif et clôturé « proprement » sa société est interprété comme un indicateur crucial d’honnêteté. L’idée selon laquelle l’entrepreneur pourrait refaire avec eux ce qu’il a déjà fait préalablement avec un confrère est ainsi très présente chez les banquiers.

Afin d’évaluer la compétence professionnelle de l’entrepreneur dans le domaine ciblé, le chargé d’affaires s’engage également dans un questionnement approfondi visant à comprendre les origines de sa liquidation judiciaire. En analysant les explications fournies, le conseiller attribue l’échec à des causes internes ou externes. Si l’entrepreneur parvient à démontrer que son revers découle de circonstances extérieures, comme un impayé de client, une conjoncture défavorable, la crise sanitaire, une catastrophe naturelle, le départ d’un associé, la fraude d’un salarié ou un accident de la vie, le banquier ne remettra pas en question ses compétences techniques et sa capacité de gestion. Dans ce cas, il sera plus enclin à accorder une seconde chance à l’entrepreneur.

Apporter des preuves tangibles

Bien que le banquier puisse être rassuré par l’identification de causes externes justifiant l’échec, il attend tout de même de son interlocuteur une capacité d’autocritique, plutôt que de se positionner systématiquement en tant que victime, que ce soit d’un expert-comptable, d’un précédent banquier, d’un associé ou de la malchance, entre autres. Plus encore, le chargé d’affaires s’attend à ce que l’entrepreneur ait tiré des enseignements de sa liquidation judiciaire, par exemple en redimensionnant son projet ou en améliorant sa préparation (analyse approfondie du marché et des besoins clients, évaluation réaliste des ressources nécessaires, etc.), ou encore en cherchant un accompagnement externe. Dans cette optique, le conseiller cherche à comprendre les actions concrètes que le prospect a entreprises pour développer ses compétences et éviter de reproduire les mêmes erreurs. Il s’intéresse notamment à des initiatives telles que des formations suivies, l’acquisition d’une expérience complémentaire dans le secteur d’activité, ou même l’embauche d’une personne possédant une expertise que l’entrepreneur lui-même ne maîtrise pas. L’idée que l’entrepreneur ait tiré des leçons de son échec, transformant sa liquidation judiciaire en une expérience positive, doit ainsi dépasser le stade du simple cliché et reposer sur des preuves tangibles.

Notre recherche permet finalement de mieux comprendre comment un entrepreneur confronté, par le passé, à l’échec peut rassurer un chargé d’affaires lors d’une entrée en relation. Entretenir la flamme suppose d’aller plus loin qu’un simple vernis communicationnel. L’engagement bancaire pose nécessairement la question de l’apprentissage et de la posture adoptée par l’entrepreneur vis-à-vis de son parcours. En définitive, une narration maîtrisée de la liquidation judiciaire par le dirigeant contribue à dissiper les préjugés spontanés du conseiller bancaire, tels que le stéréotype « qui a bu, boira », et à reléguer au second plan sa déconvenue passée. Bien sûr, la validation du dossier de financement par la hiérarchie n’est en aucun cas garantie, mais un récit bien élaboré incite le chargé d’affaires à défendre la demande de prêt, en présentant des arguments solides à ses supérieurs. Dans tous les cas, il est évident qu’un storytelling post-échec réussi constitue un véritable levier d’émancipation entrepreneuriale.

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