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Un manifestant tient une pancarte "Mort au roi", alors qu'il écoute le dirigeant du parti La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites, à Marseille, le 23 mars 2023.
Jean-Luc Mélenchon, qui a forgé l'expression “fâché pas facho”, discute avec un manifestant tenant une pancarte “Mort au roi” lors d'une manifestation contre la réforme des retraites (Marseille, 23 mars 2023). Christophe Simon / AFP

« Fâchés pas fachos » : l’expression de Mélenchon a-t-elle encore un sens ?

Les expressions toutes faites permettant de parler de l’électorat sont légion : électorat « flottant », de « substitution », « captif »… Politiciens, éditorialistes et bien sûr politologues connaissent ces termes et rivalisent d’ingéniosité pour décrire les stratégies mises en place par les partis politiques pour s’attirer le vote des Français.

La dénomination des « fâchés pas fachos », quant à elle, semble être apparue dans le contexte français des législatives de 2012. Elle a été utilisée par Jean-Luc Mélenchon, alors candidat à la députation dans le Pas-de-Calais puis fondateur du parti La France Insoumise, pour désigner les électeurs mécontents et parfois tentés par le vote d’extrême droite, avec notamment en tête les déçus de la gauche « hollandiste » et les abstentionnistes, qui ne se reconnaissent pas pour autant dans les idées du Front national.

Réutilisée en 2017, cette expression le sera à nouveau à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes », alors que la composition de ce dernier était encore incertaine.

Qu’est-ce qu’un « facho » ?

Si le terme « fâchés » ne demande guère à être explicité, celui de « facho » doit l’être tant il est utilisé et connoté dans le débat public. Idéologie et système politique indissociables de Benito Mussolini, le fascisme émerge à la fin des années 1910. Le fascisme définit des pouvoirs politiques qui imposent notamment nationalisme, totalitarisme et autoritarisme. L’utilisation de ce terme n’est cependant pas toujours étroitement corrélée à sa définition scientifique, comme le souligne l’historien Olivier Forlin :

« Le qualificatif « fasciste » appliqué à une idée, à un discours, à une action politique, a souvent servi à faire de leurs auteurs des adversaires et à les diaboliser. Inversement, sa fonction a aussi été de rassembler un camp, jusque-là dispersé, en vue d’un combat politique. L’antifascisme a constitué un ciment idéologique pour unir des forces politiques, notamment en France et en Italie […] ».

Pour l’historien Nicolas Lebourg, le fascisme est un courant parmi les sous-champs des extrêmes droites, mais ils sont souvent utilisés de manière synonyme dans le débat public.

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La mise en évidence de cette métonymie permet de mieux comprendre l’expression qui nous occupe. En effet, en France, l’extrême droite est notoirement représentée par le Rassemblement national (RN) et Reconquête. S’il s’en défend publiquement, le premier est même reconnu ainsi par le Conseil d’État. Nul doute que pour Jean-Luc Mélenchon, les « fachos » de l’expression sont représentés parmi les potentiels votants pour ce parti. Son idée est donc d’attirer à lui les gens en colère, mais pas celles et ceux qui se situent à l’extrême droite, incompatibles avec sa propre idéologie.

La colère les rassemble

Cette expression ne signifie pas, bien sûr, qu’il y aurait d’un côté les fâchés et de l’autre les « fachos ». En réalité, il y a d’un côté les fâchés qui entretiennent des liens (politiques, idéologiques, militants, etc.) avec l’extrême droite, et de l’autre des personnes qui sont seulement mécontentes, mais n’entretiennent pas de rapport avec ce courant politique.


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Nous pouvons poursuivre ce parallèle en nous référant à deux émotions qui peuvent schématiquement aider à caractériser ces deux groupes : la colère pour les « fâchés-non-fachos » et la peur accompagnée par la colère pour les « fâchés-fachos ».

La colère a beau être une émotion négative, elle est aussi dotée d’une forte puissance motrice, par exemple lorsque nous subissons ce que nous considérons être des injustices. En 2023, la réforme des retraites a ainsi énormément mobilisé, au point dépasser des records du nombre de participants. Ces rassemblements ont été nourris par une colère envers une politique jugée, entre autres choses injuste.

Les divergences entre les deux groupes s’observent dans leur soutien différencié au mouvement des retraites (stratégie au Parlement, dans la rue, enquêtes d’opinion, etc.). Tandis que la gauche a appelé à se mobiliser dans la rue, le RN s’est contenté d’une discrète participation à l’Assemblée nationale, comme le souligne le chercheur Sylvain Crépon. Il est possible de constater qu’à la fin de ce mouvement, les soutiens étaient plus importants auprès des électeurs et électrices de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Inversement, l’hostilité au mouvement était bien supérieure chez les partisans de cette dernière. Si la colère des « fâchés non-fachos » permet de les définir largement, celle des « fâchés-fachos » est un moteur qui cohabite avec un autre affect de grande intensité à l’extrême droite : la peur.

La peur les distingue

Si la colère des « fâchés-fachos » est indéniable, elle est régulièrement adjointe d’une certaine crainte, voire davantage. Ainsi, les personnes d’extrême droite ont à la fois peur, par exemple d’une disparition individuelle ou collective comme le montre la théorie complotiste du « grand remplacement ». Parallèlement, elles sont aussi en colère contre ce qu’elles estiment une inaction gouvernementale, notamment en matière d’immigration – cette dernière étant parfois même vécue comme une incitation.

L’extrême droite – que ce soit celle de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour, est l’emplacement de l’échiquier politique le plus angoissé vis-à-vis de l’avenir et travaillé par l’idée de décadence.

Les personnes qui ont une personnalité autoritaire de droite, très répandues à l’extrême droite, ont également un fort besoin de se conformer aux normes sociales. Cela les amène à éprouver de la peur ou de la haine envers ce qui ne rentre pas dans ces normes, et donc à être sujettes à de hauts niveaux de racisme, sexisme, homophobie, etc.

Tous ces éléments montrent qu’au-delà de la colère, la peur est très présente chez les personnes d’extrême droite. Ce n’est pas un hasard si cette famille politique est associée à de nombreux qualificatifs en phobie (xénophobie, homophobie, islamophobie, etc.).

L’abstention, un refuge politique

Finalement, faire appel aux « fâchés pas fachos », est-ce encore pertinent actuellement ? Il est bien possible que ce soit le cas. Cette invitation a du sens car les « fâchés non-fachos » et les « fâchés-fachos » ne semblent pas se situer sur le même continuum, comment en atteste la faible porosité entre les électorats de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen entre 2017 et 2022.

Même si l’extrême droite attire des citoyens fâchés, ces derniers ont également un autre refuge politique : l’abstention.

L’évolution des scores entre 2017 et 2022, de respectivement +2,4 % pour Jean-Luc Mélenchon et +1,9 % pour Marine Le Pen, peut laisser penser que l’appel aux « fâchés » du premier à au moins partiellement été entendu. Quid de l’avenir ? Le dernier sondage Harris interactive imaginant l’élection présidentielle de 2027 place Marine Le Pen en tête de tous les scénarios, et Jean-Luc Mélenchon présent au second tour dans sept des huit hypothèses. Si ce duel devait avoir lieu, nul doute que l’ancien député des Bouches-du-Rhône relancerait l’électorat « fâché pas facho » afin de proposer un débouché politique inédit à des abstentionnistes de plus en plus nombreux. La formule pourrait ne pas avoir dit son dernier mot.

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