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une abeille sauvage attaque une abeille
Une abeille sauvage attaque une abeille sur une fleur. Thomas Renaud, Fourni par l'auteur

Guerre et paix chez les insectes floricoles

Une abeille, sur une fleur, attaquée par une autre abeille, sauvage celle-ci. Vous pourriez avoir vu cette scène de nombreuses fois, mais peu de gens la remarquent vraiment. Cette photo illustre que certaines espèces d’insectes floricoles sont enclines à menacer, à harceler ou à attaquer des individus d’autres espèces moins agressives. Mais les raisons pour cette agressivité ne sont pas encore très claires.

Avec près de 90 % des plantes à fleurs pollinisées par les insectes, les insectes floricoles sont un pilier de notre sécurité alimentaire et de nos économies. À l’heure où les populations d’insectes s’effondrent, avec un tiers des espèces européennes d’abeilles, papillons et syrphes en déclin, principalement à cause de la destruction de leurs habitats et de l’utilisation massive de produits phytosanitaires, observer des insectes pendant la pollinisation se révèle être à la fois banal et extrêmement précieux.

Notamment parce que la cohabitation entre plusieurs individus n’est pas aussi paisible que l’on pourrait supposer : il n’est pas rare d’observer des comportements agressifs, voire violents, entre deux individus d’une même espèce, ou d’espèces différentes.

Jusqu’à récemment, une description générale des comportements agressifs des insectes sur les fleurs en conditions réelles n’était pas documentée : si les notions d’interaction agressive et de compétition sont bien ancrées, les études se sont jusque-là concentrées principalement sur des compétitions au sein d’une même espèce ou d’interactions entre espèces dans des cadres très restreints, comme des conflits entre colonies entières d’espèces différentes de fourmis, par exemple.

Les comportements agressifs et la hiérarchie de dominance

Les interactions interindividuelles d’agression entre insectes floricoles peuvent être classées en 5 catégories par ordre de violence : « l’interaction neutre » lorsque deux individus se rencontrent sans qu’il ne se passe rien ; le « vol stationnaire » d’un individu derrière un autre ; « l’intimidation » lorsqu’un individu vole ou tournoie très près d’un second individu ; « l’agression » lorsqu’un individu frappe ou percute un autre individu (comme sur la photo) ; et le « combat » lorsqu’un individu en attrape un autre en le faisant tomber de sa fleur.

Ces différentes interactions ne sont pas utilisées de la même façon et avec la même fréquence par tous les espèces ou groupes d’espèces. Ainsi, les gros syrphes (taille supérieure à 15 millimètres), les abeilles de couleur grises du genre Anthophora et d’autres abeilles sauvages sont plus susceptibles de montrer des comportements agressifs que les abeilles domestiques et nombre d’espèces de bourdons (genre Bombus).

De l’autre côté, certaines espèces et groupes d’espèces sont des cibles privilégiées. C’est le cas par exemple des abeilles domestiques, qui sont principalement ciblées par les gros syrphes ou les bourdons rayés de jaune. Les bourdons, eux, se voient attaqués par les plus gros syrphes et les abeilles grises du genre Anthophora.

Une hiérarchie de dominance peut alors être établie sur la base des comportements subis et initiés, et de leur niveau de violence. Trois principaux groupes peuvent être isolés : le groupe des dominants, avec les gros syrphes et les abeilles grises du genre Anthophora, ayant une plus grande propension à initier des comportements agressifs ; le groupe des dominés, avec les abeilles domestiques, les bourdons et les papillons, plus enclins à subir les comportements agressifs ; et un groupe intermédiaire avec des espèces ou des groupes d’espèces initiant autant d’interactions agressives qu’elles les subissent, dont les coléoptères, les petits syrphes, les mouches du sous-ordre des Brachycera, les abeilles charpentières, les guêpes polistes, et la plupart des abeilles sauvages.

Cependant, il n’a pas été possible d’expliquer pour le moment la propension à initier des comportements agressifs par les caractéristiques des espèces comme la taille des insectes, la sociabilité ou la spécialisation sur les ressources. Des études bénéficiant d’une identification plus fine de chaque espèce, souvent difficile en conditions naturelles, seront nécessaires pour pouvoir mieux comprendre la hiérarchie de dominance entre espèces.

De l’observation à la théorisation

La fréquence et la nature des comportements agressifs changent avec des facteurs environnementaux tels que l’ensoleillement ou le vent, ce qui suggère que leur apparition est liée au stress et à l’excitation du moment.

Ceci étant, la grande majorité des interactions entre individus de la même espèce ou d’espèces différentes sont de nature « neutre », c’est-à-dire sans agression. En même temps, la majorité d’interactions agressives n’aboutit pas avec l’agresseur prenant possession de la fleur. Le fait d’être stressé ou excité par le soleil et le vent n’explique pas complètement pourquoi les insectes se livrent à un comportement coûteux et risqué, sans bénéfice évident. Quelle est la raison qui motivent les insectes floricoles à attaquer, et en ciblant seulement certaines autres espèces ?

Les théories existantes sur l’agression interespèces indiquent que l’agression est instable et doit amener à un partage de l’espace et le temps entre différentes espèces. Ces théories ne donnent pas de piste pour imaginer le bénéfice que cette hiérarchie d’agression pourrait avoir pour les insectes floricoles, car les théories prédisent qu’une telle hiérarchie ne doit pas exister. Les hiérarchies d’agressivité peuvent exister au sein d’une population d’une même espèce. Mais selon la théorie actuelle, plutôt de se battre continuellement entre dominantes et subordonnées pour protéger leurs fleurs, un ensemble d’espèces différentes doivent évoluer des préférences florales, des territoires de fourrage, ou des horaires différenciées. Le cas des insectes floricoles agressives nous présente un petit mystère évolutif qu’il faudra étudier… une autre raison pour motiver leur conservation !


Cet article a été co-écrit avec Thomas Renaud, étudiant en M2 BEE Génie Écologique à l’Université de Poitiers, et co-auteur de l’étude parue dans la rubrique « The Scientific Naturalist » dans la revue scientifique Ecology, volume 104, issue 3, en 2023.

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