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Deux femmes vêtues de longs manteaux d'hiver déposent des fleurs sur un autel de fortune enneigé, au pied d'un monument.
Des femmes déposent des fleurs en hommage à Alexeï Navalny devant un monument à Moscou le 20 février 2024. (AP Photo/Alexander Zemlianichenko)

Héritage d’Alexeï Navalny : ce sont aux Russes de poursuivre son combat, loin des «idéaux» occidentaux

La mort récente d’Alexeï Navalny a suscité des condamnations immédiates de la part des dirigeants du monde entier, le président américain pointant aussitôt Vladimir Poutine du doigt.

On ne peut affirmer avec certitude que le président russe a fait assassiner Navalny. Mais la mort du dissident avant les élections présidentielles russes de mars a des airs de déjà-vu. Dans le passé, de nombreux détracteurs de Vladimir Poutine sont décédés dans des circonstances suspectes.

Cependant, des déclarations comme celle de Joe Biden, qui a accusé Vladimir Poutine d’être personnellement responsable de la mort d’Alexeï Navalny, alimentent la propagande du Kremlin.

« Agent de l’Occident »

Le président Poutine est parvenu à diviser ceux qui soutiennent Navalny en conjuguant complaisance à leur égard et condamnation du dissident en tant qu’agent de l’Occident.

La passion et l’ampleur de l’indignation occidentale apportent de l’eau à son moulin. La possibilité que Yulia Navalnaya, veuve du dissident et d’autres réformateurs puissent provoquer des changements en Russie pourrait être compromise si leur cause est associée à l’Occident.

La popularité de Navalny en Russie va au-delà des positions démocratiques et anticorruption qui lui ont valu d’êtr e admiré en Occident. Pour les Russes, il était avant tout un nationaliste.

Un homme maigre regarde à travers les barreaux de la prison
En janvier 2024, un mois avant sa mort, Alexeï Navalny apparaît par visioconférence depuis la colonie pénitentiaire située en Arctique où il purgeait une peine de 19 ans. (AP Photo/Alexander Zemlianichenko)

Il représentait une menace pour Poutine parce qu’il inspirait les nationalistes, un mouvement politique russe qui a déjà été critique à l’égard du président.

Vladimir Poutine est assurément un dirigeant autoritaire qui dispose de pouvoirs extrajudiciaires considérables. Mais il a toujours eu besoin du soutien des citoyens russes. Depuis plus d’une décennie les nationalistes russes lui permettent un règne d’une durée exceptionnelle.

Les troubles politiques des années 1990 et du début des années 2000 ont conduit de nombreux Russes à s’interroger sur leur place dans le monde. La Russie est passée d’une des superpuissances mondiales à une position que certains Russes percevaient comme leur valant d’être ignorés ou dénigrés pas les États-Unis.

Successeur de Boris Eltsine

En tant que successeur du premier président de la Russie, Boris Eltsine, Poutine a hérité d’une position politique quelque part entre les communistes, qui prônaient un retour à une nation du même type que l’Union soviétique, et les nationalistes, qui cherchaient à redonner à la Russie son statut de grande puissance.

Cet exercice d’équilibrisme a été évident dès le début du premier mandat de Poutine. Les nationalistes russes ont crié au scandale parce que les puissances occidentales ont mené des guerres pour préserver les droits de la personne dans divers pays, alors que les Russes des États postsoviétiques ont été négligés.

Vladimir Poutine, qui ne devait rien aux nationalistes à ce stade, a même envisagé d’adhérer à l’OTAN, bastion de l’Occident.

Un homme chauve parle dans un microphone et l’image floue d’un homme plus âgé se trouve derrière lui sur un écran
À Moscou, en 2011, le premier ministre russe Vladimir Poutine prend la parole lors d’un concert organisé à l’occasion du 80ᵉ anniversaire du premier président de la Russie, Boris Eltsine. (AP Photo/RIA Novosti, Alexei Druzhinin)

Les États-Unis n’ont pas considéré sérieusement la suggestion de Poutine. Par conséquent, et comme ce dernier avait l’impression que les Américains soutenaient ses adversaires politiques, il a cherché à cultiver une autre source de stabilité en se tournant vers les nationalistes russes.

