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La course aux prix bas ne rendra pas l’agriculture française plus compétitive

Au Salon de l’agriculture 2016. Joël Saget/AFP

Le secteur agricole français traverse aujourd’hui une crise majeure, dont le principal facteur communément mis en cause est la faible compétitivité de l’agriculture hexagonale sur les marchés mondiaux. En une dizaine d’années, le pays est en effet passé du rang de second exportateur agroalimentaire à la cinquième place mondiale.

Les éleveurs peinent à faire face aux prix bas des marchés mondiaux. Nombreux sont ceux qui souhaitent « tirer les leçons » de cette crise pour repenser le modèle agricole français, et l’aligner sur les méthodes de production de pays plus compétitifs, bénéficiant de coûts de production plus faibles comme l’Allemagne. Il s’agirait alors de diminuer le coût du travail et d’augmenter la taille des exploitations, pour accroître les profits réalisés, grâce à des économies d’échelle.

Ne pas s’aligner sur le moins disant

Mais dans une économie mondialisée, où les disparités en matière de coût du travail sont immenses, l’alignement de la France sur les modèles intensifs à bas coût constitue-t-il une stratégie réellement durable ? Le modèle français possède des valeurs environnementales et sociales majeures, qui pourraient, au contraire, ancrer durablement les produits agricoles français dans les filières haut de gamme du marché mondial. La condition pour assurer cette réussite est double : ces valeurs doivent être mieux défendues à l’international, et l’ambition en matière de durabilité sociale et environnementale ne doit pas être affaiblie sur le territoire.

Dans un monde où les exigences des consommateurs en matière de qualité et de sécurité sanitaire des aliments sont de plus en plus grandes, y compris dans les pays en développement et en transition (on pense ici à la Chine ), l’excellence des systèmes de traçabilité et le niveau des normes de production et de qualité de l’agriculture française constituent des atouts immenses.

Il serait d’ailleurs dommage de limiter la vision de l’export aux denrées agricoles : l’expertise et les modèles de production et d’organisation de la filière font également partie d’une offre d’ensemble qui gagnerait à être mieux promue à l’étranger. Les organisations de producteurs constituent par exemple un atout majeur du modèle français, et l’expertise développée en la matière pourrait constituer un service potentiellement « exportable ».

Le rôle clé des coopératives

Les coopératives, les associations ou encore les groupements d’intérêt économique permettent non seulement de mutualiser les coûts (et ainsi, d’aboutir à des économies d’échelle sans pour autant diminuer la main d’œuvre ou le nombre d’exploitations), mais aussi de défendre les intérêts des producteurs (notamment vis-à-vis de la filière avale : transformateurs et distributeurs). Dans un contexte où de nombreux pays en transition et en développement doivent protéger l’emploi rural tout en professionnalisant les filières de production agricole, le modèle des coopératives reste une valeur clé, mais difficile à mettre en œuvre – alors que certaines coopératives d’agriculteurs français ont réussi à devenir des multinationales et à s’imposer sur le marché mondial.

Les valeurs sociales et environnementales de l’agriculture française pourraient constituer de véritables atouts si elles étaient mieux promues à l’international. Des acteurs tels que les services spécialisés des ambassades de France, certaines coopératives, associations de producteurs ou groupes implantés à l’étranger accomplissent déjà une partie de ce travail. Mais l’ensemble des filières productrices françaises gagneraient également à être mieux organisées pour défendre leur offre à l’export, la qualité de leurs produits et leur expertise en matière de modèle socio-technique (qui associe techniques de production et modes de structuration des filières). Une telle stratégie nécessite de déployer des capacités et investissements importants de promotion des biens et des services, mais qui semblent aujourd’hui incontournables pour défendre la valeur spécifique de l’agriculture française, face à une compétition mondiale croissante.

Émission « Du Grain à moudre », France Culture, mars 2016. Du grain à moudre, France Culture, 201636.7 MB (download)

Défendre les acquis en France

Le développement de la compétitivité française sur des critères axés sur la qualité sanitaire, environnementale et sociale des produits ne peut être envisagé sans la défense de ces mêmes critères au niveau national. De multiples initiatives vont dans ce sens, comme le projet agro-écologique pour la France, lancé en 2014, qui vise à encourager les modes de production performants sur les plans économique et environnemental ; le plan écophyto, qui vise à réduire le recours aux produits phytosanitaires ; la définition de zones vulnérables à la pollution des nitrates où sont imposées des pratiques agricoles particulières ; ou encore l’agriculture biologique, en constante progression, qui engage désormais plus d’un million d’hectares sur le territoire (moins de 5 % des surfaces agricoles mais près de 10 % de l’emploi agricole) – soulignons au passage que l’agriculture biologique, plus rémunératrice pour les producteurs et plus saine pour les consommateurs, est un choix qui semble avoir réussi à ceux qui l’ont pris pour résister à la crise.

La France reste néanmoins le premier consommateur européen de pesticides, et le quatrième au niveau mondial. Dans un contexte de crise agricole, nombreux sont ceux qui voudraient faire basculer le modèle agricole vers un nivellement par le bas des régulations environnementales et vers des pratiques plus intensives en intrants (produits phytosanitaires, fertilisants, semences et alimentation animale) afin d’améliorer la compétitivité.

Les partisans d’un tel modèle semblent éluder deux questions majeures. D’abord, quelle serait la durabilité de ce modèle à moyen terme ? Autrement dit, comment atteindre les marges d’autres pays sans dégrader de manière considérable les salaires des agriculteurs et des ouvriers agricoles ? Par ailleurs, quelle dépendance des exploitations aux intrants (soja pour l’alimentation animale, énergies fossiles pour la production des engrais…) – importés en quantité et donc soumis à la volatilité des cours mondiaux – ce modèle entraînerait-il ?

La stratégie qui consisterait au contraire à proposer une offre de qualité et diversifiée est évidemment une meilleure alternative. Dans un contexte de crise où la compétitivité française est pointée du doigt, il est essentiel de ne pas réduire notre niveau d’ambition, car c’est la valeur ajoutée de différenciation qui permettra d’améliorer la compétitivité française, plutôt que la course à l’intensification et à la quantité.

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