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Équilibre vie privée – vie professionnelle : comment faire évoluer le droit ?

Près d'un salarié français sur trois pratique aujourd'hui régulièrement le télétravail, ce qui soulève de nouveaux enjeux pour les ressources humaines. Pxhere

Presque quatre ans après le début de la pandémie, la population active française dénombre près de 30 % de télétravailleurs, contre 4 % en 2019, selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).

Même si la perspective d’un retour en arrière n’est pas à exclure, ce mode de travail semble s’être installé durablement parmi les pratiques. En effet, plus de 4000 accords d’entreprise concernant la mise en œuvre ont été signés au cours de l’année 2021, ce qui représente 10 fois plus qu’il y a 10 ans.

La France s’oriente donc vers une « hybridation du travail », dont les enjeux, en particulier en termes d’équilibre vie privée – vie professionnelle, font l’objet de notre récente note de synthèse publiée par le Cercle K2, un groupe de réflexion intergénérationnel et interdisciplinaire qui vise à favoriser le dialogue entre professionnels issus de tous horizons.

En effet, pour les directions des ressources humaines (RH), de nouvelles questions se posent en termes d’organisation du temps de travail, en particulier pour des salariés concernés par la parentalité ou qui sont aussi des proches aidants.

Or, sur ces sujets, les réponses juridiques ne posent aujourd’hui qu’un cadre insuffisant, ce qui pousse les entreprises à mener plusieurs expérimentations pour attirer les candidats et favoriser leur fidélité dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Un an de congé paternité chez Netflix

Sur la question de la parentalité par exemple, la durée du congé paternité est passée en 2021 de 14 à 28 jours. Cependant, parmi les pères bénéficiaires de la réforme, les deux tiers (65 %) seulement ont pris la totalité de la période. Ce droit pour les pères devrait évoluer rapidement. Après avoir suscité un tollé en proposant d’en raccourcir la durée en échange d’une meilleure indemnisation avant l’été, la ministre des Solidarités, Aurore Bergé, a annoncé la création d’un « congé familial » en 2025 dont les contours font actuellement l’objet d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales.


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Sans attendre la mise en place d’une nouvelle réforme, certaines entreprises proposent déjà un congé paternité supérieur à ce que prévoit la loi : 52 semaines chez Netflix, 24 semaines chez le constructeur automobile Volvo ou Spotify, 17 semaines pour Facebook… Il faut souligner ici que le secteur de la Tech, où la « guerre des talents » reste vive, reste surreprésenté parmi les entreprises qui se montrent les plus généreuses.

Autre sujet sur lequel les règles sont appelées à évoluer : le cas des « proches aidants » des personnes en perte d’autonomie (parent, conjoint, etc.). Actuellement, une personne qui répond aux critères définis par la loi peut bénéficier d’une allocation journalière fixée à 62,44 euros. Ce dispositif constitue un revenu de remplacement pour compenser une rédaction ou une cessation d’activité professionnelle.


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Or, un salarié sur 6 est concerné par cette situation et le vieillissement de la population va mécaniquement augmenter cette proportion. Là encore, certaines entreprises anticipent d’ores et déjà ces évolutions en allant plus loin que ce que propose la réglementation. Par exemple, Schneider Electric, le numéro 1 mondial de la distribution électrique, propose une indemnisation employeur et un accompagnement dédié. Le groupe La Poste, de son côté, a mis en place une politique de facilitation de l’organisation du travail pour les personnes concernées.

Un « congé menstruel » en Espagne

Les initiatives pour aménager le temps et l’espace de travail s’observent également sur d’autres enjeux. L’éditeur de logiciels Goodays accorde ainsi deux jours d’arrêt maladie par mois aux femmes qui souffrent de douleurs menstruelles. De même, les employées de la mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) peuvent bénéficier d’une autorisation spéciale d’absence de deux jours, de télétravail ou d’un aménagement du temps et du poste de travail, depuis mars 2023.

Un mois auparavant, l’Espagne adoptait une loi créant un « congé menstruel » pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Une première en Europe. En France, une proposition de loi a été formulée en ce sens, mais un rapport sénatorial a émis un avis défavorable concernant une modification de droit du travail dans ce sens.

Toujours en matière d’organisation du temps de travail, le service public français expérimente également depuis début 2023 la semaine de 36 heures en 4 jours. Cependant, le premier test de cette initiative, qui s’inscrit dans une tendance croissante à réduire le nombre de jours travaillés par semaine dans certains pays européens comme le Royaume-Uni, la Belgique ou l’Espagne, s’est soldé par un « fiasco total ». Seules trois personnes ont opté pour le dispositif sur les quelque 200 qui y étaient éligibles au sein de l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) de Picardie, où était expérimenté le dispositif. En effet, sans diminution du temps de travail, l’allongement des journées de présence posait trop de problèmes à l’organisation de la vie personnelle des employés.

Dans le secteur privé, certaines entreprises, telles que les cabinets de conseil Accenture et KPMG, ont néanmoins déjà adopté des modèles de travail réduits à quatre jours pour répondre aux besoins des employés, notamment en faveur de l’égalité homme-femme et de la conciliation travail-famille.

La transition vers une semaine de quatre jours n’est pas sans défis, en particulier en ce qui concerne la culture du travail axée sur la disponibilité permanente. Pour réussir, cela nécessite une adaptation des pratiques managériales, comme l’illustre l’exemple de l’entreprise de distribution de matériel informatique LDLC en France, où la mise en place de la semaine de quatre jours a été accompagnée d’une transformation managériale axée sur la qualité de vie au travail, la productivité collective, et l’équité salariale.


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La question du temps de travail doit en effet être abordée en tenant compte des implications tant sociales que managériales. Réduire la semaine à quatre jours, voire offrir des congés illimités comme cela est expérimenté dans certaines entreprises (avec un bilan là encore pour le moment mitigé), apparaît inutile si les missions et les objectifs demeurent les mêmes.

Cependant, une vigilance doit être portée sur la santé mentale des salariés. Sans évolution réglementaire, cela risque simplement de concentrer le volume de travail sur un temps plus court, avec les difficultés que l’on imagine tant sur la vie professionnelle que privée.

Encore une problématique à prendre en compte par les juristes. L’hybridation, avec la flexibilité apportée, dans le cadre d’un dialogue social renforcé pourrait en partie répondre à la demande des salariés et des entreprises en matière de conciliation vie professionnelle – vie privée. Un nouvel équilibre pourrait être trouvé en attendant l’intervention du législateur.

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