Le sentiment anti-occidental est une composante essentielle de l’idéologie de certains nationalistes russes. Aujourd’hui, Poutine adhère pleinement à cette vision. Sa crainte de voir les nationalistes remettre en cause sa position intérieure a d’ailleurs alimenté ses manœuvres en Ukraine au cours de la dernière décennie.

Vladimir Poutine ne pouvait se désengager de la région ukrainienne du Donbas — à majorité russophone — sans risquer de perdre le soutien des nationalistes russes. C’est un des facteurs qui l’a poussé à envahir l’Ukraine en février 2022.

L’attrait de Navalny

D’abord très à droite sur l’échiquier politique, Navalny est devenu plus modéré au fil du temps. Néanmoins, sa vision de la Russie ne correspondait pas toujours aux idéaux occidentaux.

Ainsi, Navalny considérait que la Crimée ne devait pas être automatiquement restituée à l’Ukraine après son annexion à la Russie en 2014. Cette position est cohérente avec les arguments nationalistes selon lesquels la Crimée fait partie de la Russie. En outre, si les opinions de Navalny sur l’immigration ont évolué, elles sont restées teintées de populisme.

Navalny était tout à fait conscient qu’il pouvait séduire le peuple russe et représenter un danger pour Vladimir Poutine. En 2020, il a été transporté à Berlin pour y recevoir un traitement médical après avoir été empoisonné au Novitchok. Il convient de noter que cet agent neurotoxique a été fréquemment utilisé contre des dissidents russes.

Avant de retourner en Russie pour continuer à défier Vladimir Poutine, Navalny a publié une vidéo au cas où il mourrait en détention.

Voici ce qu’il y disait au peuple russe :

S’ils décident de me tuer, cela signifie que nous sommes extrêmement puissants. Nous devons faire usage de ce pouvoir et nous souvenir que nous sommes une immense force qui est oppressée par de mauvaises personnes. Nous n’avons pas conscience de la force que nous possédons.

Nuire à l’héritage d’Alexeï Navalny

En défendant Navalny, l’Occident risque d’amoindrir son héritage en tant que héros du peuple russe en raison du sentiment anti-occidental qui prévaut en Russie.

Pendant des années, Vladimir Poutine a refusé de prononcer le nom de Navalny. Ses partisans et son gouvernement n’ont toutefois pas été aussi circonspects. Le Kremlin est même allé jusqu’à accuser celui-ci d’être un agent de la CIA.

Une photo en noir et blanc d’un homme entouré de fleurs
Une fleur et une photo déposées en hommage à Alexeï Navalny près de l’ambassade de Russie à Londres, le 18 février 2024. (AP Photo/Kirsty Wigglesworth)

Les leaders mondiaux qui ont exprimé le plus d’indignation après le décès de Navalny sont occidentaux. Parmi eux figurent Joe Biden, le président français Emmanuel Macron et le premier ministre britannique Rishi Sunak.

Le contraste entre leurs déclarations et celles du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et des médias d’État chinois est saisissant. Ni l’un ni les autres n’ont condamné Poutine pour la mort de Navalny.

Une femme blonde portant des lunettes regarde vers le bas
Yulia Navalnaya, épouse du leader de l’opposition russe Alexeï Navalny, au Conseil européen à Bruxelles le 19 février 2024. (Yves Herman, Pool Photo via AP)

Que leur non-positionnement soit bien fondé ou non, ces dirigeants ont aidé le Kremlin à associer davantage Navalny à l’Occident.

Alexeï Navalny a fait preuve d’un grand courage dans ses convictions en revenant en Russie, tout en sachant qu’il allait très certainement être victime de répression et d’emprisonnement.

Ce sont des personnes comme son épouse, Yulia Navalnaya, et non les dirigeants occidentaux, qui sont les mieux placées pour poursuivre le combat pour l’avenir de la Russie. Mais pour que cela soit possible, il faut que la cause de Navalny ne soit pas perçue par les nationalistes russes comme étant ancrée dans les idéaux occidentaux.

This article was originally published in English

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